Il est encore trop tôt de juger la jeune révolution libyenne et ses chances de réussite. Beaucoup ont prédit une longue guerre fratricide. Il n’en fût rien et l’issue semble, pour le moment, heureuse.
Par Néjib Tougourti


La victoire des rebelles libyens, qui ont réussi à venir à bout de l’une des plus vieilles dictatures arabes en ajoutant un troisième nom, à la liste des despotes déchus dans la région, aura, sans doute, des répercussions importantes sur les pays voisins, la Tunisie, l’Algérie et l’Egypte et tout le monde arabe. Cette victoire ne manquera pas, aussi, de renforcer les jeunes révolutions, encore en pleine tourmente, en Syrie et au Yémen et les mouvements de protestation, de moindre ampleur, au Maroc et en Algérie.

Les promesses libyennes pour la Tunisie
En Tunisie, la rébellion libyenne a bénéficié, dès ses premiers jours, d’un énorme courant de sympathie parmi la population. L’élan de solidarité exemplaire des Tunisiens, avec les refugiés libyens, a été salué par de nombreuses organisations internationales et étrangères.
khaddafiLa fin de la guerre, à leurs frontières sud, laisse entrevoir, pour les Tunisiens, la perspective d’un retour, à brève échéance, d’une partie de la main d’œuvre tunisienne, qui a fui la Libye, dès le début des affrontements. Elle fait également, miroiter, pour le secteur touristique du pays, frappé de plein fouet – avec moins de 50% de visiteurs étrangers, pour cette saison, de 2011 –, un retour, progressif, des Libyens qui représentaient, avec un effectif de deux millions par an, près du tiers du total annuel des touristes étrangers, d’avant la révolution.
Les Tunisiens, ont, également, de sérieuses raisons de croire qu’ils obtiendront, selon toute vraisemblance, des contrats des marchés de reconstruction et des futurs projets de développement en Libye. Le savoir-faire des techniciens et experts de leur pays, dans différents domaines, est, en effet, bien apprécié par leurs voisins du sud.
La fin de la guerre en Libye, signifie aussi, pour la Tunisie, des frontières plus sûres, un risque  d’infiltrations de groupes terroristes plus faible et une reprise d’un commerce juteux d’échanges sur les frontières, qui a permis, à ses habitants du sud, de survivre, dans des conditions difficiles.
Les nombreuses promesses de la victoire de la révolution libyenne ne manqueront pas, si elles sont tenues, d’insuffler une bouffée d’oxygène à notre pays dont la situation économique est des plus suffocantes.

Les grands marchés de la reconstruction
Les nouvelles du front libyen ont dû, aussi, remplir d’aise bien d’Egyptiens. L’Egypte, qui se trouve dans la même situation économique que notre pays, ou même pire, a grand besoin de renouer, à leur niveau antérieur, ses relations avec son riche voisin et bénéficier des sommes d’argent envoyées, à leur  pays d’origine, par près d’un million et demi de ses immigrés, travaillant en Libye, avant la révolution.
Les pays occidentaux, qui ont aidé, d’une façon décisive, malgré quelques hésitations américaines, les révolutionnaires libyens ont, également, hâte de voir la Libye reprendre, au plus vite, ses exportations du pétrole, à leur niveau antérieur. Une baisse prolongée de sa production, risque, en effet, d’entraîner une augmentation des prix de l’or noir, très préjudiciable pour leurs économies.
Les Etats-Unis, sans doute échaudés par les exemples irakiens et afghans, ont préféré agir, de loin, en arrière scène, tout en restant, selon les propos de leur président, du côté de l’Histoire.

La France et la Grande Bretagne, en poussant vers une intervention rapide des forces de l’Otan, sous prétexte de protéger la population civile, cherchaient, en fait, à éviter un enlisement du conflit et les risques d’une radicalisation de l’insurrection, au profit de ses tendances extrémistes.
La chute du régime libyen et la victoire de la rébellion, donneront un nouveau souffle au printemps arabe, après les revers subis, liés à la répression brutale du mouvement de contestation au Bahreïn et le piétinement du soulèvement des jeunes du Yémen. Les Syriens, dans une lutte sans merci contre leur régime, encore en place, verront dans la fin du règne du colonel libyen un bon présage et un signe de réconfort et d’encouragement. Leur président, par contre, qui perd un de ses rares compères, peut s’estimer encore en sécurité, tant que l’Otan n’ait pas décidé d’intervenir.

