Nouveau parti centriste, vaguement islamiste, l’Alliance nationale pour la paix et la prospérité (Anpp) veut faire de la Tunisie la Singapour des rives sud de la Méditerranée.


C’est, en tout cas, ce qu’a annoncé son leader, Skander Rekik, ingénieur et homme d’affaire, au cours d’une rencontre de presse, mardi à Tunis.
Commençons par la forme: un meeting un peu à l’américaine. Les drapeaux sont bien mis en relief. Ceux de la patrie flottent aux côtés de ceux du parti: un carré blanc avec tout autour du jaune et du bleu, deux couleurs qui rappellent le soleil et le ciel bleu de la Tunisie. On retrouve ces mêmes couleurs dans le dossier de presse écrit dans la langue d’Ibn Khaldoun. Exit le français. Une façon de souligner l’attachement à langue nationale. A la tribune, un jeune homme d’affaires au verbe facile et qui, comme tout le monde, promet monts et merveilles.

Les valeurs de la liberté, de la famille et du travail  
L’Anpp est composé d’hommes et de femmes d’affaires, de médecins, ingénieurs, banquiers, professeurs, avocats, inspecteurs des finances… représentant toutes les régions. La crème de la crème en somme. Tout ce qu’il y a de plus rassurant. Comme le discours de Skander Rekik, chef de ce parti centriste.
Cet ingénieur qui a fait ses preuves pendant une vingtaine d’années dans des entreprises et des projets lancés aux USA, en Europe et au Moyen-Orient a une seule devise: le travail. Et rien que le travail. «Mon père qui était chauffeur de louage a dû trimer pour qu’on réussisse», raconte-t-il, fier d’avoir attrapé de son père le virus du travail.
Selon son leader, l’Anpp se définit tout d’abord comme protecteur des valeurs de la famille, de la liberté, de la solidarité, de l’égalité sociale, du soutien aux entreprises familiales et des Pme, sans oublier la nature, comme source de vie et d’énergie. Le parti veut aussi défendre les couleurs d’une Tunisie qui respecte son histoire, sa culture, sa religion bref son identité civilisationnelle.
A travers le discours de M. Rekik, on comprend que la société tunisienne n’a pas besoin de porter les greffons d’une autre appartenance. «Nous ne pouvons pas donner raison à tous ces mouvements qui appellent à la laïcité francophone et qui sont financés par des étrangers. Ils ne sont pas sur la bonne voie et ils n’ont pas le droit de renier leur identité musulmane», a affirmé M. Rekik.
En tournant le dos à la laïcité, où se positionne donc le parti de M. Rekik? Même si ce dernier défend la thèse de la séparation de la religion et de l’Etat, son parti a une connotation religieuse. Les rumeurs disent que l’Anpp a essayé de louer les services d’Abdelfattah Mourou, le leader islamiste tunisien. M. Rekik a confirmé l’information à Kapitalis. C’est Cheikh Mourou qui a préféré créer son propre parti, Al Amana, qui aura bientôt son visa.

Des Rcdistes dans la maison
Il n’y a pas d’inquiétude à avoir concernant l’avenir des Tunisiens, estime M. Rekik. Car leurs aïeuls sont de grands penseurs. «Nous sommes les descendants d’Ibn Khaldoun, d’Ibn Arafa, de Tahar Haddad, de Fadhel Ben Achour, de Tahar Guiga… et nous n’avons jamais manqué d’idées et de réformes», rappelle le chef de l’Anpp. Il ajoute: «La crise de la pensée qui a marqué l’ère de Bourguiba et de Ben Ali n’a plus sa raison d’être».
M. Rekik a horreur des extrêmes, qu’ils soient de gauche ou de droite. Mais pour lui, c’est Ben Ali qui représente l’horreur suprême. «Nous venons de traverser un mauvais moment de notre histoire. Ne tombons pas encore une fois dans l’extrémisme, qu’il soit de droite ou de gauche. Ben Ali et Leïla sont un produit de la Tunisie. Croyez-moi, si on ne fait pas attention et qu’on ne se range pas dans un centre modéré, il y aura d’autres Ben Ali et d’autres Leïla. Restons au juste milieu», a-t-il dit. Et d’ajouter que «le Tunisien ne demande que de vivre modestement et nous sommes tous appelés à mettre de l’ordre dans la maison».



Mais que fait Kamel Omrane, un homme du passé et du passif et ancien serviteur du régime de Ben Ali, dans ce nouveau parti si ambitieux?
Kamel Omrane, cofondateur de l’Anpp, avait été nommé, le 29 décembre, ministre des Affaires religieuses dans le dernier gouvernement de Ben Ali, qui vivra deux semaines. Avant de rejoindre le gouvernement du dictateur, cet universitaire islamologue était aux commandes de Zitouna FM, la radio fondée par Sakher El Materi, gendre de l’ex-couple présidentiel. «Oui, je le connais. Il s’agit d’un universitaire éminent et d’un Imam à la mosquée des Berges du Lac, puis de celle de Aïn Zaghouan. J’ai confiance en lui, et pour moi, il est un héros de l’authenticité. Je connais ce monsieur depuis 7 ans et il a les mains propres», plaide M. Rekik. Ne craint-il pas que, de par son appartenance, l’homme ne nuise à son parti? Réponse de l’ami de Kamel Omrane: «Je refuse les idées populistes. Ce monsieur n’a jamais profité du système de Ben Ali et ne vit que de son salaire. Il est vrai qu’il était membre du Rcd, tout comme Moncef Barouni, un autre membre de notre parti. Mais n’insultons pas l’avenir! Nelson Mandela n’a pas exclu tout le monde et nous avons besoin de nous unir pour faire avancer le pays».
Cette approche, qui appelle à la réconciliation nationale, M. Rekik aura sans doute du mal à la faire admettre par une majorité de Tunisiens, qui n’est pas disposée à donner une nouvelle chance aux serviteurs de l’ancien régime. Et M. Omrane, tout pieux homme qu’il est, en fait partie.
M. Rekik, lui, n’a que faire de ces considérations. Il préfère penser à l’avenir, et l’avenir de la Tunisie est, selon lui, bien balisée. «La Tunisie peut ressembler à la Suisse ou à la Singapour, deux pays très bien placés dans l’économie du monde. Mais les Tunisiens, jusque-là, aiment copier les Français qui ont amassé des fortunes sur le dos des autres peuples. Et ils ont tort. Nous pouvons avoir notre propre politique et être classés parmi les meilleurs», explique M. Rekik. Le leader de l’Anpp ne porte visiblement pas la France dans son cœur. Le fait qu’il soit membre de l’Association d’amitié tuniso-américaine et de la Chambre de commerce tuniso-américaine n’y est sans doute pour rien.

Zohra Abid