Aux accusations du cabinet d’avocats Boussayenne-Knani-Houerbi, qui lui ont valu le retrait du nouveau gouvernement, Khayam Turki répond et rompt le silence pour plaider son innocence.

Par Zohra Abid


Le 15 décembre 2011, le parti Ettakatol a officiellement présenté la liste de ses candidats aux postes des ministres et secrétaires d’Etat à Hamadi Jebali, chef du Gouvernement. Deux jours après, Khayam Turki, candidat au portefeuille du ministre des Finances, s’est rétracté. Que s’est-il passé ?

Dans le marigot tunisois, tout finit par se savoir. La nouvelle a donc vite fait le tour. Mais pourquoi cette rétractation, non expliquée ? Surtout que Khayam Turki aurait bien convenu au poste.

En fait, peu après l’annonce de la première liste du gouvernement, le parti Ennahdha a reçu une alerte d’un cabinet d’avocats. Ce qui a chamboulé le programme et fait reculer l’annonce du nouveau gouvernement. Selon ce cabinet, M. Khayam serait impliqué dans des dossiers lourds en relation avec des fonctions occupées antérieurement aux Emirats arabes unis. L’information publiée par Kapitalis a fait un buzz, obligeant M. Turki à tenir, dès le lendemain, une conférence de presse pour répondre à ces accusateurs.


Khayam Turki pendant la conférence de presse.

La success story d’un golden boy

Au siège d’Ettakatol à l’avenue de Madrid à Tunis, les amis de Khayam Turki et plusieurs membres d’Ettakatol ont tenu à être à ses côtés et à lui apporter le soutien qu’il faut dans un moment délicat de sa carrière.

Au micro, devant un parterre de journalistes, les traits tirés, Khayam Turki a commencé par passer en revue son parcours professionnel et personnel. «Je m’appelle Khayam Turki. Je suis l’enfant d’un diplomate», a-t-il commencé par dire. Né à Paris, en France, le fils de diplomate a vécu longtemps à l’étranger. Il a fait ses études dans des écoles, collèges et lycées de La Haye, Rome, Tunis, Stockholm et Londres. Plus tard, il sera diplômé de l’Ihec de Carthage, de Sciences politiques Paris et de l’Université américaine du Caire. En 1992, il est entré par la grande porte dans le monde des finances, du commerce international et de l’immobilier.

«J’ai travaillé à Londres à la City (Société générale investment banking) en tant qu’analyste financier spécialisé du monde arabe», raconte M. Khayam. Par la suite, il a intégré le groupe des médias Founoun au Caire. Avec du bagage et un bon carnet d’adresses, il s’est trouvé propulsé dans le monde des affaires. En 2006, il intègre le National Holding émirati, spécialisé dans l’investissement immobilier et touristique. Cette expérience n’a duré que 2 ans. Pourquoi a-t-il quitté cette société ?

M. Turki a préféré ne pas s’étaler sur la gestion de cette entreprise, qu’il a quittée pour se mettre à son propre compte et tisser des liens avec les professionnels de l’industrie et des finances un peu partout dans le monde.

Le rêve serait mort dans l’œuf

Voilà pour le parcours de l’ex-futur ministre des Finances, reste le vif du sujet : sa nomination dans le gouvernement, sa rétractation, les accusations des avocats de la National Holding…

«Au lendemain de la révolution, j’ai intégré Ettakatol aux côtés de Mustapha Ben Jaâfar. Au départ, en tant que conseiller politique puis, vers mai avril, je me suis engagé complètement dans la campagne électorale du parti», raconte encore M. Turki, avant d’enchaîner : «J’ai été proposé par mon parti pour être à la tête du ministère des Finances. J’ai été très content». Mais voilà, le petit bonheur de participer au premier gouvernement élu démocratiquement ne durera pas plus de deux jours.
«Un membre d’Ennahdha m’a appelé, ajoute-t-il, pour me dire qu’un dossier me concernant vient de tomber aux mains du nouveau gouvernement». Suite à cette «bombe», M. Turki s’est dépêché pour voir Hamadi Jebali et Mustapha Ben Jaâfar. «Tous deux étaient très gênés et ont voulu trouver une issue», se souvient M. Turki. Le moment était dur. «J’ai appris plus tard que je suis la cause du retard de la présentation officielle de la liste du nouveau gouvernement. Là, je me suis dit : je ne serais pas une machine froide ou un clou qui va encore retarder la formation d’un gouvernement qui doit se mettre vite en place», ajoute M. Turki. Il a donc décidé de se retirer et de se consacrer à sa défense, surtout qu’il ignore complètement le contenu du dossier en question et les allégations du cabinet d’avocat.

Fier de la position d’Ettakatol

«Après la parution regrettable d’un article sur Kapitalis, j’ai compris que les choses ont pris une autre tournure et j’ai senti des menaces de la part du cabinet d’avocats. Je vais en tout cas poursuivre ce cabinet», dit M. Khayam. Le financier se dit convaincu que, derrière cette polémique, il y aurait des individus qui cherchent à nuire à sa personne, au parti Ettakatol et à la coalition gouvernementale. «Ont-ils tenté de nous détruire ? Je vous dis que je suis fier de la position d’Ettakatol qui se range de mon côté, comme j’étais très fier aussi le jour où j’ai entendu que j’allais être le ministre des Finances et que j’allais participer au changement du pays. J’ai déjà été dans la commission qui a traité le dossier des finances dans Ettakatol et j’ai planifié des réformes radicales dans la douane, dans le fisc, etc.», a-t-il précisé. Et d’ajouter qu’il respecte l’actuel ministre des Finances Houcine Dimassi qui l’a remplacé. N’empêche que l’homme a semblé très affecté. Mais pas au point de désarmer. Il a été blessé, mais il reste debout. «Je demeure militant d’Ettakatol, un responsable politique, mais mon émotion est énorme», conclut M. Turki.

Mohamed Bennour, porte-parole d’Ettakatol, a diffusé, de son côté, un communiqué où les membres du parti dénoncent les pratiques du cabinet d’avocats accusateur, qui n’a pas gardé la confidentialité d’un dossier dont l’existence n’est même pas encore confirmée : «Le parti restera solidaire avec M. Turki, connu pour son intégrité et sa transparence. Notre parti condamne les pratiques de certaines forces inconnues qui agissent pour nuire aux gens dignes», lit-on dans ce communiqué qui laisse tout le monde sur sa faim.

Mais qu’y a-t-il donc de si grave dans ce soi-disant dossier qui a retardé la proclamation officielle de la composition du gouvernement et qui a valu sa place à un candidat sérieux au ministère des Finances ? Mystère et boule de gomme...