De deux choses l’une: ou bien Farhat Rajhi est, au mieux, un irresponsable, et, au pire, un fou. Ou bien, ce sont ceux qui l’ont nommé ministre de l’Intérieur, qui sont au mieux, des irresponsables, et, au pire, des fous.
Par Ridha Kéfi


Dans les deux cas, c’est la révolution tunisienne qui en sort davantage affaiblie, à un moment où le peuple tunisien a le plus besoin de reprendre confiance dans le gouvernement de transition et dans les perspectives de stabilisation du pays.

La volatilité de la situation sécuritaire
Autant le dire tout de suite: les déclarations de l’ex-ministre de l’Intérieur, qui a occupé ce poste du 27 janvier au 28 mars, sont très graves. Quand bien même elles seraient infondées, le fait qu’elles recoupent un certain nombre de faits troublants laisse perplexe. Car, s’il n’y a ni manipulation ni complot, et nous sommes prêts à l’admettre, comment expliquer la volatilité de la situation sécuritaire dans le pays? Pourquoi, après chaque décision ou mesure ciblant les caciques de l’ancien régime, des désordres sont-ils enregistrés ça et là dans le pays: des manifestations intempestives, des attaques contre des bâtiments publics, des évasions de prisons…


M. Rajhi, en racontant ce qu’il a raconté, avec sa bonhomie naturelle et sa liberté de ton qui tranchent avec la langue de bois habituelle des membres du gouvernement, a-t-il voulu se venger de ceux qui ont fait appel à lui avant de l’éconduire sans ménagement? A-t-il voulu sincèrement alerter ses concitoyens sur la concordance de faits étranges où il a cru lire les éléments d’un complot contre-révolutionnaire? A-t-il tout simplement bidonné comme un vulgaire journaliste à sensation, racontant n’importe quoi à deux jeunes confrères, dont on se demande ce qu’ils font dans son bureau et pourquoi, lui que tous les grands médias s’arrachent, a préféré ces confessions chuchotées à la dérobée?
Qui donc faut-il blâmer: l’ancien ministre qui se prend les pieds dans un piège qu’il s’est lui-même tendu? Le gouvernement qui envoie son porte-parole, Moez Sinaoui, raconter sur tous les plateaux que Farhat Rajhi est un irresponsable et un incompétent, sans répondre sur le fond des affirmations de ce dernier, se contentant de considérations générales sur l’unité du pays, l’honneur de l’armée, etc.? Ou encore les deux jeunes confrères qui n’ont pas respecté le deal avec l’interviewé, qui leur recommandait de ne pas citer les noms?

Celui qui en dit trop et pas assez
Dans cette affaire, il y a eu, de part et d’autre, beaucoup de naïveté, d’amateurisme et d’improvisation. Beaucoup d’incompétence et d’irresponsabilité aussi. Personne n’en est d’ailleurs sorti indemne. Ni Rajhi, qui a perdu une bonne occasion de se taire et qui, en en disant trop et pas assez, a perdu un peu la face. Ni le gouvernement de transition qui a vu ses hésitations et ses bégaiements de ces dernières semaines prêter à confusion et alimenter les soupçons. Ni a fortiori les médias tunisiens, qui ont montré encore une fois une grande fébrilité, surfant sur la vague Rajhi avec autant d’opportunisme que… d’ambiguïté. Sachant que le grand perdant est finalement la Tunisie, dont la marche vers la démocratie est ainsi rendue plus difficile à chaque pas par les calculs des uns, les erreurs des autres et les carences de tous.

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