«Celui qui vous parle souffre d’avoir déçu des gens qu’il aime» a dit Frédéric Mitterrand à un panel de journalistes tunisiens réunis à l’hôtel des Berges du Lac.


Le ministre français de la Culture et de la Communication, qui faisait ici allusion à sa défense de l’ancien régime, a déclaré aussi avoir plusieurs projets pour la Tunisie, qu’il souhaite réaliser «en tant que ministre, en tant que Tunisien et en tant qu’amoureux de la culture». Une manière aussi de se racheter…
Frédéric Mitterrand, qui a visiblement bien préparé son discours, a trouvé les mots qu’il faut pour susciter l’émotion. «Je préfère parler de mon cœur», a-t-il dit, sans lever le regard vers son auditoire. A-t-il voulu présenter des excuses indirectes aux Tunisiens? Il a, en tout cas, reconnu qu’à un moment, il a vexé et déçu des gens qu’il aime (par allusion à ses déclarations favorables à Ben Ali, au moment où ce dernier faisait tirer sur les Tunisiens). Et qu’en tant que Tunisien, il a dit avoir vécu, lui et ses deux fils tunisiens (adoptifs), heure par heure, les événements de la révolution, via Facebook et Internet. M. Mitterrand a voulu tourner complètement la page du passé et aller de l’avant pour construire avec ses amis et compatriotes – puisqu’il a eu la nationalité tunisienne – une nouvelle Tunisie, libre et démocratique. Dans sa manette, une série de projets artistiques et culturels franco-tunisiens, dont il a entretenu les responsables tunisiens rencontrés à l’occasion de cette visite.

Les Tunisiens se réapproprient leur histoire
«J’ai visité hier le Musée du Bardo, encore en chantier. Il s’agit du plus beau musée du monde de par son contenu en mosaïques, bien présentées. Mais, il y a une semi absence – pas totale –, de la présence islamique, qui est un grand chapitre de l’histoire de la Tunisie. J’ai posé aux responsables cette question qu’on ne pouvait pas auparavant poser. Nous étions détendus. On n’a pas dit toutes les dix minutes que c’est un projet présidentiel. On n’a pas dit que c’est un projet fait sous des directives présidentielles. Je l’ai ressenti très fort. Ce qui est en train de se passer est formidable, digne d’admiration. Ce qui m’intéresse, ce qui est en train de se construire et ça m’impressionne. Il faut célébrer ce qui vient de se passer, regarder et accompagner ce qui se passera (…) On m’a dit qu’ils frederic mitterrandont réfléchi sur cette question de legs islamique. Les Tunisiens se réapproprient leur histoire. Lors de ma visite impromptue, j’ai vu des étudiants restaurer des statues. Ils travaillent dans le cadre de la coopération franco-tunisienne. Ce musée qui va rouvrir bientôt sera l’un des meilleurs au monde, comme celui de Marseille», a déclaré M. Mitterrand. Qui a affirmé aussi n’avoir jamais manqué, vingt ans durant, d’être aux côtés des artistes tunisiens, au point qu’on lui disait souvent qu’il en faisait trop. Il a dit aussi qu’il est fier d’avoir la nationalité et d’être Tunisien.
M. Mitterrand n’a pas omis de se souvenir d’un autre Tunisien, aujourd’hui décédé, feu Serges Adda, qui a beaucoup fait, sur TV5, pour faire briller l’image de son pays natal, comme lui, «profondément attentif», lorsqu’il s’est «sincèrement investi dans des choses pratiques en étant derrière la création et la promotion des festivals et autres émissions à la télévision française... pour promouvoir la Tunisie».

Mitterrand fait son cinéma
Lors de sa rencontre avec M. Bach Chaouch, l’actuel ministre de la Culture, qu’il connaît depuis fort longtemps, M. Mitterrand a dit que le dialogue s’est vite établi, notamment sur le dossier du cinéma, aujourd’hui libéré. «Il y aura des fonds français pour aider le cinéma tunisien. Nous avons signé une déclaration en ce sens. Comme vous le saviez déjà, il n’y a pas de cinéma sans salles et il n’y a pas de cinéma sans spectateurs. Pour que l’industrie cinématographique avance, il faut créer des multiplex. Je sais qu’il y a la piraterie, mais rien ne vaut de voir un film sur écran géant», a-t-il relevé après avoir annoncé qu’il vient de nommer une Franco-tunisienne à la direction du Centre national du cinéma à Paris.
Pour le ministre français, le domaine du livre est aussi une priorité et il en a parlé avec son homologue. «Un livre, c’est important», dit-il. Même si la Tunisie a son réseau dans les régions avec les bibliothèques ambulantes, pour M. Mitterrand, il reste beaucoup à faire dans ces régions longtemps abandonnées. «Je connais très bien Sidi Bouzid et Kasserine où il m’est arrivé d’aller souvent dans un hôtel là-bas. Pour cette raison, j’ai souffert… Comment, je n’étais pas présent?», s’interroge-t-il sur une note de reproche. Le ministre français a promis que la France va aider les librairies en équipements, en ordinateurs, etc., pour moderniser le réseau des libraires et développer le numérique dans le premier pays qui a fait sa révolution grâce à Internet et Facebook et surtout dans les régions abandonnées en Tunisie.

C’est bien de créer mais ne pas oublier le patrimoine
Dans son discours, l’hôte de Tunis a mis des lumières sur la photographie en Tunisie. «J’ai fait des films sur la photo en Tunisie. La photo existe ici depuis son invention. Et depuis le 14 janvier, en pleine effervescence, on est très attentif aux photos. Cérès Edition est en train de préparer un livre là-dessus. Une sorte de rétrospective de ce qui s’est passé à Sidi Bouzid sortira en film. Une exposition de photo contemporaine tunisienne sera aussi présentée en septembre au Musée de Montparnasse. Nous sommes donc attentifs à la création, mais nous ne devons pas oublier le patrimoine», a dit aussi M. Mitterrand. Car pour lui, le patrimoine est important. Il a d’ailleurs été au centre de sa rencontre avec le ministre du Commerce et du Tourisme, Mehdi Houas. Les deux pays vont travailler ensemble pour développer le tourisme culturel. Depuis 20 ans, on a beau parlé de travailler sur ce secteur, mais il n’y a jamais eu de travail en pool. «Il faut un changement à 360°. Il n’y a pas assez d’hôtels de charme. Pour traverser le pays en cheval, il n’y a pas de chevaux. Pas de découvertes et il faut développer tout ceci en même temps», a dit M. Mitterrand.
Le petit écran n’a pas été oublié par cet homme de télévision. Il vient d’ailleurs de rencontrer les responsables de la télévision d’Etat et selon lui, il y aura «beaucoup à faire» dans ce domaine, notamment pour créer des télévisions régionales, qui seront une fenêtre sur le pays profond. «Il y aura aussi, je l’espère, des programmes pour la communauté tunisienne de France. Une sorte de trait d’union», a-t-il ajouté.
La musique est aussi au programme de la visite de M. Mitterrand qui a proposé à ses homologues de continuer à faire la fête. «J’aime bien qu’en juin, un peu avant les élections, il y aura une fête de la musique qui sera gratuite pour les Tunisiens et transmise en direct sur les chaînes de télévision françaises. Je viens de rencontrer aussi la ministre de la Femme et je lui ai proposé d’organiser un colloque sur ‘‘la femme et la citoyenneté’’ en invitant des personnalités importantes. Voici mes projets. J’espère arriver à les réaliser. C’est ce que je souhaite en tant que ministre, en tant que Tunisien et en tant qu’amoureux de la culture», a-t-il conclu.

Zohra Abid