La nomination de Tarak Dhiab, l’ex-enfant terrible du football tunisien, continue de susciter les réactions les plus diverses et le débat ne concerne plus uniquement les députés de la Constituante…

Par Marouen El Mehdi


Durant la séance réservée au débat sur le programme du nouveau gouvernement de Hammadi Jebali et la présentation des ministres, certaines voix se sont élevées contre la présence de Tarak Dhiab au sein du gouvernement.

Les représentants des partis d’opposition n’ont pas été avares en critiques et Mme Selma Baccar, du Pôle démocratique moderniste (Pdm), est même allée très loin en dévoilant le véritable niveau d’instruction de Tarak et son manque d’expérience dans le domaine politique. Elle a ajouté que l’ancien joueur sang et or s’est déclaré «nahdhaoui et fier de l’être» et c’est ce qui explique le choix de ce parti qui compte sur une star de football pour diriger un ministère de grande envergure.

La troïka: Ennahdha, Al-Jazira et l’Etat du Qatar

La compétence de Tarak Dhiab a été mise en doute par la majorité des opposants qui en ont profité pour attaquer les choix d’Ennahdha. Un député a même lancé que le parti au pouvoir a beaucoup plus misé sur la popularité de ce sportif et de son club d’origine qui compte des millions de supporters.

D’ailleurs, Tarak Dhiab a senti le coup et il n’était pas présent lors de cette séance, même s’il a évoqué une réunion avec la direction de la société Promosport pour justifier ce faux bond.

Parlant de sa nomination, Tarak veut faire comprendre qu’il en est lui-même surpris: «J’ai eu l’occasion d’en discuter avec un haut responsable d’Ennahdha et je lui ai conseillé de ne pas nommer une femme à ce poste, du moins actuellement car cette tâche exige de la force et de la ténacité. Je lui ai même proposé des noms, mais au bout de quelques jours, il m’a fait savoir que M. Jebali comptait sur moi pour diriger ce ministère. J’y ai bien réfléchi avant de donner mon accord et d’accepter de relever ce défi. Il est vrai que mon contrat de consultant avec Al-Jazira est fort attrayant avec ses grands avantages matériels (près de 30.000 dollars par mois), mais je n’ai pensé qu’à une seule chose : servir mon pays au cours de ce mandat qui exige une mobilisation totale de la part de tous les Tunisiens et qui ne durera qu’un an ou un an et demi». Tarak déclare n’avoir connu et rencontré les hauts responsables d’Ennahdha que pendant les jours qui ont précédé sa nomination, mais selon des sources bien informées, d’autres rencontres ont eu lieu bien avant et on laisse même penser qu’Al-Jazira y est pour quelque chose, pour ne pas parler de l’Etat du Qatar.

Mme Chiboub et les victimes de la révolution !

Tarak Dhiab est un habitué des interviews et des débats télévisés, mais il ne semble pas afficher, ces derniers jours, la même assurance loin des terrains de football et des plateaux d’analyse des matches de football.

Invité à une émission spéciale sur la chaîne privée Hannibal TV, il n’a pas trop tenu la route et il a fini par déraper à plusieurs reprises, ce qui donne raison à ses détracteurs qui sont convaincus que le morceau, celui d’un ministère qui concerne des millions de jeunes et de sportifs tunisiens, est trop grand pour quelqu’un qui fait, là, ses premiers pas dans le monde politique.

Appelé à répondre sur ses relations avec Slim Chiboub, l’ex-président de l’Espérance de Tunis et gendre de Ben Ali, il a semblé vouloir le protéger ou, du moins, donner une autre image, moins cruelle d’un homme qui a longuement fait partie de cette bande de profiteurs de l’ancien régime, capables de faire régner leur loi et de faire très mal à tous ceux qui essayaient de se mettre en travers de leur chemin. Le comble, au regard de certains, c’est qu’il a pris la défense de l’épouse de Slim Chiboub, qui n’est autre que la fille du président déchu, allant jusqu’à parler d’injustice concernant l’interdiction de voyage qu’on lui impose : «Sa situation est difficile et elle fait de la peine. Je ne pense pas qu’elle fut mêlée à toutes les affaires qui concernent les familles Ben Ali et Trabelsi. Je la connais bien et je regrette qu’on l’empêche d'aller voir son mari. J’aimerais bien l’aider à le faire, étant convaincu qu’elle est innocente».

