Le gouvernement Hamadi Jebali a lancé un cri d’alarme face aux tensions sociales et à la dégradation de la situation économique, marquée par des pertes énormes, estimées à 2.500 millions de dinars.


 

Par Imed Bahri

Près de la moitié de ces pertes (1.200 MD) a été enregistrée par la Compagnie de phosphate de Gafsa (Cpg) et le Groupe chimique tunisien (Gct), suite à la paralysie du processus de production, de transport et de transformation du phosphate, conséquence des sit-in, grèves et blocages de routes et de voies ferrées par des chômeurs ou des employés en sous-traitance exigeant la titularisation.

Ces données alarmantes ont été avancées par le chef du Gouvernement Hamadi Jebali au cours de l’entretien télévisé préenregistré qu’il a accordé à trois chaînes de télévision nationales Watania 1, Hannibal et Nessma, et diffusé samedi soir.

Ces agissements, qui ont abouti à la fermeture de nombreuses entreprises et la suspension de plusieurs projets d’investissement, les promoteurs étant généralement sensibles à l’instabilité régnant dans les régions intérieures, «sont dénuées de toute civilité et portent atteinte aux objectifs de la révolution», a estimé M. Jebali.

Un mandat limité à un an

Evoquant le programme de son gouvernement, le chef de l’Etat, qui s’est montré très consensuel et ouvert aux propositions des forces de l’opposition, a affirmé que la durée du mandat de son gouvernement ne dépassera pas le délai convenu, qui est limité à une année avec, si besoin est, une prolongation de quelques mois. «Nous ne cherchons pas à garder le pouvoir et nous sommes soucieux de respecter les règles de l’alternance démocratique. C’est pourquoi nous nous félicitons des tentatives actuelles des partis de l’opposition de constituer des coalitions plus larges en vue des prochaines élections», a affirmé M. Jebali. Qui a réitéré la volonté de son gouvernement de faire participer toutes les composantes de la société civile, les partenaires sociaux et les représentants des régions dans l’élaboration du programme détaillé du gouvernement avant la fin du mois de février prochain.

 

La priorité dans ce programme sera accordée aux régions intérieures et aux couches défavorisées, avec notamment le développement des infrastructures et l’attribution d’aides financières à 235.000 familles pauvres, en plus du payement de la seconde tranche des compensations décidées pour les familles des martyrs et pour les blessés de la révolution. Ces derniers bénéficieront de cartes de soin et de transport gratuits et les membres de leurs familles auront la priorité en matière de recrutement dans la fonction publique, a affirmé M. Jebali.

Evoquant la hausse des prix, qui rogne le pouvoir d’achat des classes moyennes et des couches pauvres de la société, M. Jebali a estimé que le blocage des routes et des voies ferrées, la spéculation et la contrebande transfrontalière ont provoqué une hausse des prix des produits, appelant les Tunisiens à reprendre le travail et à mettre fin aux mouvements de protestation, grèves et sit-in qui ont porté un coup à l’économie du pays et à ses intérêts vitaux. «Ceux qui pensent pouvoir ainsi faire fléchir le gouvernement et à le faire tomber de cette manière se trompent», a averti le chef du Gouvernement, ajoutant qu’«à vouloir ainsi faire tomber le Gouvernement, on risque de faire tomber le pays».

La loi reste au-dessus de tout parti

Revenant sur les raisons de l’instabilité qui règne actuellement, M. Jebali a accusé les sbires de l’ancien régime d’être derrière certains mouvements sociaux, surtout dans les régions intérieures, qu’ils tentent de monter contre le gouvernement, soulignant que ces parties ne parviendront pas à réaliser leur dessein qui est, selon lui, «de faire échouer la révolution».

Interrogé sur le sit-in des éléments salafistes à la faculté des lettres de Manouba, le chef du Gouvernement a souligné son attachement au dialogue et son refus de recourir à la force contre les sit-inneurs, quels qu’ils soient, parce que la contestation et la protestation sont un droit inaliénable ; «et c’est la preuve que le pays jouit aujourd’hui de la liberté et de la démocratie», a-t-il dit, en ajoutant cependant que «la démocratie a besoin d’être protégée par la loi qui reste au-dessus de tout parti, tout groupe et tout individu».

Tout en admettant que son gouvernement n’a peut-être pas su communiquer avec les citoyens, M. Jebali a réitéré son rejet de toute information qui cherche à redorer l’image du gouvernement, émettant l’espoir de voir les médias «s’éloigner de la langue de bois pour devenir un miroir où les citoyens puissent se voir.»

«Ayant exercé moi-même le métier de journaliste, je ne saurais être celui qui cherche à museler l’information», a dit aussi le chef du Gouvernement en réponse aux critiques qui lui sont adressées à ce sujet, après les récentes nominations qu’il a décidées à la tête des médias publics. «Il s’agit de médias publics et non de médias gouvernementaux, comme je les avais qualifiés moi-même une fois par erreur», a-t-il tenu à préciser.

Sur un autre plan, M. Jebali a déploré la campagne menée contre le ministre de l’Intérieur Ali Larayedh, avec la diffusion sur les réseaux sociaux d’une vidéo truquée, présentant ce dernier dans des postures sexuelles. Il s’agissait d’une manipulation de l’ancien régime qui remonte au début des années 1990. «Ce piège m’était aussi destiné, mais comme il n’a pas réussi avec Ali Laârayedh, ils ont abandonné l’idée de refaire la même opération avec moi», a-t-il précisé.

Les Juifs et les Chrétiens sont nos frères

Interrogé sur les slogans racistes scandés par des partisans d’Ennahdha à l’encontre des Juifs lors de l’accueil de l’ex-Premier ministre palestinien, Ismaïl Haniyeh, à son arrivée à l’aéroport de Tunis-Carthage il y a deux semaines, M. Jebali a exprimé son rejet catégorique. «Ces agissements sont contraires à la morale et aux principes auxquels nous croyons, car les Juifs et les Chrétiens sont nos frères et nous rejetons tous slogans appelant à la ségrégation raciale ou religieuse», a-t-il tenu à préciser.

Au cours de cet entretien, au cours duquel il s’est montré conciliant, consensuel, fédérateur, n’hésitant pas à avouer les erreurs et les manquements de son gouvernement, le chef du Gouvernement a voulu aussi montrer sa détermination à transcender les clivages idéologiques et à mettre les intérêts du pays au-dessus de toute considération partisane. Son appel à la solidarité nationale, en cette phase difficile que traverse le pays, sera-t-il reçu cinq sur cinq par ceux-là mêmes auxquels il est adressé, à savoir les dirigeants de l’opposition, les investisseurs, les responsables syndicaux, les journalistes, et au-delà, les Tunisiens dans leur ensemble ?

On peut l’espérer. Reste que le gouvernement ne peut se contenter d’invoquer les obstacles mis sur son chemin par ses adversaires pour justifier son attentisme, son immobilisme et son manque de proposition. Il doit dépasser cette attitude de suffisance que lui donne sa domination de la scène politique pour mettre la main à la pâte et avancer des solutions concrètes aux problèmes du chômage, de la pauvreté et des inégalités régionales.