L’avion transportant la dépouille de Yousri Triqi s’est posé mercredi à 14h45 à l’aéroport de Tunis Carthage. Une cérémonie de recueillement a été organisée sur place notamment par des centaines de salafistes.

Reportage de Zohra Abid


L’heure de l’arrivée de l’avion en provenance de l’Irak via la Jordanie avec, à son bord, le corps de Yosri Triqi a été annoncée sur les réseaux sociaux. Sur le tableau d’affichage de l’aéroport de Tunis Carthage, l’avion a atterri avec un peu de retard, vers 14h40.


Fakher Triqi et ses trois enfants

 

Noir, c’est noir !

13h30, il y a foule à l’aéroport. Une foule habituelle. Mais pas la grande foule qui devrait, comme prévu, accueillir la dépouille de Yosri Triqi, exécuté le 16 novembre courant après avoir été arrêté en 2006 et torturé dans les prisons irakiennes pour avoir participé à l’explosion de Samara au nord de Baghdad. Aucun membre de la famille de Yousri Triqi n’est à l’horizon. Il n’y a eu ni la famille ni les amis, ni les défenseurs des droits de l’homme dans le hall de l’aéroport. Bizarre !


la prière du mort sur le gazon de l'aéroport

14h20, nous apprenons que la dépouille sera remise à la famille de Yousri Triqi au fret. Les quelques gens perdus comme nous se sont dépêchés sur les lieux. Le tronçon de l’avenue Yasser Arafat qui sépare l’aéroport international de celui du fret était plein à craquer. Pas une place pour pouvoir se garer ni au parking ni même sur les bas-côtés. Une caravane de voitures de police en stationnement. Des unités de sécurité font ce qu’ils peuvent pour rendre la circulation plus fluide. Dans les parages, une unité de militaire en renfort, on ne sait jamais !  Puis... c’est la foule. La grande foule. Des femmes en niqab tout en noir, des barbus généralement en noir, des femmes voilées, d’autres pas. Pas loin, des policiers en civil se font très discrets. Mais montent la garde.


L'attente de la dépouille

La prière du mort

Les barbus ont reçu l’ordre de leur imam. Ils posent leurs étendards noirs estampillés de versets de Coran à même le gazon et se mettent à prier. La prière du mort. En silence. Une fois, deux fois... plusieurs fois.

Entre deux prières, ils donnent de la voix ! Une voix qui donne la chair de poule. Ils scandent en chœur «Allahou Akbar», «A mort les Croisés !», «A mort les ennemis de Dieu !», «Le sang du martyr Yosri mayemchich hba !», et même un très étrange «Ya Yousri : transmets nos saluts à notre cheikh Ben Laden...».


Ya Yousri transmets notre salut à notre cheikh Ben Laden

Pas loin d’eux, d’autres personnes brandissent d’autres slogans. Il s’agit des familles d’autres Tunisiens détenus en Irak. «Mon fils est installé en Irak depuis 2005. Il a fondé une famille et sa situation est en règle. On l’a accusé de terrorisme et arrêté. Après avoir prouvé son innocence, il a purgé quand même une année. Quelques mois plus tard, on l’a arrêté à nouveau et jeté en prison. Ça fait près de six ans. J’ai peur qu’il finisse comme Yousri. J’espère que les autorités tunisiennes interviennent et fassent le nécessaire à temps pour rapatrier nos enfants», raconte une maman.

Comme cette mère meurtrie dans sa chair, plusieurs parents appellent les défenseurs des droits de l’homme et le gouvernement à faire un geste pour les enfants du pays.


Le cercueil de Yousri Triqi porté par des compagnons

Où est passée la famille de Yousri ? «La maman est à plaindre et ne peut faire le déplacement de Sfax. Mais le père, les frères, les oncles et les cousins sont là», nous a dit la voisine de la famille. Son teint est comme un citron pressé. Dans la foule, nous cherchons les proches de Yousri.