Reconquête du pouvoir et rétablissement de l’ordre
Pour les Libyens, il est, cependant, encore trop tôt de juger de la réussite de leur révolution. La nouvelle étape qui commence est, peut-être, encore plus difficile que celle qui vient de s’achever, de la reconquête du pouvoir. Le rétablissement de l’ordre dans les villes et la reconstitution d’une police et d’une armée nationales sont des plus urgents. Le problème des refugiés libyens à l’étranger et des déplacés, à l’intérieur du pays, près de 500.000, qu’il faut aider à retrouver leurs biens, est également d’une importance cruciale. Les nouveaux responsables libyens auront, aussi, à assurer la reprise rapide de l’exportation du pétrole qui représentait, à elle seule, 95% des revenus extérieurs du pays et près de 75% des recettes gouvernementales. La reconstitution de l’industrie pétrolière, pour atteindre son niveau antérieur de production, de 1,6 millions de barils par jour, peut nécessiter plus d’un an, selon l’ancien ministre du pétrole libyen.

libya


L’unité des différentes factions de la rébellion, faite autour d’un ennemi commun, à abattre, risque de s’effriter après la défaite de ce dernier. Les opposants à l’ancien régime, qui ont mené la révolution, constituent, en effet, un ensemble hétéroclite de différentes tribus, d’anciens loyalistes, civils et militaires, de démocrates, d’islamistes, d’extrémistes intégristes et de berbères. Certains observateurs n’excluent pas la possibilité de conflits entre les différents groupes, au sein de cette coalition, ou d’une résurgence de rivalités tribales, exaspérées par le partage du butin de la guerre. D’autres craignent des règlements de compte et des actes de vengeance contre les acolytes de l’ancien homme fort du pays. Des chancelleries occidentales et l’Onu envisagent, même, l’éventualité de l’envoi des casques bleus, avec une importante composante arabe, pour aider le Conseil national transitoire (Cnt) libyen à résoudre les problèmes humanitaires et de sécurité qui ne manqueront pas de se poser, rapidement, au pays.

Les problèmes liés à la transition politique
En réalité rien ne laisse, pour le moment, présager une évolution péjorative après le départ du colonel libyen. La guerre en Libye ne pouvait être, à vrai dire, taxée de civile. Les affrontements ont rarement opposé des habitants pour un motif séparatiste, ethnique ou sectaire, à l’exemple de ce qui a été enregistré en Irak. Il s’agissait, en fait, d’une guerre de libération, contre une oligarchie politico-militaire, archaïque et isolée qui n’a pas hésité à tirer sur la population, obligeant cette dernière à recourir aux armes, pour se défendre. On ne sait pas non plus si les loyalistes libyens continueront à se battre, même après la fin du régime et le temps qu’il faudra pour venir à bout de leur résistance.       
Les problèmes liés à la transition démocratique peuvent se révéler, par contre, plus problématiques. Le pays manque, en effet, une tradition électorale et les institutions chaotiques, léguées, après 42 ans de dictature, ne peuvent l’aider à une réorganisation rapide de sa vie politique. Certains analystes, occidentaux, évoquent le faible engagement civique de la population et soulignent son peu d’empressement à reconstruire un nouveau système politique, avec la formation de deux partis, seulement, en ces six derniers mois. La présence des islamistes au sein de la rébellion est, également jugée peu rassurante. Ils appellent à utiliser la carotte de leur assistance logistique de l’après-guerre, pour amener les libyens à se rapprocher de l’occident et ses thèses libérales.
Toutes ces appréhensions sont, peut-être, exagérées. La rébellion libyenne a fait preuve, jusqu’à maintenant, d’une maturité remarquable. Elle a su, rapidement, s’organiser et obtenir la confiance des pays de l’Otan et des principales organisations internationales. Elle a géré la crise de l’assassinat, dans des conditions mystérieuses, du général Abdelfattah Younes, avec beaucoup de fermeté et de célérité, évitant ses répercussions néfastes sur sa cohésion. Elle compte dans ses rangs de nombreux jeunes, nationalistes, d’un bon niveau d’éducation et acquis aux principes de la liberté et de la démocratie. Aucun mouvement séparatiste ne s’est manifesté dans ses rangs et sa fidélité à la Libye reste forte, malgré ses appartenances tribales, disparates, mais somme toute assez fluides.
Il est encore trop tôt de juger la jeune révolution libyenne et ses chances de réussite. Beaucoup ont prédit une longue guerre fratricide, sur un fond de contrôle des richesses du pays et de ses puits de pétrole. Il n’en fût rien et l’issue semble, pour le moment, heureuse. Le soulèvement du peuple libyen est l’expression de ses aspirations légitimes à la liberté et à la justice. Pour sa réussite, sa révolution doit pouvoir assurer à la population, dans les brefs délais, un bien-être économique et social qui couperont court à toute récupération du pouvoir par de nouveaux autocrates – dont le dernier en date, vient de coûter au pays, pour sa destitution, près de 40.000 victimes, des deux camps, et d’énormes pertes matérielles, selon les dernières estimations –. Un tel objectif n’est pas impossible à réaliser, moyennant une bonne gouvernance, dans un pays de 6,5 millions, seulement, d’habitants et dont le fonds d’investissement souverain s’élève à 70 billions de dollars.