Le nouveau ministre du Sport et de la Jeunesse est sans doute sincère. Ses sentiments à l’égard de Mme Chiboub l’honorent. On peut comprendre aussi qu’il ait de la compassion pour une femme qui n’a jamais fait de vagues et qui paye aujourd’hui pour les abus de son père et de son mari. Mais M. Dhiab n’est plus simplement aujourd’hui une star de football. Il est membre d’un gouvernement de transition. A-t-il franchi le Rubicon en défendant, avec une émotion frappante et des yeux mouillés, la fille d’un tyran honni par tous les Tunisiens, alors que des milliers de ses victimes attendent encore que l’Etat décide de leur tendre la main ?

Politiquement, ce fut, là, de la part de Tarak Dhiab, un dérapage que peu de gens vont tolérer et qui risque de faire pencher la balance du côté des opposants à sa nomination. De même, on suivra avec curiosité la réaction des responsables d’Ennahdha qui, a priori, ne devraient pas être tous d’accord avec la vision de Dhiab. A moins que ce dernier soit mieux informé que nous…

Le parcours de Tarak

Né en 1954 à l’Ariana, Tarak Dhiab a débuté sa carrière de footballeur à l’A.S.Ariana avant d’atterrir, alors qu’il jouait avec les cadets, à l’Espérance de Tunis. Le football l’a empêché d’aller loin dans ses études et il a mis fin à sa scolarité alors qu’il était au lycée de Bab El Khadhra. S’en suivait alors une prestigieuse carrière de footballeur, aussi bien à l’Espérance qu’en Arabie Saoudite.

On peut résumer cette carrière comme suit :
- 6 titres de champion de Tunisie avec l’Espérance sportive de Tunis ;
- 2 coupes de Tunisie avec l’Espérance ;
- 107 matches disputés avec la sélection tunisienne, dont ceux joués au Mondial 1978 en Argentine;
- seul Tunisien à avoir gagné le Ballon d’Or du meilleur joueur africain de l’année ;
- Elu meilleur footballeur tunisien du siècle passé ;
- A joué avec Al Ahly de Djeddah ;
- A été président de son club d’origine, l’A.S.Ariana ;
- A occupé le poste de directeur sportif à l’Espérance.

Il était, jusqu’à sa récente nomination, au poste de ministre du Sport, consultant sur la chaine sportive d’Al-Jazira. Son franc-parler lui a souvent valu des embrouilles avec l’ancien régime.

Normal 0 21 false false false FR X-NONE X-NONE

Tunisie. Tarak Dhiab dérape d’entrée

La nomination de Tarak Dhiab, l’ex-enfant terrible du football tunisien, continue à susciter les réactions les plus diverses et le débat ne concerne plus uniquement les députés de la Constituante…

Par Marouen El Mehdi

Durant la séance réservée au débat sur le programme du nouveau gouvernement de Hammadi Jebali et la présentation des ministres, certaines voix se sont élevées contre la présence de Tarak Dhiab au sein du gouvernement.

Les représentants des partis d’opposition n’ont pas été avares en critiques et Mme Selma Baccar, du Pôle démocratique moderniste (Pdm), est même allée très loin en dévoilant le véritable niveau d’instruction de Tarak et son manque d’expérience dans le domaine politique. Elle a ajouté que l’ancien joueur sang et or s’est déclaré «nahdhaoui et fier de l’être» et c’est ce qui explique le choix de ce parti qui compte sur une star de football pour diriger un ministère de grande envergure.

La troïka: Ennahdha, Al-Jazira et l’Etat du Qatar

La compétence de Tarak Dhiab était mise en doute par la majorité des opposants qui en ont profité pour attaquer les choix d’Ennahdha. Un député a même lancé que le parti au pouvoir a beaucoup plus misé sur la popularité de ce sportif et de son club d’origine qui compte des millions de supporters.

D’ailleurs, Tarak Dhiab a senti le coup et il n’était pas présent lors de cette séance, même s’il a évoqué une réunion avec la direction de la société Promosport pour justifier ce faux bond.

Parlant de sa nomination, Tarak veut faire comprendre qu’il en est lui-même surpris: «J’ai eu l’occasion d’en discuter avec un haut responsable d’Ennahdha et je lui ai conseillé de ne pas nommer une femme à ce poste, du moins actuellement car cette tâche exige de la force et de la ténacité. Je lui ai même proposé des noms, mais au bout de quelques jours, il m’a fait savoir que M. Jebali compte sur moi pour diriger ce ministère. J’y ai bien réfléchi avant de donner mon accord et d’accepter de relever ce défi. Il est vrai que mon contrat de consultant avec Al-Jazira est fort attrayant avec ses grands avantages matériels (près de 30.000 dollars par mois), mais je n’ai pensé qu’à une seule chose: servir mon pays au cours de ce mandat qui exige une mobilisation totale de la part de tous les Tunisiens et qui ne durera qu’un an ou un an et demi». Tarak déclare n’avoir connu et rencontré les hauts responsables d’Ennahdha que pendant les jours qui ont précédé sa nomination, mais selon des sources bien informées, d’autres rencontres ont eu lieu bien avant et on laisse même penser qu’Al-Jazira y est pour quelque chose, pour ne pas parler de l’Etat du Qatar.

