Nabil Abdenadher, universitaire, formateur de l’Atide et observateur des élections de l’Assemblée constituante, raconte sa mémorable journée du 23 octobre.

Propos recueillis à Genève par Haykel Ezzeddine


 

«Ce 23 Octobre 2011 restera à jamais gravé dans ma mémoire. Pour la première fois de ma vie, j’ai pu «vivre» de vraies élections démocratiques et voté librement. Ce jour-là, je n’étais pas seulement citoyen électeur, mais aussi superviseur d’un groupe d’observateurs de l’Atide.

Tout simplement voter…

«6h15 : 45 minutes avant l’ouverture des centres de vote, j’étais déjà en «poste» avec mes observateurs pour les dernières retouches. Les consignes sont claires : un observateur est par définition indépendant, neutre et passif. Sa mission est de noter et transmettre les irrégularités. Le mot d’ordre est donc : «Pas de couleur, pas d’odeur, pas de goût».

«6h30 : Je voyais les premiers électeurs commencer à affluer. Les responsables de bureaux et centres de votes ouvraient leurs portes pour les observateurs et les représentants de partis.

«7h00 : Sous un soleil rayonnant, de longues files d’attentes se dessinaient déjà devant les centres et bureaux de vote qui ouvraient leurs portes au public.

«10h00 : Dans les cinq centres dont j’avais la responsabilité, les files d’attentes serpentaient les rues. Cela ne semblait pas décourager les gens qui continuent à affluer. Sous un soleil de plomb, munis de bouteilles d’eau, de casquettes, de parapluies, jeunes et moins jeunes parlaient, discutaient, vivaient ces instants de liberté tant attendus. Libres et fiers de pouvoir enfin valoriser sa voix, exprimer sa préférence… tout simplement voter.

«Entre 7h et 19h : Je parcourais à intervalles réguliers les cinq centres de vote. Je répondais aux questions des observateurs, les remplaçais lorsqu’ils allaient voter et assurais le relais avec le centre régional de l’Atide. Certains électeurs me posaient des questions, pensant que j'étais l’un des responsables du centre de vote. Malgré le nombre important d’électeurs, l’organisation était au rendez-vous.

«19h : Certains bureaux de vote ont déjà fermé et commencent le dépouillement. D’autres continuent à recevoir les électeurs présents. Les premiers résultats s’afficheront sur les portes dans quelques heures.

Deux cadeaux au monde arabo-musulman

«Peu importe les vainqueurs «politiques» de ces élections. L’essentiel est que la Tunisie a pu franchir le premier pas dans la mise en place d’une culture démocratique suffisamment stable et ancrée dans les esprits pour faire barrage à toute tentative de dérive. Dans cette logique, il n’y a que des vainqueurs, pas de vaincus. Les perdants «politiques» d’aujourd’hui seront certainement les gagnants de demain.

«En cette année 2011, la Tunisie offre au monde arabo-musulman deux cadeaux. Le premier, involontaire et improvisé, a été livré le 14 Janvier 2011.

«Le second, minutieusement préparé et packagé, a été offert le 23 Octobre 2011.

«En cette fin 2011, si je suis fier d’être Tunisien, c’est bien parce que ce pays est sans nul doute le seul dans le monde à avoir offert à ses fils, en l’espace de quelques mois, une révolution pure comme l’eau de roche et des élections dignes des grandes démocraties.»

* Nabil Abdenadher, professeur à l’Université des sciences appliquées de Suisse occidentale (Hes-So, Hepia Genève), a été un observateur de premier plan pour ces élections. Professeur émérite, constamment sur le départ, vivant entre la Suisse et la Tunisie, presque à part égale, a bien voulu raconter son expérience avec cette démocratie naissante.
Pour l’Association tunisienne pour l’intégrité et la démocratie des élections (Atide), il a formé les observateurs indépendants de Genève et de Lausanne avant de regagner Tunis pour assister un autre groupe sur place.