Les violences subies par les jeunes manifestants pour la défense de la laïcité, samedi 12 mars à Sousse, continuent de susciter des inquiétudes et des interrogations au sein de la classe intellectuelle et politique.


D’abord, les faits: en ce samedi 12 mars, à Sousse, des jeunes organisent une marche pacifique pour la défense de la laïcité et la séparation du religieux et du politique. Ils prennent le soin d’informer les autorités de la date, de l’heure et de l’itinéraire de la manifestation. Seulement voilà, dès le début de la manifestation, un autre groupe s’est mis à les suivre de près en hurlant des slogans hostiles à caractère religieux extrémiste, jetant contre eux l’anathème et les traitant d’infidèles, entre autres amabilités.
Les choses ne se sont malheureusement pas arrêtées là. Puisqu’à la fin de la manifestation, jusque là (moyennement) pacifique, et lorsque les jeunes manifestants ont commencé à se disperser, les contre-manifestants ont commencé à les agresser physiquement: coups de poing, brutalités, destruction d’appareils photo, etc.

L’absence de réaction de la police
«Devant cette agression barbare, les manifestants se sont déplacés devant un poste de police proche et ont appelé au secours les agents qui s’y trouvaient, mais ceux-ci n’ont pas bronché, sous prétexte qu’ils n’avaient pas d’instructions pour intervenir», rapporte le parti Ettajdid dans un communiqué signé par Jounaïdi Abdeljaoued. Il ajoute: «Le calme n’est  revenu partiellement qu’après l’intervention d’éléments de l’armée qui se sont interposés entre les deux groupes.»
Conscient de la gravité de ces faits, le mouvement Ettajdid a tenu à les condamner fermement, car ils «visent à interdire le droit d’expression et de manifestation, en utilisant tous les moyens: anathème, agression verbale et physique, etc.»
Ce mouvement de centre-gauche a aussi lancé un appel pressant à toutes les composantes de la société civile et politique pour «contrecarrer, de la manière la plus ferme, ce genre de pratiques qui consiste à  mettre à profit les acquis démocratiques pour tente de remettre en cause les libertés et de dévoyer la révolution.»
Ettajdid exprime, par ailleurs, «sa grande surprise devant l’absence des forces de sécurité malgré le préavis qui a été donné, et leurs refus d’intervenir malgré la violence dont les jeunes ont été victimes» et «exige du ministère de l’Intérieur l’ouverture d’une enquête afin de poursuivre les agresseurs et d’identifier les lacunes dans le dispositif de sécurité afin d’éviter que de tels dérapages ne se reproduisent.»

Et la responsabilité des islamistes dans tout ça?
Cet épisode suscite plusieurs remarques de notre part. D’abord, les laïques constituent peut-être en Tunisie une «petite» minorité, quoiqu’il faille attendre des consultations sérieuses pour pouvoir l’affirmer avec force. Mais serait-ce une raison pour les condamner au silence? La démocratie, que tous les Tunisiens appellent aujourd’hui de leurs vœux, est censée défendre les droits des minorités à l’expression politique, et non imposer la dictature des majorités autoproclamées ou des forces populistes.
La seconde remarque concerne l’identité politique des contre-manifestants. Qui sont-ils? Quels mouvement, reconnu ou pas, représentent-ils? Quels intérêts ou agendas servent-ils? Leurs slogans traduisent leur appartenance à la mouvance islamiste. Si c’est le cas, les islamistes – qu’ils appartiennent à Ennahdha ou aux autres partis de même tendance récemment constitués – devraient réagir pour condamner les pratiques anti-démocratiques de ces contre-manifestants de façon nette et tranchée, de manière à dissiper tout soupçon d’ambiguïté quand à leur disposition à accepter les règles élémentaires de la démocratie et du pluralisme politique.
On pourrait admettre que les contre-manifestants sont des éléments islamistes indépendants de toute formation reconnue et qu’ils agissent spontanément et en électrons libres – ce qui est discutable, tant ils semblaient organisés et agir selon des instructions précises –, mais, là aussi, la responsabilité des partis islamistes reste entière. N’est-ce pas à eux qu’incombe, en définitive, l’encadrement de cette nébuleuse qui ne saurait rester indéfiniment nébuleuse au risque de menacer la légitimité populaire des mouvements islamistes légaux et d’échapper totalement à leur contrôle?
Reste une troisième hypothèse: les contre-manifestants de Sousse – que l’on risque de retrouver bientôt dans d’autres villes – sont des contre-révolutionnaires déguisés en islamistes. Dans ce cas, une enquête de police doit être menée pour démasquer les meneurs et les empêcher de réaliser leurs desseins déstabilisateurs.
Dans tous les cas, les Tunisiens devraient rester vigilants et, surtout, solidaires. Car pour être dignes de la révolution à laquelle à laquelle plus de 200 de leurs enfants ont sacrifié leur vie, ils devraient veiller à protéger la jeune et fragile transition démocratique actuelle pour la faire aboutir, et non la torpiller par des agissements intolérants et extrémistes, du type enregistré récemment à Sousse.

Ridha Kéfi