Mme Chiboub et les victimes de la révolution !

Tarak Dhiab est un habitué des interviews et des débats télévisés, mais il ne semble pas afficher, ces derniers jours, la même assurance loin des terrains de football et des plateaux d’analyse des matches de football.

Invité à une émission spéciale sur la chaîne privée Hannibal TV, il n’a pas trop tenu la route et il a fini par déraper à plusieurs reprises, ce qui donne raison à ses détracteurs qui sont convaincus que le morceau, celui d’un ministère qui concerne des millions de jeunes et de sportifs tunisiens, est trop grand pour quelqu’un qui fait, là, ses premiers pas dans le monde politique.

Appelé à répondre sur ses relations avec Slim Chiboub, l’ex-président de l’Espérance de Tunis et gendre de Ben Ali, il a semblé vouloir le protéger ou, du moins, donner une autre image, moins cruelle d’un homme qui a longuement fait partie de cette bande de profiteurs de l’ancien régime, capables de faire régner leur loi et de faire très mal à tous ceux qui essayaient de se mettre en travers de leur chemin. Le comble, au regard de certains, c’est qu’il a pris la défense de l’épouse de Slim Chiboub, qui n’est autre que la fille du président déchu, allant jusqu’à parler d’injustice concernant l’interdiction de voyage qu’on lui impose: «Sa situation est difficile et elle fait de la peine. Je ne pense pas qu’elle fut mêlée à toutes les affaires qui concernent les familles Ben Ali et Trabelsi. Je la connais bien et je regrette qu’on l’empêche d'aller voir son mari. J’aime bien l’aider à le faire, étant convaincu qu’elle est innocente».

Le nouveau ministre du Sport et de la Jeunesse est sans doute sincère. Ses sentiments à l’égard de Mme Chiboub l’honorent. On peut comprendre aussi qu’il ait de la compassion pour une femme qui n’a jamais fait de vagues et qui paye aujourd’hui pour les abus de son père et de son mari. Mais M. Dhiab n’est plus simplement aujourd’hui une star de football. Il est membre d’un gouvernement de transition. A-t-il franchi le rubican en défendant, avec une émotion frappante et des yeux mouillés, la fille d’un tyran honni par tous les Tunisiens, alors que des milliers de ses victimes attendent encore que l’Etat décide de leur tendre la main?

Politiquement, ce fut, là, de la part de Tarak Dhiab, un dérapage que peu de gens vont tolérer et qui risque de faire pencher la balance du côté des opposants à sa nomination. De même, on suivra avec curiosité la réaction des responsables d’Ennahdha qui, à priori, ne devraient pas être tous d’accord avec la vision de Dhiab. A moins que ce dernier soit mieux informé que nous…

Le parcours de Tarak

Né en 1954 à l’Ariana, Tarak Dhiab a débuté sa carrière de footballeur à l’A.S.Ariana avant d’atterrir, alors qu’il jouait avec les cadets, à l’Espérance de Tunis. Le football l’a empêché d’aller loin dans ses études et il a mis fin à sa scolarité alors qu’il était au lycée de Bab El Khadhra. S’en suivait alors une prestigieuse carrière de footballeur, aussi bien à l’Espérance qu’en Arabie Saoudite. On peut résumer cette carrière comme suit:

- 6 titres de champion de Tunisie avec l’Espérance sportive de Tunis;

- 2 coupes de Tunisie avec l’Espérance;

- 107 matches disputés avec la sélection tunisienne, dont ceux joués au Mondial 1978 en Argentine;

- seul Tunisien à avoir gagné le Ballon d’Or du meilleur joueur africain de l’année ;

- Elu meilleur footballeur tunisien du siècle passé

- A joué avec Al Ahly de Djeddah;

- A été président de son club d’origine, l’A.S.Ariana

- A occupé le poste de directeur sportif à l’Espérance.

Il était, jusqu’à sa récente nomination, au poste de ministre du Sport, consultant sur la chaine sportive d’Al-Jazira. Son franc-parler lui a souvent valu des embrouilles avec l’ancien régime.