Beji Caïd Essebsi et son initiative Nida’ Tounes (Appel de la Tunisie) étaient très attendus, au propre, par les partisans, et au figuré, par les adversaires. Les deux n’ont pas été déçues.

Par Ridha Kéfi


Pour ses partisans, l’ancien Premier ministre a pris un nouveau rendez-vous avec l’histoire. Il s’est posé non pas seulement comme le chef d’un nouveau parti centriste, ni comme un opposant au gouvernement de la «troïka» et au parti Ennahdha qui la domine, mais plutôt comme un rassembleur de tous les Tunisiens, toutes tendances confondues, «y compris Ennahdha», soulignera-t-il, car, comme il l’a expliqué au cours de son meeting de samedi au Palais des Congrès à Tunis, la situation délicate dans le pays exige la fédération de toutes les volontés politiques autour d’un même objectif: le sauvetage du pays d’une faillite annoncée.

Le grand timonier qui montre le cap dans la tempête

Avec sa verve habituelle, son humour bon enfant et son ironie presque tendre, en tout cas jamais blessante pour ses adversaires, M. Caïd Essebsi a su créer autour de sa personne plus qu’un courant de sympathie: un véritable espoir pour la relance d’un pays presque en panne et d’un peuple qui doute dangereusement et qui n’a jamais regardé l’avenir avec autant de peur et de pessimisme.

L'hyme national chanté en choeur par plusieurs générations de Tunisiens
L'hymne national chanté en choeur par plusieurs générations de Tunisiens.

Que Béji Caïd Essebsi, l’homme du passé, l’homme du passif aussi selon ses adversaires, devienne ainsi, pour nombre de ses compatriotes, une lueur au bout du tunnel et une promesse d’avenir, voilà qui en dit long sur l’état de désarroi dans lequel sont confinés aujourd’hui les Tunisiens, mais aussi sur la faillite des élites politiques du pays.

Ironie de l’histoire, c’est ce vieux briscard de la politique, rescapé de la Bourguibie, qui a traversé le règne de Ben Ali sans faire de vagues, ni d’étincelles non plus, qui se retrouve aujourd’hui, pour nombre de ses compatriotes, dans le rôle du grand timonier, qui montre le cap dans la tempête.

Le cap, si l’on s’en tient au discours de M. Caïd Essebsi, se résume quelques mots: se mettre ensemble et conjuguer les efforts pour sauver le pays. Quelques versets du Coran, comme M. Caïd Essebsi sait garnir ses discours, suffiront à donner le label halal à son Appel de la Tunisie.

De d. à g. Mondher Belhaj Ali, Faouzi Elloumi, Lazhar Karoui Chebbi, Noureddine Ben Ticha, Saïd El Aydi et les autres
De d. à g. Mondher Belhaj Ali, Faouzi Elloumi, Lazhar Karoui Chebbi, Noureddine Ben Ticha, Saïd El Aydi et les autres.

Bien-sûr, les adversaires de Beji Caïd Essebsi verront dans son initiative une manœuvre politicienne qui vise, au nom du rassemblement des forces du centre, à recycler les vieilles notabilités destouriennes voire rcdistes. La présence dans la salle de nombreuses figures de l’ère bourguibienne et même de certains anciens collaborateurs de Ben Ali, ne les démentira pas.

M. Caïd Essebsi a d’ailleurs voulu anticiper ce reproche en lançant à l’auditoire : «Nous n’avons le droit d’exclure aucune partie, ce serait antidémocratique. Nous avons des destouriens avec nous, et ils ont le droit de servir leur pays. Si on a des choses à leur reprocher, que la justice fasse son boulot».

L’ancien Premier ministre, avocat d’affaires pendant ses nombreuses traversées du désert, a tenu le même raisonnement à propos des hommes d’affaires faisant l’objet de poursuites judicaires: «Que la justice dise son mot à leur sujet et qu’on les laisse enfin travailler», a-t-il lancé. Beaucoup d’hommes d’affaires étaient d’ailleurs aux premiers rangs des invités, qui ne craignaient pas de s’afficher avec le vieil homme.

Le peuple de Caïd Essebsi
Le peuple de Caïd Essebsi.

La «fallacieuse légitimité révolutionnaire».

Ce dernier n’a pas manqué de planter quelques banderilles dans le dos du taureau du moment: le gouvernement de la «troïka» au pouvoir et le parti Ennahdha, incapable, selon lui, de faire sortir le pays de l’impasse actuelle. Avant de renvoyer dos-à-dos tous les acteurs politiques, notamment les gens  d’Ennahdha qui ne cessent de s’approprier une «fallacieuse légitimité révolutionnaire».

Kamel Morjane, Ahmed Brahim, Taïeb Baccouche et les autres

Kamel Morjane, Ahmed Brahim, Taïeb Baccouche et les autres.

«La révolution tunisienne n’a été faite par aucun parti ni au nom d’aucune idéologie, religieuse ou autre. Elle a été faite par des jeunes dans les régions défavorisées. Seule l’Union générale tunisienne du travail (Ugtt) l’a soutenue vers la fin», a-t-il tenu à rappeler à ceux qui ont la mémoire un peu menteuse. Ce clin d’œil, on l’a compris, est censé lui attirer la sympathie des syndicalistes, poil à gratter du gouvernement Jebali.

La verve intacte d'un éternel revenant

La verve intacte d'un éternel revenant.

Quel sera l’avenir de ce parti qui veut rassembler tous les autres? Difficile de le prévoir. Car le champ politique tunisien reste encore très éclaté et les ambitions des petits chefs encore vivaces malgré la gifle électorale essuyée par certains le 23 octobre dernier.

Il n’est cependant pas interdit de penser que les récentes violences dans le pays, qui ont montré l’impuissance du gouvernement ou son laxisme face à certains mouvements extrémistes religieux, pourraient ramener à l’Appel de la Tunisie plus que les rescapés du Psd et du Rcd: une partie des forces libérales et de gauche, des classes moyennes et bourgeoises et des couches déshéritées dans les grandes villes et surtout dans les régions défavorisées qui, un an et demi après la révolution, ne voient rien venir.

L’avenir nous le dira.