La prestation télévisée du Premier ministre du gouvernement provisoire, dimanche soir, a réussi la prouesse d’unir, dans un même élan de protestation, l’Association et le Syndicat des magistrats, hier encore des adversaires jurés.


Les mots utilisés par Béji Caïd Essebsi pour qualifier Farhat Rajhi, ancien ministre de l’Intérieur et magistrat de son état, ont choqué les magistrats, toutes tendances confondues. Et la célérité montrée par la Conseil supérieur de la magistrature (Csm) dans l’exécution de la volonté de l’exécutif de priver M. Rajhi de l’immunité judiciaire a été jugée suspecte. Car elle tranche avec la lenteur affichée par la justice dans la poursuite de Ben Ali et des membres de son clan.  
Le Syndicat des magistrats tunisiens (Smt) a, en effet, exprimé son refus de principe de toute décision ou procédure qui pourrait être engagée par le Csm contre le juge Farhat Rajhi, précisant que «cette institution est dépourvue de toute légitimité et consacre la mainmise du pouvoir exécutif sur le pouvoir judiciaire.»
Dans un communiqué publié lundi, le Smt réaffirme son refus catégorique de la réunion du Csm dans son actuelle composition, dès lors qu’il n’exprime point la volonté des magistrats, assurant que «toute décision émanant de ce conseil est caduque.»
Le syndicat des magistrats se dit étonné de la promptitude de la décision de tenir la réunion du Csm en l’absence de toute légitimité de sa composition.
Par ailleurs, il dénonce le ton sarcastique et ironique adopté par le Premier ministre du gouvernement provisoire lors du débat télévisé diffusé dimanche soir, lorsqu’il a évoqué le pouvoir judiciaire.
Le bureau exécutif de l’Association des magistrats tunisiens (Amt) a appelé, de son côté, le gouvernement provisoire à suspendre les procédures visant à lever l’immunité judiciaire du juge Farhat Rajhi et à revenir sur son intention de le poursuivre pénalement, l’objectif étant d’éviter la dégradation de la situation judiciaire et de la conjoncture générale dans le pays.
Dans un communiqué rendu public, lundi, l’Amt fait part de son soutien à Farhat Rajhi et regrette le démenti donné par le Premier ministre du gouvernement provisoire au sujet des déclarations du juge concernant des questions politiques qui, estime-t-il, «n’explique aucunement les qualificatifs les plus sordides qu’il lui a adressé et les actes qui lui ont été imputés, actes qui compromettent son honneur, son prestige et sa dignité en tant que juge.»
D’autre part, le bureau exécutif se dit étonné de «l’empressement du gouvernement provisoire à poursuivre ce juge contre une lenteur des procédures de jugement des criminels de l’ancien régime et des symboles de la corruption.». A cet égard, il met en garde contre les conséquences de l’implication de la magistrature dans des différends liés à la liberté d'expression.
Par ailleurs, il souligne que la réunion du Conseil supérieur de la magistrature dans sa composition postrévolutionnaire «n’a aucune légitimité vu sa dissolution» et plus particulièrement après l’annulation partielle des élections de ce Conseil par le tribunal administratif. «Le déficit de légitimité annule toutes les garanties nécessaires pour la levée de l’immunité judiciaire», estime-t-il.
Le communiqué ajoute que le bureau exécutif de l’Amt a rencontré, lundi matin, de hauts responsables judiciaires pour leur expliquer la position de l’Association concernant les procédures engagées contre Farhat Rajhi, alors que des membres du bureau administratif ont transmis cette position à leurs confrères qui ont été convoqués à la réunion du Csm devant avoir lieu hier après-midi.

I. B.