Le crash de l’hélicoptère militaire à Mejez-El-Bab, le 30 avril 2002, qui a coûté la vie à 13 victimes, pour la plupart de hauts officiers de l’état-major, n’était pas le fait d’une manigance de l’ex-président.


C’est le ministère de la Défense nationale qui l’affirme. Dans le communiqué publié aujourd’hui, le ministère ne se contente pas de démentir les affirmations de certains journaux et chaînes de télévision attribuant le crash de l’hélicoptère militaire, alors qu’il retournait d’une mission d’inspection dans la région du Kef, à 170 km de Tunis, dans zone frontalière de l'Algérie (nord-ouest ), à un «complot» de l’ancien président voulant «liquider certains responsables militaires», il critique aussi le «sensationnalisme médiatique» dans le traitement de cette affaire.

La Grande muette rompt le silence  
La Grande muette, devenue quelque peu loquace depuis quelques jours, reproche aux médias écrits et audiovisuels d’avoir affirmé que l’accident était commandité, «sans vérifier les faits ou mener une sérieuse investigation». De surcroît – comble de l’insouciance! –, les médias n’ont pas pris en considération les répercussions de telles informations sur les familles des victimes et l’opinion publique, regrette le ministère.
«La diffusion de telles informations, sans vérification préalable, affecte la crédibilité de l’armée nationale réputée, depuis sa création, pour son patriotisme responsable, sa discipline et son dévouement au service de la patrie», ajoute le communiqué. Qui rappelle les résultats de la commission d’enquête comprenant des experts militaires tunisiens et des spécialistes américains du constructeur de l’appareil. Ces derniers ont révélé, selon l’armée nationale, que «l’enquête technique et balistique» a conclu que le crash de l’hélicoptère est dû à «une panne technique au niveau des hélices (rotor principal et rotor de direction)».
Ces précisions du ministère de la Défense nationale interviennent à la suite des récentes publications sur des journaux tunisiens, des réseaux sociaux ainsi que dans le documentaire ‘‘Chute d’un régime corrompu’’, diffusé mardi 19 avril sur la 1ère chaîne de télévision nationale, imputant le crash de l’hélicoptère à «une opération de liquidation commanditée par Ben Ali».
Conclusion: l’ancien raïs a peut-être d’autres crimes sur la conscience, mais pas celui-là. Sauf que les précisions de l’armée n’expliquent pas pourquoi les familles des victimes n’ont pas eu droit, à l’époque, aux explications qui leur étaient dues sur les circonstances du crash. L’épouse de l’un des officiers morts a même affirmé, dans le documentaire de la 1ère chaine de télévision nationale,  n’avoir jamais pu voir la dépouille de son mari et que, par conséquent, elle a encore du mal, neuf ans après, à faire son deuil.

Les circonstances du crash
Les victimes étaient treize officiers et sous-officiers dont le général Abdelaziz Skik, chef d’état-major de l’armée de terre, qui jouissait à l’époque d’une grande popularité au sein de l’armée, et même en dehors.
La soixantaine, le général Skik avait alors été nommé à cette fonction à peine cinq mois plus tôt. Il avait succédé au général Mohamed Hédi Ben Hassine, parti à la retraite. Le général Skik avait conduit en 1992 le contingent tunisien relevant des forces onusiennes de maintien de la paix au Cambodge (Apronuc).
Selon la chronique de l’époque, les corps des victimes avaient été acheminés aux alentours de 4 heures du matin vers l’hôpital militaire de la capitale par des ambulances militaires. Le lendemain une cérémonie eut lieu à la caserne de Laouina, présidée par Ben Ali, pour leur rendre un dernier hommage en présence d’un seul membre de la famille de chaque victime. Les corps furent ensuite dirigés sur les villes natales des victimes par des ambulances à l’exception de celui du général Skik qui fut transporté à Bizerte où il résidait à bord d’un hélicoptère accompagné par le ministre de la Défense à l’époque.
Dans un article au quotidien ‘‘Le Temps’’ (28 janvier 2011), notre confrère Mohamed Sahbi Rammah relate les circonstances de l’accident: «Le général avait l’habitude pratiquement tous les mois d’effectuer avec ses collaborateurs des visites périodiques aux gouvernorats de Béja, Siliana, le Kef pour se rendre compte en personne de l’état des lieux de nos troupes sur place. Ce jour là, et comme d’habitude, un hélicoptère s’amena de la capitale à Bizerte avec à bord ses collaborateurs pour le prendre. L’appareil fit son vol habituel et les officiers supérieurs purent accomplir leur devoir avec honneur dans les gouvernorats précités sans le moindre accroc, sans le moindre problème. Curieusement, et sur le chemin du retour, «on» (?) intima l’ordre au pilote de se poser et de… changer d’appareil car celui qu’il pilotait depuis Tunis présentait (?) une défaillance technique. Abdelaziz Skik, mû par on ne sait quel instinct de conservation, un sixième sens développé chez lui au vu de sa longue carrière au sein de l’armée, refusa d’atterrir répondant aux responsables au sol que l’appareil était en excellent état et qu’une fois à Tunis, on verrait bien de quoi il retournait. Mais les responsables au sol insistèrent et en bon soldat il dut s’incliner et obéir. Tout le groupe reprit alors son vol vers la capitale à bord d’un autre hélicoptère… La suite on la connaît: l’appareil à peine décollé et prenant les airs piqua du nez dans une zone montagneuse aux confins de Medjez El Bab. Il s’écrasa lourdement au sol tuant sur le coup tous ses passagers» (fin de la citation).

Des questions sans réponses
On ne sait comment le confrère a pu reconstituer le récit de l’accident. Les morts, on le sait, ne parlent pas. Sont-ce donc les supposés «comploteurs» au sol qui auraient avoué? A qui? Quand? Et qui sont-ils?
Quoi qu’il en soit, et partant des péripéties de la journée tragique telles que décrites dans son récit, le confrère pose les questions «inavouées, inavouables» que se posent encore aujourd’hui les familles des victimes: «Pourquoi ce changement d’appareil? Qui l’a décrété? Comment pouvait-on ‘‘deviner’’ du sol que le premier hélico était défaillant et qu’il fallait le changer? A postériori, cet appareil ‘‘supposé’’ défectueux a-t-il été inspecté par les techniciens, y auraient-ils décelé une défection quelconque? Quelles sont les raisons réelles qui ont précipité le crash du second hélico?» (fin de la citation).
Face à ces interrogations, que légitime l’histoire telle que colportée par les Tunisiens depuis 2002, nous pensons qu’une nouvelle enquête – même interne  – pourrait aider à dissiper l’épais nuage de suspicion qui entoure cette affaire. Un simple communiqué, tout crédible qu’il puisse être, ne suffira pas pour apaiser les cœurs encore endoloris. Même si, on peut estimer, que les conclusions de l’enquête, réalisée à l’époque avec la participation de spécialistes américains du constructeur de l’appareil, semblent crédibles et dignes de foi. Car, a priori, Le constructeur n’a aucun intérêt à apporter la preuve de la défectuosité de ses machines.

Imed Bahri