La Tunisie vient de rater une opportunité historique. Le gouvernement transitoire a refusé de soutenir la candidature d’un Tunisien pour le poste de directeur général de l’Oms pour la région de la Méditerranée orientale (Emro). Un flop au mauvais moment ! Par Mourad Teyeb


 

Dr Habib Latiri, un expert international qui a occupé des hautes fonctions au sein de l’Organisation mondiale de la santé (Oms) pendant près de trente ans (voir bio ci-dessous), a tout fait pour entrer en lice dans les prochaines élections du poste de directeur régional pour la zone Emro.

Se basant sur son expérience et sa popularité aussi bien au sein des instances internationales, l’Oms en premier lieu, que dans le monde du développement mondial et de la santé, Latiri s’est minutieusement préparé et n’a rien laissé au hasard pour se porter candidat au poste et oser une rude concurrence avec des candidats pas meilleurs mais beaucoup plus soutenus que lui.
Tout allait normalement et Dr. Latiri se préparait à une phase importante de la procédure : lancer une campagne électorale mondiale digne de l’importance de l’enjeu. Il était déjà en pleine campagne quand la révolution tunisienne s’est déclenchée, en janvier dernier.

L’ex-ministre de la Santé a la tête ailleurs

Dr Latiri, qui nous raconte tristement sa mésaventure, accueillait les événements en Tunisie avec joie. «Le renouveau du pays sera plus fort que toute campagne», pensait-il. «La révolution tunisienne donnera certainement à ma candidature un coup de fouet génial et je ne peux rêver de mieux».


Dr Habib Laatiri


Dr Habib Laatiri

A peine les choses se sont-elles calmées en Tunisie, Dr Latiri a pris contact avec les nouvelles autorités, entre autres le ministère de la Santé publique, pour expliquer sa stratégie et solliciter le soutien officiel du pays. Cette dernière mesure est un geste à la fois politique et indispensable, puisqu’exigé dans le dossier de la candidature.

«La Tunisie avait une occasion en or pour arracher un poste mondial. Mais, contre mes attentes et à ma stupéfaction, (l’ancienne) ministre de la Santé, Habiba Ben Romdhane, a ignoré toutes mes lettres et sollicitations pour la rencontrer et n’a montré aucun intérêt pour le sujet».

Ensuite, Radhouane Nouisser, alors secrétaire d’Etat au ministère des Affaires étrangères, informe Dr Latiri que la Ligue des Etats arabes «a décidé de donner le poste au candidat de l’Irak». Ce qui est erroné puisque les hauts responsables du bureau de l’Oms au Caire lui ont confirmé que la Ligue arabe «n’a pris aucune décision à ce sujet».

Béji Caïd Essebsi et Mouldi Kefi aussi…

Le 28 avril et le 28 mai derniers, Dr Latiri a adressé des lettres à Béji Caïd Sebssi (dont nous avons des copies) lui demandant l’appui officiel du gouvernement à sa candidature. Il attend toujours une réponse !

Idem pour celle adressée le 21 juin dernier à Mohamed Mouldi Kéfi, ministre des Affaires étrangères, de la part de Lorna Hahn, une activiste américaine de renom basée à Washington, au nom de la société civile dans plusieurs pays.

Dr Habib Latiri a même coordonné ses efforts et sa stratégie avec l’ambassade tunisienne à Washington (à travers Mohamed Salah Tekaya, alors ambassadeur) et la représentation tunisienne à l’Onu (à travers Ghazi Jomaa, alors ambassadeur). Mais en vain.


Dr Habib Laatiri

«Je ne pouvais donc obtenir l’accord du gouvernement tunisien pour annoncer officiellement ma candidature», regrette ainsi Dr Latiri. «C’est drôle que le Premier ministre ne réponde pas aux correspondances que moi-même et d’autres parties lui ont adressées au sujet de la candidature tunisienne».

En effet, la présentation des candidatures était close le 7 juillet, ce que le gouvernement tunisien n’a pas fait. Les élections sont prévues le mois d’octobre prochain en Egypte.

C’est donc raté. Les pays qui ont présenté des candidats à ce poste poursuivent leurs campagnes électorales. Mais pas la Tunisie !

Pourtant, tout laissait croire que le candidat tunisien allait rafler la mise. Puisque l’Egypte, l’Iran et les pays du Golfe ont déjà dirigé la région Oms de la Méditerranée orientale, c’est au tour du Maghreb d’en bénéficier. Ceci pouvait être un argument sérieux d’autant que la 63e Assemblée générale de l’Oms a traité de la possibilité d’élire le directeur général sur la base d’une rotation régionale.

