Beji Caid Essebsi Watania Banniere

Dans sa première interview télévisée en tant que président de la république, Béji Caid Essebsi a voulu dire aux Tunisiens qu'il y a un capitaine calme et serein à la barre.

Par Rachid Barnat

Béji Caïd Essebsi (BCE) s'est adressé aux Tunisiens, pour la première fois en tant que président de la république, 45 jours après son élection.

Pour la forme : Le décor en dit long sur l'homme ! Cette interview a eu lieu au palais de Carthage dans le bureau présidentiel avec, en arrière plan les bustes de Hannibal et de Bourguiba. Il est clair que BCE confirme, par cette mise en scène, sa filiation intellectuelle et politique avec Habib Bourguiba et rappelle que l'histoire de la Tunisie est plus ancienne que ne voudraient nous faire croire certains pour qui l'histoire officielle de la Tunisie commencerait avec l'invasion arabe.

Le président BCE a tenu à marquer son attachement et son respect pour la fonction suprême que son prédécesseur a malmenée. La tenue et le cadre étaient de bon goût. Quant au choix de la chaîne TV, pour sa première interview télévisée en tant que chef de l'Etat, c'est tout naturellement à Watania 1, première chaîne nationale, qu'il l'a accordée.

Saïd Khezami, le journaliste de service, était parfait. Il a fait preuve de professionnalisme jusqu'au bout, n'éludant aucune des questions que se posent les Tunisiens depuis l'élection présidentielle et surtout durant la longue phase de formation du gouvernement.

Caid Essebsi Watania 1

Notre confrère Saïd Khezami n'a éludé aucune question.

Suppression de la taxe de sortie

Pour le fond, BCE rappelle, de prime abord, qu'il est président de tous les Tunisiens et qu'il met la patrie au dessus des partis.

Puis l'interviewer a traité dans l'ordre les questions qui préoccupent les Tunisiens.

Les récentes manifestations à Dhehiba – pour contester la taxe de sortie imposée aux étrangers – et n'auraient pas du avoir lieu, estime BCE. Ils traduisent l'impatience du peuple. Mais les Tunisiens ne peuvent lui imputer leurs problèmes alors que le nouveau Premier ministre et son gouvernement ont à peine pris leurs fonctions. Il a rappelé les «émeutes du pain» en 1984, et comment Bourguiba y a mis fin en annulant l'augmentation du prix du pain. Ce que le gouvernement Essid va faire d'autant que la suppression de la taxe de sortie pour les étrangers est inscrite dans le programme électoral de Nidaa Tounes.

La formation puis la composition du gouvernement, qui ont tenu en haleine les Tunisiens et plus particulièrement les électeurs de Nidaa Tounes comme ceux de BCE, ont nécessité une longue explication de la part du président. Il a rappelé n'avoir aucunement trahi ses derniers électeurs, dont les femmes qui en ont représenté plus de 60%.

Faciliter la tâche du gouvernement

S'il a choisi Habib Essid, un indépendant, c'était pour couper court aux accusations de «taghaouel» (hégémonie) dont certains accusent Nidaa Tounes. Celui-ci a tenté de composer un gouvernement excluant Ennahdha pour se conformer à l'engagement de BCE et à celui de ses électeurs de ne point associer le parti islamiste au pouvoir. Mais le parti Afek Tounes a posé problème et menacé de ne pas accorder sa confiance au gouvernement composé par Habib Essid ce qui le mettait à la merci de l'opposition.

Or le système de gouvernement retenu par la constitution (sous l'influence de la troïka, l'ex-coalition dominée par Ennahdha), nécessite une majorité confortable au parlement pour éviter les blocages et l'instabilité du gouvernement.
Il ne pouvait compter uniquement sur les 110 parlementaires qui lui étaient acquis pour avoir une majorité absolue, car ce chiffre est aléatoire et tributaire d'absence ou de maladie de quelques parlementaires.

BCE ne voulait pas non plus prendre le risque de mettre en difficulté le Premier ministre.

Ne pouvant compter sur le Front Populaire, qui a choisi d'être dans l'opposition, Habib Essid, en accord avec BCE, s'est retourné vers Ennahdha pour permettre au gouvernement une majorité plus large et plus stable qui rassurerait les Tunisiens mais aussi les étrangers désireux d'investir en Tunisie.

