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En moins d’un mois, deux témoins, reviennent sur les quatre attentats du 2 août 1987, dans des hôtels de Sousse et Monastir, et en attribuent clairement la responsabilité à Ennahdha.


Les deux témoins sont Sahbi Amri et Ahmed Manaï, qui ont eu maille à partir avec l’ancien régime, et ne peuvent être soupçonnés d’hostilité particulière envers Ennahdha. Ils ont même longtemps subi les affres de la répression de Ben Ali en raison de leurs affinités avec le parti islamiste tunisien.

Les deux hommes se demandent aujourd’hui, à juste titre, pourquoi Ennahdha, un quart de siècle après, refuse-t-il toujours de reconnaître officiellement ses responsabilités dans ces attentats, et de demander pardon, par conséquent, au peuple tunisien.

Des bombes explosent simultanément dans quatre hôtels
Flash-back. Dans la nuit du 2 au 3 août, quatre explosions ont lieu, simultanément, dans quatre hôtels de Sousse et de Monastir. Bilan : 13 personnes blessées, dont plusieurs touristes étrangers, et des dégâts matériels. La parfaite synchronisation des opérations vise à montrer qu’au terme de six mois de répression, les islamistes restent suffisamment organisés et capables de passer à l’action violente. Autre message envoyé aux autorités : les soi-disant modérés et légalistes sont désormais minoritaires face aux partisans de la violence.

La suite, on la connaît : les attentats, survenus la veille de la célébration de l’anniversaire de l’ex-président Habib Bourguiba, lançaient un défi au chef de l’Etat vieillissant. Et c’est ainsi que ce dernier les a perçus. Aussi a-t-il appelé à juger impitoyablement les 90 membres et dirigeants islamistes, dont Rached Ghannouchi, qui devaient passer, le 27 août devant la Cour de sûreté de l’Etat, à la caserne de Bouchoucha au Bardo, à l’ouest de Tunis. Le Combattant Suprême, qui était très en colère, a même exigé que des têtes tombent. Et notamment celle de Ghannouchi.

L’histoire a voulu que c’est Zine El Abidine Ben Ali, ministre de l’Intérieur, nommé quelques semaines plus tard Premier ministre, avant de prendre le pouvoir suprême, le 7 novembre 1987, qui a sauvé Ghannouchi et les siens de la corde de l’échafaud. Par un curieux retour de l’histoire, ce sera lui qui ordonnera la chasse de ce dernier, au lendemain de l’attentat, en février 1991, dans le quartier de Bab-Souika, à Tunis, d’une permanence du Rassemblement constitutionnel démocratique (Rcd), le parti au pouvoir, et du meurtre de l’un de ses gardiens, qui avait été aspergé d’essence et brûlé vif. Acte horrible alors attribué à trois éléments du mouvement Ennahdha, condamnés à la peine capitale, en juin, et pendus début octobre de la même année.

La thèse du complot manigancé par les services de Ben Ali
Le parti Ennahdha n’ayant jamais reconnu la responsabilité de ces attentats, des commentateurs hostiles à Ben Ali ont souvent cherché à faire accréditer la thèse selon laquelle ce sont les services de l’ex-président qui les ont manigancés, à l’instigation de ce dernier, pour créer une situation explosive dans le pays qui lui baliserait la voie pour le Palais de Carthage.

Tout récemment, un proche de Bourguiba, qui a vécu cette période aux premières loges, Amor Chadli, dans un livre de souvenir intitulé ‘‘Bourguiba tel que je l’ai connu’’, a lui aussi soutenu cette thèse. A l’appui de ses affirmations, il évoque «la mascarade du procès» des intégristes auteurs des attentats de Sousse et Monastir, qui s’est déroulé du 27 août au 27 septembre 1987.

«Rappelons que les deux condamnés à mort (Mahrez Boudegga et Boulbaba Dkhil) n’étaient pas ceux qui avaient posé les bombes dans les hôtels de Sousse et de Monastir le 2 août 1987, que le poseur de bombe (Fethi Maâtoug) avait fui en Italie avec la complicité d’un policier et que le commanditaire des attentats (Abdelmajid El Mili) était en fuite», écrit M. Chadli. Il ajoute: «Signalons également que deux intégristes membres du conseil consultatif du Mti [Mouvement de tendance islamique, «ancêtre» d’Ennahdha, Ndlr], Mohamed Trabelsi et Salah Boughanmi, ont été condamnés par contumace le 27 septembre alors que, selon ‘‘Le Monde’’ du 22 septembre, ils avaient été arrêtés le 19 septembre et se trouvaient donc, lors du procès, en détention à Tunis», écrit Amor Chadli.

