Intissar Kheriji, fille de Rached Ghannouchi, vit à Londres depuis son enfance. Elle y milite pour les droits de l’homme dans son pays natal. Et pas nécessairement sur les traces de son père. Portrait d’une militante…
Mourad Teyeb, à Londres


The City Circle, un espace de rencontres et de dialogue et d’œuvres caritatives sis à Crawford Place, la banlieue de Londres à forte présence arabe et musulmane, accueille chaque vendredi un événement culturel, scientifique ou politique organisé ou animé par des jeunes musulmans originaires de plusieurs pays arabes et islamiques.
Vendredi 10 juin, Abrar a ouvert ses portes à deux jeunes activistes, un Egyptien et une Tunisienne, pour parler des récents changements dans leurs pays respectifs et l’implication des jeunes pendant et après les deux révolutions.
La Tunisienne, Intissar Kheriji, n’est autre que la fille de cheikh Rached Kheriji (dit Ghannouchi), leader historique du mouvement Ennahdha, dont elle a hérité la culture de l’engagement et du militantisme.

«Je suis apolitique»
26 ans, jeune avocate, parfaitement trilingue, voilée, charmante et dynamique, Intissar a vécu à Londres dès l’âge de 8 ans. Elle avait alors rejoint son parti, parti en exil en Grande-Bretagne à la fin des années 1980 pour fuir les purges effectuées par Ben Ali dans les rangs du mouvement islamiste.   
C’est dans un accent londonien parfait, sans la gesticulation connue chez les Méditerranéens du sud, et avec beaucoup d’émotion et de lucidité, qu’elle s’est exprimée durant plus d’une heure sur le printemps tunisien.
Intissar prétend être «apolitique» à cause notamment de ce qu’ont vécu son père et plusieurs de ses proches sous le régime tunisien déchu. Elle se voit «plus utile en tant qu’activiste des droits de l’homme».

«Je sais que le légal et le politique se mélangent souvent, nous dit-elle. Mais la politique en soi ne m’attire pas». A cet effet, elle est convaincue que «la société civile tunisienne a un énorme rôle à jouer dans la construction de la nouvelle Tunisie».
Bien ancrée dans la tradition anglo-saxonne et forte d’une formation approfondie dans le Center for the Study of Human Rights, London School of Economics, Intissar croit beaucoup en l’apport de la société civile dans la défense des libertés fondamentales et des droits de l’homme. C’est pourquoi elle propose de profiter des réseaux associatifs très développés (Ong, activistes des droits de l’homme, experts des médias…, dont plusieurs originaires des pays arabes et islamistes) «pour apprendre de leur expérience et de leur savoir-faire dans tous les domaines».

Pour une Tunisie autonome... mais ouverte sur le monde
Les stages d’études et les part-time jobs qu’Intissar avait effectués à la House of Lords, aux Nations-Unis à New York et au Parlement européen à Bruxelles, ont beaucoup contribué à renforcer sa personnalité et ses convictions.
Elle souhaite ainsi voir les Tunisiens, autorités et peuple, «revoir leurs rapports avec l’Europe». Autrement dit, se comporter désormais «en une nation libre et autonome». Mais sans se renfermer sur soi!
Lectrice régulière de Kapitalis, Intissar Ghannouchi appelle les journalistes et les activistes tunisiens à privilégier la langue anglaise. «C’est indispensable aujourd’hui, dit-elle, pour atteindre et convaincre beaucoup plus d’interlocuteurs de tout genre dans le monde».
Intissar n’a pas eu l’occasion de rentrer en Tunisie avec son père à cause de ses engagements professionnels. Elle ne le fera que le mois d’août prochain, quand son premier contrat de «Trainee Solicitor» avec la prestigieuse firme d’avocats Clifford Chance aura expiré. Soit 18 ans après.