Rached-Ghannouchi-Mehdi-Jomaa-Banniere

Dès l'annonce des décisions prises par la cellule de crise présidée par Mehdi Joma, des tirs croisés ont été lancés par deux lieutenants de Rached Ghannouchi, deux de ses porte-paroles officieux et officiels, son gendre et son neveu.

Par Imed Bahri

Le premier avait déclaré qu'il ne voyait pas d'utilité à fermer les mosquées infestées par les «enfants» de son beau-père et le second a exhibé la constitution pour tirer à boulets rouges sur le chef du gouvernement provisoire, l'accusant d'enfreinte à la loi.

Ce neveu, bombardé par son oncle président de la commission ayant présidé à l'élaboration de la constitution, a été, rappelons-le, pris la main dans le sac, qui plus est, par ses amis du CpR, en flagrant délit de falsification de textes, notamment pour les préambules de la première version «ghannouchienne» de la loi fondamentale. Pareil scandale aurait poussé n'importe quel individu à démissionner et à disparaître définitivement de la scène politique. Mais ce n'est pas le culot qui manque le plus aux Nahdhaouis!

Quand Ennahdha défend la «liberté de conscience»

Selon ce porte-parole d'Ennahdha, de facto puisqu'il est l'un de ses élus les plus en vue en raison de sa proximité avec le «Guide», la «liberté de conscience est en danger». Il invoque, paradoxalement et à tort, l'article qui fût le plus combattu par Ennahdha lorsque ce parti accusait d'athéisme ceux qui voulaient que ce principe de «liberté de conscience» figure dans la constitution. Et cela se comprend venant d'un parti salafiste appartenant à la mouvance des Frères musulmans.

Cela signifie que fermer une mosquée dirigée par un adepte de Abou Iyadh, chef de l'organisation terroriste Ansar Charia, appelant à tuer nos soldats et recrutant des terroristes, est une atteinte à la constitution et à la liberté du culte.

Fermer un local construit sans autorisation par ces mêmes salafistes djihadistes, ou contrôlé par les agents d'Al-Qaïda ou d'Aqmi, et empêcher les appels au «takfir» et au meurtre du «taghout» est considéré par notre cher député islamiste comme un acte anticonstitutionnel!

Cela en dit long sur la conception qu'ont les islamistes de la constitution qu'ils ont votée mais qu'ils n'ont jamais acceptée au fond d'eux mêmes et en leur âme et conscience.

On sait dans quelles circonstances ils furent contraints d'avaler toutes les pilules, même celle de la «liberté de conscience»! Mais de là à brandir cet article pour défendre leurs ex-enfants et ex-alliés, les salafistes djihadistes, il n'y a que ce «neveu» pour le faire. C'est comme lorsque Sadok Chourou et Habib Ellouz, autres députés d'Ennahdha, djihadistes purs et durs, marchaient au premier rang des manifestants contre le terrorisme. Du culot, toujours du culot, rien que du culot!

Mais pourquoi cette guerre larvée contre Jomaa où même l'égérie du CpR, la fameuse femme qui arborait les chaussures de Leila Trabelsi comme un trophée, a été mise en service commandé pour critiquer les mesures prises par la cellule de crise, ce qui prouve que la troïka est en train des se liguer contre le chef du gouvernement provisoire, car tout le monde sait qui se cache derrière cette Badi et son frère?

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Des extrémistes religieux à la mosquée El-Fath à Tunis narguent les autorités.

Touche pas aux mosquées... d'Ennahdha !

Une analyse plus poussée pourra nous renseigner sur les raisons de cette guerre annoncée contre Mehdi Jomaa et les ministres qui ne plaisent plus à Ghannouchi.

Une lecture rapide des ouvrages publiés par le «Guide» nous renseigne que la cellule de base de tous les mouvements religieux et notamment d'Ennahdha n'est pas une quelconque structure mise sur le papier pour tromper les néophytes mais elle est bel et bien la mosquée, toutes les mosquées et n'importe quelle mosquée. Pour les islamistes, la mosquée est un lieu d'embrigadement, de recrutement, de formation et de propagande.

Rappelons, pour mémoire que l'ancêtre d'Ennahdha, le Mouvement de la tendance islamique (MTI) avait pris naissance dans les fameuses associations de la sauvegarde du Coran créées par feu Habib Al-Mestaoui et dont les lieutenants étaient Rached Ghannouchi et Abdelfattah Mourou, ci-devant pères du mouvement islamiste tunisien.

Ces associations avaient élu domicile dans les mosquées, ont proliféré à travers les réseaux des mosquées et ont fini par êtres le socle sur lequel a été bâti le parti Ennahdha.