Sahbi Amri accuse Hamadi Jebali et Salah Karkar  
Que le procès des islamistes d’Ennahdha en 1987 ait été une «mascarade», selon les affirmations de l’ancien médecin particulier de Bourguiba, ne dédouane nullement ce mouvement. Et pour cause, les deux témoins cités plus haut, Sahbi Amri et Ahmed Mannaï, n’ont aucun doute : c’est bien Ennahdha qui a commandité ces attentats exécutés par certains de ses militants dans la région du Sahel. M. Amri, qui était «au cœur des évènements», comme il le dit lui-même dans une vidéo diffusée par ‘‘Aljarida.com’’  (Partie 1 et partie 2), affirme avoir été chargé par deux dirigeants du mouvement islamiste, Hamadi Jebali et Salah Karkar, de faciliter la fuite en Algérie du principal auteur des attentats Fathi Maâtoug, dans sa propre voiture. Et c’est un autre membre d’Ennahdha, Hedi Ghali, accessoirement agent de la sûreté de l’Etat, qui avait alors apporté l’argent pour payer le passeur. La fuite a eu lieu via la région frontalière située entre Kalaât Senan et Aïn Ouedey.

M. Amri, médecin et agriculteur de son état, affirme avoir refait le même trajet, deux jours après, avec à bord de sa voiture, deux autres fuyards, également impliqués dans l’organisation des attentats de Sousse et Monastir, Mohamed Chemli et Abdelmajid El Mili. L’opération a été menée à la demande des mêmes commanditaires, Hamadi Jebali et Salah Karkar, et dans les mêmes conditions.

M. Amri, qui avait organisé, peu de temps auparavant, la fuite de sa propre sœur, militante d’Ennahdha, dans des circonstances semblables, affirme n’avoir pris conscience de la gravité de son acte que lorsqu’il a vu, le soir même ou le lendemain, à la télévision nationale la photo des fuyards désignés comme étant parmi les auteurs des attentats recherchés par la police.

Le médecin confirmera, par ailleurs, dans la même vidéo, l’existence d’une aile militaire armée au sein d’Ennahdha, qui préparait un coup d’Etat pour le 8 novembre 1987, mais dont le plan avait été découvert par accident, à la suite d’un contrôle policier anodin, effectué sur la personne de Mahmoud Chammam, près de l’hôtel El Mechtel, à Tunis. Ce dernier, qui était en possession d’une liste d’officiers de police et de militaires appartenant à Ennahdha, a fini par donner, sous la torture, dans son lieu de détention à la caserne de l’Aouina, les détails du plan, qui prévoyait une attaque contre les prisons pour libérer les membres et les dirigeants d’Ennahdha et créer un état d’anarchie dans le pays.

Ahmed Manaï exige des excuses d’Ennahdha
Un autre témoignage est celui d’Ahmed Manaï, qui était lui aussi proche d’Ennahdha, et dont le fils, Bilel, à l’époque âgé de 15 ans, avait été arrêté, le lendemain des attentats de Sousse et de Monastir, avant d’être condamné, avec 37 autres jeunes de Ouerdanine, à une peine de 2 ans et demi de prison. M. Manaï est lui aussi catégorique : c’est Ennahdha qui a commandité et fait exécuter ces attentats. «Les dirigeants d’Ennahdha, qui se voient aujourd’hui aux portes du gouvernement, auraient dû demander pardon aux Tunisiens», dit-il dans une interview accordée à notre confrère Ameur Bouazza de Radio Monastir (cliquez ici pour voir la vidéo).

M. Manaï qui avait été arrêté, emprisonné et sauvagement torturé sous Ben Ali, avant de choisir l’exil en France, a raconté sa douloureuse expérience dans un ouvrage intitulé ‘‘Supplice tunisien. Le Jardin secret du Général Ben Ali’’ (éd. La Découverte, Paris, 1995).

Dans l’interview de radio Monastir, il dit que la date du 2 août, celle des attentats de Sousse et de Monastir, a complètement bouleversé sa vie et celle de sa famille. C’est pour cette raison, d’ailleurs, qu’il exige aujourd’hui, avec beaucoup d’autres Tunisiens, que les dirigeants d’Ennahdha aient aujourd’hui le courage politique d’avouer leurs erreurs et présentent leurs excuses à leurs concitoyens dont ils s’apprêtent à solliciter le suffrage.

Imed Bahri