Devant le risque d'éclatement du FP, en cas d'alliance avec Nidaa Tounes, BCE a recommandé à ses dirigeants de rester unis car leur parti doit jouer son rôle dans la vie démocratique.

Il assure par ailleurs n'avoir conclu ni alliance ni accord avec aucun parti pour faire partie du gouvernement de Habib Essid, et affirme qu'il n'y a pas eu d'ingérence étrangère dans ses choix.

Beji Caid Essebsi Watania 2

Aucun deal avec Rached Ghannouchi

BCE reconnaît l'existence de dissensions au sein de Nidaa Tounes parce que certains pensent avoir été trahis par une alliance avec Ennahdha, mais il affirme n'avoir conclu aucun deal avec Rached Ghannouchi, le président du parti islamiste, et n'a pas trahi ses électeurs, contrairement à ce que certains colportent.

Par conséquent, il espère que le jeune parti Nidaa Tounes poursuive sa croissance. Il rappelle que si en 1934 Bourguiba fut un dissident, c'était pour la bonne cause. Sa dissidence était «moubaraka» (bénie) parce qu'elle fut à l'origine de l'indépendance de la Tunisie. Quand à celle de certains membres de Nidaa Tounes, elle dénote un manque de maturité politique et un amateurisme.

A propos des incidents lors de la réception des familles des martyrs et des blessés de la Révolution au palais de Carthage, le 14 janvier 2015, BCE a rappelé qu'il ne peut accéder à leur demande de retirer leurs dossiers du tribunal militaire pour le confier aux juridictions ordinaires. Les lois sont ainsi faites. A moins que les parlementaires les changent. Après s'être entretenue avec elles, une par une, il a pu les rassurer en promettant d'aider au règlement de leurs problèmes.

A la question de savoir ce que deviendra le dossier de Chokri Belaid, maintenant que le gouvernement a intégré des Nahdhaouis, BCE a confirmé qu'il est de son devoir moral de respecter l'engagement pris envers les familles des défunts Chokri Belaid et Mohamed Brahmi mais aussi envers les Tunisiens. Il compte sur son Premier ministre pour élucider ces assassinats politiques, et rappelle que celui de Lotfi Nagdh est entre les mains de la justice.

Vers une diplomatie d'ouverture

En ce qui concerne la politique étrangère, BCE a rappelé que la Tunisie par sa taille et par son poids économique ne peut compter que sur son amitié avec les pays qui comptent pour que sa voix puisse être entendue et retrouve sa crédibilité malmenée par son prédécesseur Moncef Marzouki.

Par conséquent, la Tunisie doit pratiquer une politique d'ouverture comme par le passé et surtout éviter des prises de positions intempestives comme celle qu'avait prise son prédécesseur vis-à-vis de la Syrie dont il a congédié l'ambassadeur... qui n'était pas en Tunisie !

La priorité pour la Tunisie est d'avoir de bonnes relations avec ses deux voisins l'Algérie et la Libye, mais aussi d'entretenir des rapports de coopération avec les pays africains, arabes et européens. La Tunisie doit avoir de bonnes relations avec tout le monde, le Qatar compris, rappelle-t-il.

S'il s'en est occupé provisoirement, il laissera ce rôle au gouvernement maintenant qu'il est entré en fonction, mais continuera à prodiguer ses conseils au Premier ministre. Rappelant ainsi le respect de la nouvelle constitution, et la répartition des pouvoirs entre lui et l'Assemblée des représentants du peuple (ARP).

Pour conclure sur une note plus légère, le journaliste a demandé à BCE si les Tunisiens, qui l'appellent affectueusement Bajbouj, pouvaient continuer à le faire maintenant qu'il est président de la République. Naturellement répondit avec le sourire Bajbouj.

A la fin de l'interview, BCE donnait plutôt l'impression d'un homme sage et pragmatique. Ce qui doit rassurer plus d'un en ces périodes difficiles et dans un contexte mondial plutôt défavorable pour la Tunisie. On sent qu'il y a un capitaine calme et serein à la barre.

Wait and see : on verra la suite, pour juger le président.

Si certains sont déçus c'est qu'ils n'ont pas compris que la politique c'est l'art du possible!

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