C’est à la Coupole d’El Menzah que les Tunisiens se dont donné rendez-vous, samedi, en début d’après-midi. De la musique, de la poésie, du chant. Tout le monde félicite tout le monde et que la fête continue!


Ils sont sept, huit ou neuf mille ou même plus, en fin d’après midi, à faire la fête au pied de la Qobba (Coupole) d’El Menzah. La place est de plus en plus noire de jeunes et moins jeunes.

Dans un esprit sportif
Les manifestants de la Kasbah et ceux de la Coupole étaient ensemble, sur la même longueur d’onde. Ils sont venus en famille – avec petits et papis, en couple, en amis et en camarades. Des retrouvailles, des saluts et une ambiance bon enfant. C’est un peu comme une fête foraine. Avec des ballons et des étendards. Tout ce beau monde est autour d’un seul slogan: «Tunisie, ma terre et ma patrie». Tous scandent que la Tunisie est un seul bloc de Bizerte à Ben Guerdane. Tous appellent à l’union de la nation.

coupole menzah

«Nous avons choisi cette place dédiée pour le sport pour dire que les Tunisiens ont l’esprit sportif. Ici, toutes les différences se rencontrent et aucun parti politique n’a droit de brandir ses couleurs. Ce n’est pas des campagnes électorales. Aujourd’hui, c’est l’apothéose, c’est la Tunisie avec toutes ses couleurs, toutes ses régions», explique à Kapitalis Mohamed, un jeune professeur.

Ça donne la chair de poule
Le fond musical est de plus en plus fort. Des chants patriotiques, l’hymne national est répété en chœur à plusieurs reprises. De temps en temps, Khaled, du haut de la tribune, chante… du rap, beaucoup de rap. Puis cède la place à un autre qui a de l’art à en revendre. La poésie ne manque pas à l’appel. De belles paroles émouvantes… De la prose, tout aussi émouvante. D’autres belles paroles accrochent.

coupole menzah

La foule écoute religieusement, puis crient sa joie. La joie de la liberté. Ça donne la chair de poule. Des gerbes de drapeaux de toutes les tailles flottent dans les airs. Parmi les couleurs du pays, quelques drapeaux de la Libye révolutionnaire. Un signe fort de solidarité avec le peuple voisin et les martyrs de Kadhafi.
Les organisateurs ont tout prévu. L’animation bat son plein au cœur de la Cité sportive d’El Menzah. Les marchands ont piqué des stands pour vendre des drapeaux, des tee-shirts où on a estampillé, en rouge sang, la carte géographique du pays et griffonné dessus 24=1, des autocollants, des foulards et des Pin’s aux symboles de la révolution. C’est un moment fort aussi pour se faire un peu d’argent. Ça fait longtemps qu’ils ne l’ont pas fait avec la suspension des matches dans la cité. Les clients ne se font pas rares et ils sont même très généreux. D’autres marchands proposent autre chose. Des gourmandises, des kakis, des pralinés chauds, de l’eau minérale et des cannettes de soda pour ceux qui ont un petit creux.

A bas toute dictature, à bas le régionalisme!
Un peu plus loin, des tentes font de la collecte. De quoi s’agit-il? De l’aide aux milliers des réfugiés qui campent depuis des jours aux frontières tuniso-libyennes. Au haut parleur: «S’il y a parmi vous des médecins volontaires, il y aura un bus à 20 heures vers Ras Jdir. Ceux qui veulent se joindre aux secouristes, ils peuvent s’y inscrire». Au haut parleur aussi: «Nous avons fixé des sacs poubelles au pied des palmiers. Ne jetez rien par terre. Nous devons montrer à tout le monde qu’on est un peuple sain, propre et civilisé. C’est ça notre révolution. C’est ça notre esprit, c’est ça notre exemple aux pays voisins et frères qui aiment construire leur démocratie. Nous allons prouver au monde entier que nous sommes le peuple des dignes…».

coupole menzah

Des applaudissements, des applaudissements qui n’en finissent pas. C’est la fête aux petits qui courent à droite et à gauche traînant leurs drapeaux. C’est la fête aux grands… qui commentent notamment les discours des politiques et qui goûtent, enfin, à la liberté… d’expression.
Oui, on parle aujourd’hui à haute voix de la politique et des politiques. Sans aucun risque. Les services de l’ordre sont très loin. Ils sont là, rien que pour la sécurité des citoyens et pas pour autre chose. On n’en croit pas encore. On rêve ou c’est du réel! «Je n’ai jamais vécu ça de ma vie. Un rassemblement dans mon pays! Pas vrai!», raconte Aïcha Gorgi avec le grand sourire. Elle était accompagnée de plusieurs artistes et intellectuels.
Pas loin de la barrière du métro et de la foule en liesse, des bus touristiques encerclent la place. Ces bus sont venus de la Place des Martyrs de Sousse et, à leur bord, des Sahéliens qui ont voulu être, eux aussi de la fête et pour dire qu’il est temps de construire le pays sur des bases solides. Et à bas la dictature, à bas le régionalisme! 18 heures, la place ne désemplit pas. De bouche à oreille, le monde afflue et c’est légitime. N’est-il pas un rendez-vous unique de l’histoire de tous et toutes !

Zohra Abid