Ghannouchi-Mosquee-Banniere

Et si les mosquées tunisiennes étaient déjà conquises par Ennahdha et qu'elles sont devenues des citadelles islamistes imprenables pendant longtemps?

Par Moncef Dhambri

Il a été fait mention, dans la Feuille de route du Dialogue national, de l'obligation de préserver les mosquées des dangers des tiraillements politiques. Le Quartet et les partis de l'opposition qui ont pris part au Dialogue étaient conscients du fait qu'une manche importante du jeu qui allait faire ou défaire l'avenir du pays allait se jouer dans les lieux du culte. Ils avaient donc pris la décision d'inscrire sur la Feuille de route cette absolue nécessité de veiller à ce qu'aucune partie n'exploite la «maison de Dieu» pour servir ses visées.

«Dépolitisation» des mosquées: trop peu, trop tard...

La mission était presqu'impossible. L'état des lieux du culte, aujourd'hui, confirme la règle selon laquelle il ne peut y avoir en Tunisie – avec la révolution inattendue et improvisée que l'on a eue, c'est-à-dire sans aucun contenu idéologique ou autres, et la précipitation avec laquelle les islamistes ont comblé ce vide – d'indépendance des mosquées. Il ne peut y avoir de contenu objectif ou apolitique du discours spirituel ou d'imam du juste milieu.

Ennahdha ne le reconnaîtra jamais, mais il a réussi à piéger tout et tous, même la phrase la plus simple de «La ilaha illa Allah»...

Le 6 août 2014, Abdessatar Badr, chef de cabinet du ministre des Affaires religieuses a tenté, comme il a pu, de rassurer que l'opération de «dépolitisation» des mosquées était sur la bonne voie et que des résultats convaincants ont été réalisés.

Il n'en est rien et il ne pouvait en être autrement, car le raisonnement était faussé au départ: l'hypothèse selon laquelle il peut y avoir «neutralité» des mosquées en Tunisie. La théorie et la pratique de ce qui s'est passé en Tunisie, depuis le 14 janvier 2011, montre que l'élément islamiste de notre révolution a tiré plus d'un avantage de l'expression débridée de nos libertés. Et cela se vérifie chaque jour encore plus.

M. Badr, qui était bien dans son rôle de relayeur du discours du ministre des Affaires religieuses Mounir Tlili, a déclaré à notre consoeur Amina Ben Doua, animatrice de l'émission ''Midi Show'' de Mosaïque Fm, que «91 mosquées et lieux de prières ont été construits au lendemain de la Révolution. Ces lieux du culte n'ont pas toujours respecté le cahier des charges qui régit ce type de constructions. Ces édifices ont été très souvent anarchiques. Nous nous sommes donc attelés à la tâche de régulariser toutes ces situations illégales. Nous avons, dans un premier temps, convoqué les personnes concernées, tenté de discuter avec eux et les convaincre. Lorsqu'il n'y a pas eu de possibilité d'entente, nous avons été contraints de recourir à la décision de fermer ces mosquées réfractaires. 21 mosquées ont été ainsi fermées. 5 ou 6 d'entre ces lieux du culte forcés à la fermeture vont bientôt rouvrir et reprendre leurs activités...»

Pendant son intervention, M. Badr a tout fait pour éviter d'évoquer la question essentielle du contenu de ce qui se dit ou ne devrait pas être dit au sein d'une mosquée, c'est-à-dire principalement le contenu des prêches. Il s'est longuement attardé sur les détails urbanistiques et sur les règles d'hygiène auxquelles sont soumises les lieux de prière, «et auxquelles le ministère des Affaires religieuses accorde une importance tout à fait particulière», a-t-il souligné.

Sur le fond du problème, le ministère des Affaires religieuses pratique l'esquive ou choisit de botter en touche, car la «dépolitisation» des mosquées n'est pas une mince affaire.

Ennahdha exploite les lieux du culte

Au contraire, c'est dans ces mini-sociétés (le lieu de la prière, le petit microcosme et les petits négoces en tous genres qu'il y a autour d'une mosquée) que se forgent également les esprits et que se forment les opinions. Et que se gagnent, peut-être aussi, les élections.

Ghannouchi-Coran

Les «enfants» de Ghannouchi ont contribué à la déchirure identitaire que rien ni personne ne pourrait réparer aujourd'hui.

La question de la «dépolitisation» des mosquées est bien plus complexe qu'une simple affaire de respect des règles de l'urbanisme ou de la propreté d'une salle d'eau pour les ablutions.

Tout simplement, l'indépendance d'une mosquée est impossible. Plus que tous les autres partis, Ennahdha l'a compris et il fera tout pour exploiter les lieux du culte pour faire le plein de voix législatives, en octobre prochain.

Les stratèges de Montplaisir ont procédé, sur ce terrain, avec beaucoup de dextérité et de ruse. Pour les élections du 23 octobre 2011, ils ont concentré leur campagne sur le thème simple de «nos candidats sont des hommes et des femmes honnêtes qui craignent Dieu». Aujourd'hui, trois ans et demi depuis la fuite Ben Ali, les disciples de Rached Ghannouchi ont adopté un discours nuancé, celui de l'islamisme modéré.

Ils ont eu le temps, pendant leur passage au gouvernement, entre décembre 2011 et janvier 2014 (Troïkas 1 et 2), de mettre en œuvre leur diabolique complot de distension de la société tunisienne (les religieux et les pieux vs. les athées et les dépravés). Les «enfants» de Ghannouchi ont contribué, dans une très large mesure, à ce schisme, à cette déchirure identitaire que rien ni personne ne pourrait réparer aujourd'hui ...

Si les Nahdhaouis tentent, à présent, de se démarquer du wahhabisme, du salafisme et autres djihadismes auxquels ils ont au moins donné le coup de pouce initial, c'est uniquement parce qu'Ennahdha a réussi, quelque part, à faire accepter chez certains (parmi nos concitoyens et chez quelques uns de nos amis et frères à l'étranger) que l'islamisme peut être modéré et qu'il peut jouer le jeu démocratique sans aucune arrière-pensée.

Les chiffres du ministère des Affaires étrangères importent peu et les bonnes intentions de Mounir Tlili et de son chef de gouvernement Mehdi Jomaâ ne changeront rien: les mosquées tunisiennes ont été conquises par Ennahdha. Elles seront des citadelles islamistes imprenables pendant longtemps.

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