Le Samu transporte la dépouille de Yousri vers Sfax

Une fête pour le «martyr»

Seuls les journalistes et les proches de Yosri ont eu droit de franchir la porte et de s’approcher de la piste où s’est posé l’avion. «Pour être franc, mon fils est allé en Irak pour combattre, au nom de l’islam, les Américains. Lorsqu’il est parti en Irak en 2003, je n’étais pas au courant. Mais auparavant, j’ai senti qu’il avait une idée en tête et je lui ai même confisqué son passeport. Il a réussi à le reprendre et à partir. En 2003, j’étais opposé à son projet. Mais aujourd’hui, si on me dit qu’il faut envoyer Malek (17 ans), Moez (20 ans) et Ahmed (24 ans), mes trois autres enfants, pour combattre, je ne dirais pas non», nous a lancé Fakher Triqi, père de Yousri. Et d’ajouter que lui-même serait partant pour se battre pour l’indépendance de l’Irak ou ailleurs. Et d’insister : «Les Américains ont droit à une coalition pour nous combattre. Nous aussi, nous devons avoir une structure, comme une armée, pour nous défendre et c’est légitime», a-t-il martelé.

M. Triqi n’a pas oublié en passant de remercier tous les politiques qui l’ont soutenu et qui ont fait ce qu’ils pouvaient pour intervenir avant l’exécution de son fils. «Mon fils est un martyr. Sa mère est restée à Sfax pour préparer la cérémonie... Notre fils est un martyr, répète-t-il, il est mort pour défendre ses frères en Irak et il faut fêter sa mort», a-t-il dit en souriant. Un sourire étrange, où pointe une douleur lancinante.

Clignotants en détresse

Selon M. Triqi, le corps de son fils sera transporté immédiatement à l’hôpital de Sfax pour autopsie avant d’être inhumé vendredi dans sa région. «C’est pour voir s’il a été torturé avant et après son exécution ou non. Afin de présenter son dossier à la justice internationale. Mon fils n’a pas été l’auteur de l’explosion. Pour une explosion, il faut des techniciens spécialisés», dit encore M. Triqi. Selon lui aussi, le juge d’instruction au tribunal de Sfax a pris en main, mercredi, l’affaire de Yousri et va faire le nécessaire pour démontrer qu’il était «innocent».

15h25, se profilent une estafette blanche, un Samu suivi d’un gros camion militaire. Les véhicules ont mis les clignotants en détresse... A la sortie, les barbus prennent d’assaut le Samu qui s’est arrêté. Quelqu’un leur ordonne de se mettre à genoux. Tout le monde s’est exécuté.

Quelques uns avancent avec leurs drapeaux noirs vers le Samu, collent sur le pare-brise une affiche où ils ont griffonné un hommage au «martyr» à côté de sa photo. Puis c’est le silence qu’impose la mort. On fait sortir le cercueil. Les «Allahou akbar» fusent de partout. Une dernière prière avant de remette le cercueil dans le Samu.

J’ai tenté de me frayer un petit chemin pour pouvoir prendre des photos. Pas facile. Un barbu m’a crié dessus : «Hé, femme, que faites-vous parmi les hommes !». Je lui réponds que je fais mon boulot. «Boulot, vous les journalistes, tous dans le même sac. Arrêtez de vous en prendre à nous», réplique son voisin. Du coup, un autre barbu leur lance un regard perçant et me demande pardon. Les deux jeunes se sont tus. 16 heures et quelques, le Samu redémarre. Direction : Sfax. Un cortège de voitures suit au ralenti. Les feux clignotent...

Une histoire qui finit. Yousri sera inhumé parmi les siens. D’autres Tunisiens, en Irak, en Afghanistan et ailleurs, sont encore perdus dans les sentiers du jihad ! Et tous ces jeunes devant moi, qui semblent envier le triste sort de Yousri…