Un documentaire intitulé ‘‘Parmi les Justes’’, dont l’essentiel de l’enquête s’est passé en Tunisie, sera diffusé sur Arte en France et en Allemagne, le mercredi 2 juin à 21h. Son réalisateur, Robert Satloff, directeur du Washington Institute for Near Policy, y raconte les histoires oubliées sur les «justes arabes», ces Arabes qui ont aidé à sauver des Juifs pendant la seconde guerre mondiale, notamment celle du Tunisien Khaled Abdelwahab.

Khaled Abdelwahab a ainsi sauvé 25 Juifs appartenant aux familles Boukhris et  Uzzan en les cachant dans sa ferme de Mahdia pendant quatre mois, durant l’occupation de la Tunisie par l’armée nazie… Ce notable musulman, décédé en 1997, fils de l’historien Hassen Hosni Abdelwaheb, avait recueillis, au milieu de la nuit, ces familles juives et les a transportées à la campagne, loin des regards des espions. Il voulait surtout protéger une femme juive, Odette Boukhris et sa fille Anny (11 ans à l’époque) des entreprises d’un officier allemand spécialiste du viol. C’est le témoignage d’Annie, longtemps après les faits, qui a été enregistré par Satloff. Ce dernier s’est rendu à Mahdia même pour confirmer ce récit.

Des héros arabes
Durant son enquête, le réalisateur a appris que beaucoup de Tunisiens avaient, à l’époque, caché des Juifs qui étaient leurs voisins, amis ou relations d’affaires. La Tunisie était alors le seul pays d’Afrique du Nord à avoir été occupé directement par les troupes du IIIe Reich (de juin 1940 à mai 1943). Moncef Bey, le souverain de l’époque, avait résisté aux pressions des autorités d’occupation française proches de Vichy qui voulaient soumettre la minorité juive tunisienne au régime du travail forcé, soulignant le fait qu’il est le Bey de tous les Tunisiens et que les Juifs sont aussi ses sujets au même titre que les Musulmans.
Dans ‘‘Parmi les Justes’’, Satloff raconte ses efforts pour fournir, depuis huit ans, une réponse au problème de l’ignorance de la Shoah dans le monde arabe. Il pose également une question que personne n’avait jamais posée: y a-t-il eu des Arabes qui ont sauvé des Juifs pendant la Shoah? Et, au terme de son enquête, il en a trouvé plusieurs, dont Khaled Abdelwaheb.
Le voyage du réalisateur, qui a commencé dans les rues de Manhattan le 11 septembre 2001, l’a emmené dans onze pays de quatre continents sur les traces de ces héros arabes qui ont contribué à protéger les Juifs lors de la Shoah. Sur le chemin, il a déniché une histoire inexplorée de ce qui s’était réellement passé au demi-million de Juifs en terres arabes d’Afrique du Nord sous la domination nazie. Il passe ainsi des ruelles labyrinthes de Tunis et de Mahdia, du souk animé de Fès aux camps de travail forcé dans le désert le long de la frontière entre le Maroc et l'Algérie : ‘‘Parmi les justes’’ explore ainsi peut-être la dernière histoire cachée de la Shoah.
Outre la Tunisie, le film a été tourné dans sept autres pays, dont le Maroc, la France et Israël.
Nous reproduisons ici, avec son aimable autorisation, la lettre adressée au réalisateur du film par notre ami Habib Kazdaghli, professeur d’histoire contemporaine à l’Université de Tunis-Manouba, spécialiste d’histoire des minorités en Tunisie, et notamment de la minorité juive, à laquelle il a consacré de nombreuses études.

Habib Kazdaghli écrit à Rob Satloff

«Cher Rob,
Je viens de regarder votre film qui vient de passer sur la chaîne américaine ‘‘Al Hurra’’. Je vous félicite pour cette enquête minutieuse sur un dossier très délicat et, à propos duquel, les témoins sont devenus très rares aussi bien du côté des Juifs que de celui des Musulmans. J’espère que les Tunisiens et aussi les Marocains et Algériens ainsi que le reste du monde arabe pourront avoir l’occasion de le voir et de le discuter. De même qu’il motivera d’autres recherches historiques autour d’un thème qui est, malheureusement, resté piégé par le politique (il est encore l’otage des tensions entre Arabes et Israéliens, chacun des deux parties a peur de l’autre). Le film contribuera, j’en suis sûr, à favoriser ce débat sur l’oubli et l’amnésie.»
L’historien exprime cependant : «Deux regrets à propos du film: 1- Au cours du débat autour de la question à la Bibliothèque nationale de Rabat, vous avez filmé un monsieur qui a quitté la salle en guise de protestation contre le fait qu’on évoque l’holocauste des Juifs et on oublie ce qui se passe pour les Palestiniens. Cette position existe bien. Je dirai que c’est une attitude fréquente (vous lui avez donné l’occasion de s’exprimer). Cependant, le spectateur note bien que le reste des présents ne l’ont pas suivi. C’est le plus important à mon avis. Cependant, votre caméra ne leur a pas donné la parole. Au Maroc, comme à Tunis, vous avez rencontré des historiens qui ont coopéré avec vous pour chercher la vérité qui vous intéresse, ils vous ont bien dit et répété que tout ce qui concerne l’histoire des Juifs relève de l’histoire plurielle de la Tunisie et du Maroc. Ils vous l’ont dit et confirmé au mois de juillet 2009 à Washington. Nous sommes, certes, un peu à contre-courant, mais toutes les vérités ont commencé à être un peu marginales au départ, on ne désespère pas et votre film contribue à éveiller les esprits.
2- Ma deuxième remarque : autant j’ai aimé la cérémonie organisée à la mémoire d’Abdelwaheb, je reste un peu sceptique sur votre insistance pour montrer que les Israéliens d’aujourd’hui pourraient reconnaître qu’il y a eu des Musulmans qui les ont aidés. Je pense que le plus important est de montrer cette aide indépendamment de l’attitude des Israéliens. Ceux qui l’ont fait, c’est tout d’abord par devoir d’aide à leurs compatriotes juifs qui ont toujours vécu avec eux. Et c’est par devoir de coexistence et de respect pour l’autre, certes différent d’eux, au niveau religieux mais avec lequel ils se sont habitués à vivre.
J’ai peur que l’évocation de l’attitude des dirigeants israéliens par rapport à cette question ne crispe les esprits de ceux qui vont voir le film parmi les Arabes...
Bien entendu, ces remarques n’altèrent en rien le contenu et la qualité du film.
Bravo encore une fois et j’espère qu’il sera diffusé le plus possible dans les pays arabes et surtout dans les pays d’Afrique du Nord puisqu’il évoque ces pays en premier lieu.»