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Le Qatar et la Turquie demandent à Rached Ghannouchi d'offrir l'asile aux dirigeants des Frères musulmans en Tunisie. Jusqu'à quand pourra-t-il temporiser?

Par Imed Bahri

Alors qu'un projet de loi pour déclarer les Frères musulmans organisation terroriste a été déposé, le 24 juillet 2014, devant le Congrès américain par Michele Bachman de la chambre des représentants et d'autres de ses collègues, Rached Ghannouchi, l'un des principaux dirigeants de l'organisation mondiale des «Frères» subit actuellement des pressions continues du plus grand sponsor des islamistes, l'actuel émir du Qatar, pour le transfert du siège de cette organisation à Tunis.

Le fardeau des Frère musulmans

En effet, lors de la conférence de l'Union des ulémas musulmans (Ittihad Ulama al-muslimin), vitrine idéologique des «Frères», dirigée par le sulfureux imam Youssef Qaradhaoui, en août dernier à Istanbul, le Qatar a demandé officiellement, via ce même Qaradhaoui, à Ghannouchi d'aider au transfert du quartier général des «Frères» de Doha à Tunis.

Pressé par les Etats du Golfe, notamment par l'Arabie saoudite et les Émirats arabes unies, de se débarrasser des dirigeants des Frères musulmans réfugiés sur son sol, cette petite principauté reposant sur la plus grande réserve mondiale du gaz tente de renvoyer la patate chaude à la Tunisie où elle compte des inconditionnels et des obligés.

La réponse de Ghannouchi n'était évidemment pas un refus net, sachant qu'il a beaucoup à y perdre, mais de faire patienter ses amis qataris jusqu'après les élections législatives et présidentielle d'octobre et novembre prochains.

N'oublions pas que le président du parti islamiste Ennahdha avait déjà déclaré que la Tunisie était prête à accueillir les «Frères» d'Egypte renversés par un soulèvement populaire et pourchassés par la justice après que le général Abdelfattah Sissi les ait écartés du pouvoir. La nouvelle constitution tunisienne – dont la rédaction doit beaucoup aux islamistes – admet en effet que notre pays accueille sur son sol des étrangers persécutés par leurs gouvernements.

Ankara ayant refusé d'accueillir le lourd fardeau des «Frères» à Ankara et Doha cherchant à s'en débarrasser sous la pression de ses voisins du Golfe, Ghannouchi joue donc la montre sur ce dossier brûlant en espérant que son parti reviendra aux affaires après les élections et qu'il s'assurera la mainmise sur les leviers de l'État. Il sait, d'autre part, que la société civile tunisienne et les partis modernistes, sauf les obligés du Qatar, s'opposeront avec virulence à une telle décision qui, en plus, mettrait sur le dos de la Tunisie des États frères et amis.

Il faudra donc à Ghannouchi beaucoup de doigté pour ne pas mécontenter ses bailleurs de fonds qataris et ménager la susceptibilité de la classe politique tunisienne.

Ghannouchi-Qaradhaoui-Istanbul

Youssef Qaradhaoui et Rached Ghannouchi au congrès de l'Organisation des ulémas musulmans.

L'étau se resserre sur les islamistes

Rappelons que le leader islamiste a été élu au bureau directeur de l'Organisation mondiale des Frères musulmans, lors de son congrès tenu en Turquie, et chargé de ses structures. Et comme il postule, semble-t-il, avec l'appui de Qaradhaoui, au poste du «guide général» (Al-Murshid Al-Aam), c'est à lui que revient la tâche de trouver un point de chute pour les dirigeants des Frères musulmans après qu'ils aient été chassés d'Egypte et que la Grande-Bretagne, où la plupart des dirigeants islamistes avaient un moment trouvé refuge, commence à se méfier beaucoup d'eux. David Cameron a, en effet, ordonné une enquête à ses services de renseignement pour déterminer si ces dirigeants sont impliqués dans des actes terroristes.

Récemment, l'un des faucons néo-conservateurs américains, lesquels se préparent à revenir aux affaires à Washington, le célèbre Dick Cheney, a déclaré qu'il ne faut pas chercher loin qui est derrière le terrorisme d'Al-Qaida et de l'Etat islamique (Daêch) puisqu'il s'agit des «Frères musulmans».

Dans le préambule du projet de loi intitulé «Les Frères musulmans organisation terroriste», on remonte jusqu'à 1926, date de la création de la «Jamaa» par Hassan Al-Banna et on cite toutes ses déclarations sur le sens du «jihad» ainsi que les objectifs de son organisation consistant à imposer par la force un califat musulman dont celui déclaré récemment au nord de l'Irak n'est qu'un avatar.

Ghannouchi lui-même a publié plusieurs livres où il parle de ce projet, dont il était (et reste) l'un des théoriciens, livres qu'Ennahdha essaye aujourd'hui de faire oublier et de retirer de la circulation.

Que Ghannouchi prenne les Tunisiens pour des idiots en déclarant sur le plateau d'une chaîne tunisienne qu'Ennahdha n'a rien à voir avec les Frères Musulmans, il n'y a que Moncef Marzouki, Mustapha Ben Jaâfar, Néjib Chebbi et d'autres idiots utiles ou intéressés pour le croire sur parole. Mais tout le monde sait, au Caire, à Doha et à Ankara, et dans les sphères islamistes, qu'il est l'un des plus hauts dirigeants de cette organisation. Les Qataris, en tout cas, ne le savent que trop. C'est pourquoi ils lui ont demandé de les aider à se débarrasser d'un fardeau devenu trop encombrant.

Fidèle à son habitude qui consiste à temporiser et à noyer le poisson, affirmant une chose et son contraire, multipliant les petites vérités et les gros mensonges, en attendant des jours meilleurs, Ghannouchi tente de gagner du temps et de voir les résultats des prochaines élections, avant de prendre une décision aussi lourde de conséquence (ramener un nid de vipères à Tunis) et qui pourrait coûter très cher à Ennahdha. Mais jusqu'à quand pourra-t-il mener ses amis et sponsors en bateau? Wait and see!

Illustration: Ghannouchi accueille Qaradhaoui à sa descente d'avion à l'aéroport de Tunis-Carthage, en 2012.

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