Nouvel extrait de l’ouvrage de Aly Zmerly, ‘‘Ben Ali le ripou’’, publié en exclusivité et en téléchargement libre jusqu'au 8 février, par Kapitalis. L’auteur raconte ici les premiers pas de Ben Ali dans la vie conjugale et la fonction militaire.


C’est donc en octobre 1957 que Ben Ali est de retour à Tunis. Promu sous-lieutenant, il est affecté à l’état-major. Célibataire, il est logé dans un bâtiment tout proche du ministère de la Défense, servant de mess pour les jeunes officiers.
Très timide, taciturne, morose et méfiant, Ben Ali n’a jamais cherché à se distraire et a toujours refusé d’accompagner ses camarades dans un quelconque endroit de la capitale.

Les fiançailles avec Naïma El Kéfi
Un jour, deux de ses pairs, esprits taquins, s’amusèrent à lui suggérer de se marier. «Il te faut, lui dirent-ils, t’unir à la fille d’une grosse légume capable de te faire grimper rapidement les échelons du commandement.» La plaisanterie se répéta et fut poussée à son maximum. On lui suggéra de demander la main de la fille du «patron». Imperturbable, Ben Ali restait de marbre. Mais plus pour longtemps. Les deux compères eurent l’audace de solliciter une audience au Commandant en chef, d’autant plus qu’il a demandé au jeune officier de donner des cours particuliers à son garçonnet Hédili. Immédiatement reçus, ils firent savoir à l’officier supérieur qu’ils ont été chargés par le sous-lieutenant Ben Ali de la délicate mission d’entreprendre les premiers contacts en vue d’obtenir la main de mademoiselle sa fille.
Le Commandant Mohamed El Kéfi, homme brave et simple, fut ravi et manifesta sans hésitation son accord. Mis devant le fait accompli, Ben Ali accepta la proposition, d’ailleurs toute à son honneur.
On battit le fer tant qu’il est chaud. Les fiançailles furent rapidement célébrées. Ce fut une première pour la mairie de Hammam-Sousse. L’acte y fut conclu selon la nouvelle loi du 1er août 1957 réglementant l’état civil par le maire en personne, en présence de nombreux invités de marque parmi lesquels le Gouverneur de Sousse et le représentant du Secrétaire d’Etat à la Défense nationale. Le quotidien La Presse de Tunisie donna un long compte-rendu de l’événement.
Ben Ali offrit à sa fiancée de nombreux cadeaux dignes du rang des beaux-parents. Achetés à tempérament, il solda les traites tirées à cet effet avec plusieurs années de retard et laissa auprès des bijoutiers et des drapiers la réputation d’un mauvais payeur.
Le mariage fut consommé un peu plus tard, le 19 juillet 1961. Ce soir là, la bataille de Bizerte battait son plein. Pendant que Ben Ali, indifférent à ses devoirs supérieurs, goûtait aux joies du mariage, l’armée française tirait de toutes ses armes terrestres et aériennes sur quelques unités éparses de la jeune armée nationale tunisienne, ainsi que sur des centaines de jeunes militants accourus de toutes les régions pour manifester leur détermination à débarrasser le pays de toute présence militaire étrangère.