Des ministères aux abonnés absents

Dr Latiri aura tout fait pour saisir le gouvernement dans le but «d’arracher» son consentement à la candidature tunisienne mais en vain. Les parties directement concernées par sa candidature, le ministère des Affaires étrangères et le ministère de la Santé publique, n’ont répondu à aucune de ses maintes correspondances officielles et officieuses, directes et indirectes à ce sujet.

Sous prétexte qu’ils étaient (sont ?) provisoires, les ambassadeurs de la Tunisie à Washington et à New York se sont, à leur tour, abstenus de donner le moindre intérêt à ses sollicitations. C’est à se demander ce qu’ils font à leurs postes respectifs !
Pour ne pas nous accuser de complicité ou de partialité, loin s’en faut, on a tout fait pour avoir la position officielle des départements concernés. Voici le résultat.

Le Premier ministère nous a appelé, par le biais de son porte-parole, à traiter le dossier avec le ministère des Affaires étrangères qui est, selon eux, «le premier responsable des missions tunisiennes internationales».

Renseignement pris. Le ministère des Affaires étrangères nous a renvoyé «au département concerné», le ministère de la Santé publique dans ce cas, puisque, nous disent-ils, pareils dossiers «sont traités par la tutelle qui couvre le secteur concerné».

Nous sommes donc dirigés vers le ministère de la Santé publique. Suivant la procédure hiérarchique connue (l’attaché de presse qui vous renvoie à la direction concernée qui vous désigne la personne à contacter), nos efforts sont restés vains. Après deux semaines de va-et-vient et d’appels téléphoniques, monsieur le chargé des affaires internationales (Hichem Ben Abdesslem), est tout simplement injoignable. Ou peut-être était-il très (trop) occupé pour répondre à un journaliste.

On a fini par laisser tomber. Car ça ne changerait rien à la réalité malheureuse : la Tunisie vient de perdre une occasion en or pour se distinguer mondialement sur les plans politique et diplomatique !

Un CV pourtant impressionnant

Né en 1949 à Hammam-Sousse, Tunisie, Dr. Habib Latiri a obtenu une licence en sciences de la communication (gestion des affaires) de la B. Franklin University, Washington DC, en 1974.

En 1981, il a obtenu un doctorat en administration de la santé publique (gestion des soins de la santé), de la Southeastern Nova University, Florida.

Entre 1987 et 2001, il a eu un certificat de formation pratique en gestion des soins de la santé, de Harvard, Boston, et un autre en réforme du secteur de la santé, de l’Institut de la Banque mondiale/Harvard University, Washington DC, États-Unis.

Dr. Latiri a réalisé plusieurs études et recherches spécialisées pour le compte d’organismes internationaux. Il a passé une carrière de 30 ans à l’Oms. En 1974, il rejoint le Bureau régional du Paho/Oms aux Amériques après avoir achevé un programme de formation chez Howell & Company.

En 1975, il occupe le poste coordinateur des soins de santé de la mère et de l’enfant à Haïti, Paho/Oms jusqu’à ce qu’il soit nommé directeur du bureau des dons et des fonds extrabudgétaires, Paho/Oms, Washington, en 1982.

En 1985, il est nommé conseiller régional en gestion de la santé et chef du programme assurance maladie de l’Oms pour les Amériques et conseiller régional en gestion de la santé: il a ainsi assuré une assistance technique aux gouvernements de la Colombie, du Pérou, du Chili, de Costa Rica, du Honduras et du Haïti, Paho/Oms, Washington DC.

En 1990, il est promu directeur du programme assurance maladie, Paho/Oms, Washington DC, États-Unis.

En 1995, il devient représentant du Paho/Oms au Suriname et, en 1995, acteur pour l’Unicef et la Fao et coordinateur résident de l’Undp au Suriname jusqu’ à 2000.

De 2000 à 2004, il est nommé représentant de l’Oms (WR) au Liban. Et de 2006 jusqu’à présent, il est conseiller supérieur auprès de l’Oms, à Washington DC, et autres organismes internationaux.

Il a aussi mis plusieurs projets de gestion des programmes et des systèmes d’information sur la santé et donné des dizaines de présentations techniques dans les quatre coins du monde.

Dr Latiri est l’auteur de plusieurs articles et ouvrages sur la gestion, les systèmes d’information, l’assurance qualité, le financement, etc., dans tous les domaines liés à la santé et au développement de la couverture médicale.

Il a obtenu plusieurs récompenses dont la Médaille de Paho/Oms pour le meilleur bureau dirigé (Bureau des Amériques), en 1998. Il a aussi mis toute son expérience et tous ses contacts au sein de l’instance internationale pour faciliter la réouverture du bureau de l’Oms à Tunis, qui était resté fermé pendant 20 ans. Ce bureau a été inauguré le 12 juillet 2009.