La mosquée a été et restera toujours le fief d'où partiront toutes les conquêtes politiques, tout le processus d'«islamisation» par le bas de la société, selon la fameuse formule chère à Ghanoouchi du «tadafoô al-ijtimaii», la lutte sociale, équivalent de la lutte des classes chez les marxistes.

Rappelons aussi que la première grande bataille livrée par les Nahdhaouis contre l'ancien régime fût celle des mosquées.

Elle s'était soldée par leur défaite cuisante et la promulgation du fameux décret sur les mosquées où il fût décrété que c'est à l'Etat et à lui seul de veiller à la sauvegarde de la liberté du culte et de construire et de contrôler les mosquées en nommant les imams.

Après le 14 janvier 2011, Ennahdha partit à l'assaut de ces mosquées en «dégageant» par la force les imams dits Rcdistes et en nommant ses agents à leurs têtes, avant qu'une partie soit dégagée à son tour par les salafistes.

Les mosquées qu'on dit maintenant sous le «contrôle de l'Etat» sont en réalité sous le contrôle d'Ennahdha et leurs imams furent nommés par les deux ministres des Affaires religieuses, tous les deux Nahdhaouis. Car, même Noureddine Khademi, pour ne pas le nommer, contrôlait la mosquée Al-Fath, à Tunis, où il faisait des prêches enflammées pour inciter ses ouailles à aller combattre en Syrie, sachant qu'ils reviendraient avec l'expérience requise pour continuer leur djihad en Tunisie. L'ex-ministre ne se privait pas non plus de s'afficher avec Abou Iyadh, chef de la mouvance salafiste djihadiste.

Ceci pour le ministre, que dire de ceux qu'il avait lui-même nommés à la tête des lieux de culte? Qu'on nous donne le nom d'un seul imam qui ne soit pas apparenté Ennahdha et souvent plutôt apparenté de la mouvance salafiste radicale représentée par Chourou ou Ellouz!

C'est pourquoi, les mosquées sont considérées comme «une ligne rouge» par Ennahdha, car si, comme l'a décidé le gouvernement, on se met à fermer toutes les mosquées où l'on prône le «takfir» des contradicteurs («al-moukhalifoun»), il n'en restera pas beaucoup d'ouvertes.

Si l'on ferme ces mosquées, qui ferait la propagande en faveur d'Ennahdha pendant les élections comme en 2011. Ce ne seront pas les protestations de quelques dirigeants du Front populaire, dont les adeptes sont loin d'êtres des pieux et n'ont jamais fréquenté une mosquée, qui y changeront quelque chose.

Jomaa doit aller jusqu'au bout de sa démarche

Le directeur du cabinet du ministre des cultes parle de 91 mosquées hors-contrôle, faisant croire que les 4900 autres le sont. Oui, elles sont contrôlées, mais pas vraiment par l'Etat. Elles sont sous la coupe d'Ennahdha et à sa disposition.

Le feu nourri contre le gouvernement Jomaa vise donc à le dissuader d'aller plus loin dans sa volonté de soustraire les mosquées aux influences politiques, surtout que les militants salafistes ne sont que les supplétifs d'Ennahdha et que la large base électorale de ce parti est salafiste.

Mehdi Joma a donc franchi une «ligne rouge» en décrétant la fermeture de ces fiefs des terroristes et risque d'être déclaré mécréant («kafir»). Les ballons d'essai lancées par les proches de Ghannouchi sonnent comme un avertissement, même si le report de la séance de l'ANC, décidée en un temps record pour laisser les députés nahdhaouis déverser leur bile sur lui et ses ministres, prouve que les islamistes peuvent faire marche-arrière, quant ils sentent que l'opinion publique soutient le chef du gouvernement. Mais que l'on se rassure, ces gens-là sont tenaces: ils reviendront rapidement à la charge ou pousseront quelques sous-traitants à le faire. C'est qu'ils ne peuvent pas se taire face à ce qu'ils considèrent comme une atteinte à leurs intérêts «sacrés»!

Fermer les mosquées de la discorde («fitna») devenues des viviers du terrorisme, dissoudre les associations suspectées de financer le terrorisme et de lui servir de paravent légal, interdire les radios et chaînes de télévision qui diffusent à longueur de journée des prêches prônant la haine et la violence..., ce ne sont que des mesures préventives qui devraient êtres suivies d'actes plus courageux et plus vigoureux. Certains disent qu'il faut tarir les sources, «tajfif al manabi», du terrorisme! Qui est contre? Mais cela exige de la volonté, de l'audace et de la détermination!

Mehdi Joma ira-t-il jusqu'au bout de son œuvre qui consiste à redresser la situation sécuritaire? Le chemin du redressement et du salut national est loin d'être pavé de fleurs! Mais a-t-il le choix?

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