A la tête du Service de la Sécurité militaire
Le beau-père, par contre, ne fit pas décevoir les espoirs placés en lui. Bien au contraire. Il nomma son gendre à la tête du Service de la Sécurité militaire – en renvoyant son chef dans ses foyers: le capitaine Ben Lanwar –, poste normalement réservé à un officier expérimenté et compétent. Or, Ben Ali, nous l’avons déjà dit, était jeune, dépourvu d’expérience et d’un niveau scolaire assez faible.
La mission du Service de la Sécurité militaire est double: la recherche du niveau opérationnel des armées supposées être en possession d’un éventuel ennemi d’une part, et d’autre part, la connaissance du niveau technologique de l’armement dans le monde, soit tout le secret industriel des usines d’armement, de télécommunications, de transport, de soins médicaux, bref, tout ce qui touche à l’intégrité matérielle du territoire national contre toute attaque de l’étranger. Tout cela nécessite l’existence, au sein dudit service, de plusieurs réseaux spécialisés et un budget considérable. Imaginez un peu l’équivalent tunisien de la CIA ou du Mossad. Or, ni Ben Ali ni son beau-père n’étaient capables de concevoir le fonctionnement de telles agences.
On s’est d’abord rabattu sur le renseignement interne: chercher à savoir, au sein même des unités de l’armée, si tel officier a bu un verre de trop dans tel endroit ou s’il a couché avec une fille dans tel hôtel ou si, au cours d’une conversation, il a exprimé des jugements sur ses chefs hiérarchiques, ou sur le régime politique et autres balivernes relevant d’un ignoble esprit de délation.
Ainsi donc, Ben Ali préparait à l’usage du ministre d’une part et de l’état-major d’autre part un bulletin quotidien à vous donner la nausée. Il y déballait les diverses médisances reçues la veille de tout le territoire.
M. Bahi Ladgham, Secrétaire d’Etat à la Défense Nationale manifesta à la lecture de ces papiers quotidiens d’abord de l’étonnement puis de la colère pendant que son chef de cabinet, M. Habib Ben Ammar, s’en délectait ou en faisait son régal matinal. Les niveaux culturels des deux hommes étaient sans commune mesure. Le sieur Habib Ben Ammar devait le poste important qu’il occupait non pas à sa valeur intrinsèque mais à sa qualité d’époux, depuis 1956, de Neïla Ben Ammar, sœur de Wassila Ben Ammar, alias la «Mejda». Simple soldat de l’armée beylicale dans les années trente et bel homme, il s’enticha de Chafia Rochdi, jeune vedette de la chanson, eut d’elle une fille et vécut durant plusieurs années de ses larges subsides.

Les larmes de Sidi Ali Ben Ali
Du temps où il était célibataire, Ben Ali se déplaçait dans une vieille Panhard, rendait souvent visite à ses parents et les assistait dans la mesure de ses moyens. A partir de son mariage, les visites s’espaçaient graduellement jusqu’à s’arrêter tout à fait. Ce fut au tour du père de rendre visite à son fils. Une fois par mois, le vieux, Sidi Ali Ben Ali, avec son chapeau de paille à larges bords, sa blouse ample et grise et ses grosses sandales se présentait à la villa du Bardo. Si Ben Ali n’est pas à la maison, Naïma – c’est le prénom de sa première épouse – n’accueillait jamais son beau-père, mais lui demandait d’attendre son fils sur le seuil de la porte d’entrée. Au cas où Ben Ali est chez lui, il introduisait son père dans le vestibule et après un rapide échange de formules de civilité, lui glissait quelques dinars et prenait congé de lui.
Par la suite, Ali Ben Ali, saisissant l’absence de sympathie de sa bru, prit l’habitude d’aller voir son fils au bureau. L’accueil était des plus froids. L’entretien ne dépassait pas quelques minutes.
Vers le milieu des années soixante, Ben Ali, excédé, ordonna à son père de ne plus le déranger. Ce jour-là, plusieurs témoins virent un vieillard à la stature gigantesque, de grosses larmes coulant des yeux, descendre en titubant les escaliers des cinq étages du bâtiment.
Par contre, avec sa mère Ben Ali était affectueux. Il l’aimait d’autant plus qu’elle n’avait jamais quitté le village.
Il avait un frère prénommé Moncef qui l’importunait de temps en temps. Sous-officier à la caserne de Bouchoucha dans le bataillon hors rang, c’est-à-dire non destiné au combat, il dilapidait rapidement sa solde. Beau garçon, il lui arrivait de faire le gigolo pour boucler ses fins de mois ou de venir le voir dans sa petite Austin rouge pour le taper de quelques dinars.
Plus tard, à la tête de l’Etat, à 51 ans, Ben Ali a semblé prendre soin de sa mère. Est-ce là des regrets et une façon de se racheter ou seulement de la poudre aux yeux du public? Comme dit l’autre: «va savoir». Deux faits sont à souligner cependant : la télévision ne l’a jamais montré entouré de ses ascendants d’une part et, d’autre part, Jeune Afrique avait provoqué sa colère pour avoir révélé leur existence dans un reportage illustré publié peu après le 7 novembre 1987.