Le meeting organisé par Ennahdha pour présenter son programme électoral a révélé certaines surprises qui prennent de court les observateurs… Un programme moderniste, mais réussira-t-il à convaincre ? Par Marwane El Mahdi


Dans un Palais des Congrès plein à craquer – ce n’est point surprenant pour un mouvement qui sait mobiliser ses adhérents –, le meeting a été l’occasion de dévoiler les détails du programme électoral de Ghannouchi et consorts. Une première lecture laisse penser qu’il s’agit d’un programme moderniste qui tranche avec les anciens principes de ce mouvement. Le temps a-t-il changé les idées et les convictions ? En tout cas, il est évident qu’on a cherché à séduire et à frapper les esprits, comme l’a confirmé Rached Ghannouchi dans son intervention de clôture, en rappelant que les détracteurs d’Ennahdha ne pensaient pas que le mouvement islamiste tunisien puisse avoir un programme. «Ils vont en être surpris», a-t-il ironisé.


Un Palais des Congrès plein à craquer

La séance unique : un appât de choix !

C’est dans cet esprit que les détails du programme ont été élaborés, aussi bien en politique, que pour les volets social, économique et général. L’essentiel de ce programme, pas très différent de ceux des autres partis concurrents, est d’ordre politique et le mouvement a annoncé sa préférence pour un régime parlementaire où les prérogatives du président de la république, élu par… le parlement, seront très limitées.

Le programme d’Ennahdha prévoit dans son volet politique l’élection du président de la république par le parlement pour un mandat de cinq ans renouvelable une seule fois. Le président élu désigne un Premier ministre appartenant au parti majoritaire au parlement. C’est dire que le mouvement optera pour un régime parlementaire où le président de la république n’est pas élu par le peuple.

La promesse la plus séduisante, qui a été très applaudie par l’assistance, a été l’option de la séance unique, aussi bien pour les hommes que pour les femmes. Les décideurs du mouvement y ont pensé et ils sont conscients qu’une telle promesse ramènerait plus de sympathisants et même d’indécis. Espérons que le mouvement a bien analysé les retombées économiques d’une telle option, dans un pays qui a besoin de travailler plus pour produire davantage, et non du contraire…

Ennahdha enlève le voile

Dans le volet social et économique, on promet également de procurer du travail à… 590.000 chômeurs en l’espace de cinq ans et de répartir équitablement les richesses du pays. On y trouve même un projet très ambitieux pour développer le… tourisme et une politique sociale qui se donne pour ambition d’éradiquer la pauvreté et d’améliorer le pouvoir d’achat. Ennahdha n’a presque rien négligé pour séduire.

Ou pour dérouter ses pourfendeurs. Dans la tribune, on a même vu deux femmes faire partie du commandement du parti, dont Mme Souad Abderrahim qui, elle, ne porte pas le voile ! A priori, il s’agit d’un programme très… sexy qui pourrait donner à penser le jour du scrutin, mais réussira-t-il à séduire les électeurs et surtout les plus indécis d’entre eux ?

Pour résumer le programme d’Ennahdha, disons qu’il s’articule autour de trois axes :

- L’instauration d’un régime démocratique fondé sur les principes de citoyenneté, liberté, dignité, primauté de la constitution et respect de la loi et, plus généralement, de l’ensemble des requis de la bonne gouvernance.

- La mise en œuvre d’un plan socio-économique qui vise la création de l’emploi, la garantie du droit à la dignité, le développement régional équilibré et l’incitation à l’investissement.

- L’édification d’une société moderne, harmonieuse, solidaire, enracinée dans son identité et ouverte sur son environnement.

Les quatorze commandements

Voici, par ailleurs, les quatorze commandements du programme du parti islamiste tunisien new look :

1. La Tunisie est un Etat libre et indépendant, sa religion est l’Islam, sa langue est l’arabe, son régime est républicain et sa priorité sera la concrétisation des objectifs de la révolution.

2. Reconnaissance aux sacrifices et efforts déployés par les Tunisiens et leurs pionniers à travers les générations.

3. Le mouvement se perçoit comme étant un prolongement de l’école réformiste qu’a connu la Tunisie au dix-neuvième siècle et qui prônait la réforme politique, sociale et culturelle face à la colonisation et à la dépendance.

4. Croire en l’être humain comme acteur et cible du développement global et en la nécessité d’instaurer un système de valeurs intégré qui puise dans les valeurs authentiques de l’héritage culturel et civilisationnel de la société tunisienne et de son identité arabo-musulmane.

5. Instaurer un régime républicain réel qui tranche avec la dictature et la corruption et se base sur les principes de citoyenneté, de bonne gouvernance, de liberté, de démocratie, d’Etat de droit, de stabilité politique, de dignité, de développement humain, de transparence et d’efficacité.

6. Considérer l’Etat comme étant une entité politique civile responsable du respect des libertés publiques et individuelles, ayant un rôle régulateur qui assure l’équilibre social et économique.

7. Elaborer un contrat social fruit d’un consensus et d’un partenariat entre toutes les parties prenantes.

8. Oeuvrer pour une société civile structurée et indépendante de l’Etat, constituant ainsi une garantie contre la dictature politique et la tyrannie.

9. Œuvrer à la protection de la famille et de l’enfance ainsi qu’au traitement des phénomènes du mariage tardif, de l’augmentation du taux de divorce et du vieillissement de la population.

10. Préserver les acquis de la femme et dynamiser son rôle dans les différents domaines.

11. Opter pour une économie de marché sociale et solidaire fondée sur la complémentarité des secteurs privé, public et solidaire et encourager l’initiative libre et la créativité.

12. Développer le secteur économique, social et solidaire de sorte que les institutions de la société civile puissent apporter leurs contributions au financement du développement, à l’activité économique et à la solidarité sociale.

13. Œuvrer à la réalisation du bien-être et de la prospérité du peuple à travers l’accès à l’emploi, l’éducation, la santé, le logement et l’environnement propre et sain.

14. Développer la coopération et le partenariat entre les Etats et les peuples, dans le cadre du respect mutuel et des intérêts communs.