Tunisie-Libye-Banniere

S'achemine-t-on vers une implication plus accrue de notre pays dans la guerre civile libyenne en gestation, dont on ne connaît ni l'issue ni les enjeux? Tout porte à le croire. Décryptage...

Par Imed Bahri

Soudain, dimanche 25 mai 2014, la tension est montée d'un cran avec la déclaration du chef du gouvernement provisoire sur le «complot terroriste», suivie par celle du ministre de l'Intérieur Lotfi Ben Jeddou et de son porte-parole Mohamed Ali Aroui.

L'arrestation d'un groupe de dangereux terroristes et la découverte d'une cache d'armes de guerre, constituant un véritable arsenal, dans la ville de Ben Guerdane, près de la frontière libyenne, prouve que le feu allumé par la guerre civile libyenne atteint déjà nos terres.

Des commandos de la mort

Quelques jours auparavant, 17 autres présumés terroristes auraient été arrêtés, pour la plupart dans le gouvernorat de Médenine et en majorité originaires de cette région du sud-est tunisien. L'armée a eu recours aux chars et aux commandos anti-terroristes épaulés par des unités d'élites de la garde nationale pour neutraliser le commando terroriste, a indiqué le porte-parole du ministère de la défense, le colonel-major Taoufik Rahmouni.
Une ou plusieurs opérations terroristes sanglantes étaient, dit-on, en préparation, visant «à provoquer un massacre et cibler l'économie nationale», selon Mehdi Jomaa.

Tout le monde a alors compris que c'était le pèlerinage juif de la synagogue de la Ghriba à Djerba qui aurait pu être la cible d'une attaque terroriste par un commando entraîné et armé en Libye.

On ne sait pas encore les raisons qui poussent les autorités à garder le silence sur «cibles» et les «personnalités visées». Elles sont certainement d'ordre sécuritaire, mais surtout pour ne pas perturber la saison touristique et cela se comprend. Mais la véritable question est la suivante: Qui envoie en Tunisie ces commandos de la mort et de la destruction? Aucune information n'a filtré officiellement sur les camps d'entraînement des jihadistes tunisiens en Libye, mais juste des allusions, sans préciser leurs emplacements et ceux qui les dirigent.

L'on fait comprendre souvent que ce sont les Ansar Charia de Abou Iyadh, dont l'agence Tap avait révélé, citant une source anonyme des renseignements tunisiens, qu'il fût arrêté par un commando opérant pour les Américains, information non démentie par l'ambassade américaine, qui s'est contenté de déclarer que son pays n'a rien avoir avec cette supposée arrestation.

Mais comment un groupuscule, aussi dangereux soit-il, décapité et pourchassé par l'armée et les forces de police, peut-il continuer à narguer pendant des mois, à Jebel Chaambi, notre armée nationale, assassiner deux leaders politiques (Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi), semer la terreur sur tout le territoire et kidnapper deux de nos diplomates à Tripoli?

Pourquoi nos supposés amis libyens n'ont-ils rien fait pour nous aider à neutraliser ces ennemis déclarés?

La réponse est dans ces questions: parce que Ansar Charia est une nébuleuse dont on ne sait pas qui est qui et qui travaille pour qui? Ce qui est sûr c'est que les différentes forces et fractions qui se livrent à une guerre sans merci pour le contrôle du vaste territoire libyen et surtout des puits de pétrole ont étendu leur guerre au territoire tunisien, sans parler des puissances étrangères qui tirent les ficelles à l'ombre.

La Tunisie n'est plus seulement un «laboratoire» pour tester et inoculer la démocratie, vue et corrigée par les stratèges américains, mais un nouveau territoire d'affrontements entre puissances rivales, services spéciaux, d'espionnage et de contre-espionnage.

De là à dire que nous sommes un nouveau Liban, il n'y a qu'un pas que la découverte de ce nouveau «complot terroriste» vient de nous faire franchir. Car, en général, on parle d'«attentats», d'«attaques» mais non de «complot» quand il s'agit de terrorisme, car cela signifie qu'il y a, derrière, des Etats ou des forces occultes.
Ce qui est sûr c'est que les conflits opposant les principales factions libyennes se sont, tout au moins, invités chez nous via les médias, ces factions se livrant une guerre sur les colonnes de nos journaux et surtout sur nos plateaux de télévision par intox et contre-intox.

Ce n'est plus un secret pour personne que des hommes d'affaires qui ne cachent plus leurs sympathies pour tel ou tel seigneur de guerre libyen jouent les intermédiaires entre ces derniers et certains patrons des chaînes TV. C'est même affiché avec arrogance et à visage découvert. Et au nom de la sainte «liberté» de la presse, les «stars» et «starlettes» s'adonnent au jeu pervers de la diffusion des intox et de transformer leurs plateaux en espaces «off-shore» loués pour les protagonistes de la guerre en Libye et certains empochent des millions de dollars en passant.

Dans le bourbier libyen

Voilà comment on prostitue nos médias au nom de la liberté, tout ça avec le silence assourdissant non seulement des autorités politiques mais de la Haica, Haute autorité indépendante de communication audio-visuelle, haute peut être, mais sans autorité aucune.

Mais, il n'y a pas que nos médias qui s'impliquent dans cette sale guerre. Les hommes et les partis politiques les ont largement devancés. Alors qu'Ennahdha s'était empressé de dénoncer «le coup d'Etat» du général Haftar, avant de changer radicalement sa position. 48 heures après, Caïd Essebsi s'est livré à une gymnastique diplomatique en condamnant «le coup d'Etat» tout en critiquant l'empressement du président provisoire Moncef Marzouki à condamner le même «coup d'Etat».

Allez savoir pourquoi BCE s'est vue obligé de prendre position. Les mauvaises langues parlent de la peur de voir ses ex-amis «révolutionnaires» perdre leur pouvoir. Quant à Marzouki, qui s'est jeté pieds et mains liés, dans le bourbier libyen dès le premier jour, il a impliqué la Tunisie dans l'enfer de la guerre civile libyenne alors que la sagesse et la raison ainsi que notre tradition nous imposent à être à égale distance de tous les belligérants.

Malheureusement, non seulement nous sommes désormais impliqués mais surtout divisés jusqu'au point où les ministres des Affaires étrangères et donc le gouvernement se trouve, à chaque fois, obligé de corriger les dégâts de ces nouveaux apprenti-sorciers de la diplomatie mais à quel prix?

Tout pousse à croire que l'on s'achemine vers une implication plus accrue de notre pays dans une guerre dont on ne connaît pas l'issue et dont les enjeux nous dépassent de très loin.

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