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L'affaire de la ministre du Tourisme n'a qu'un rapport lointain avec les dizaines d'Israéliens entrés en Tunisie. A travers elle, c'est la Tunisie libre et émancipée qui est visée.

Par Moncef Dhambri

Le gouvernement intérimaire de Mehdi Jomaa a vécu la triste expérience de célébrer le 100e jour de son mandat par «la mise en accusation pour trahison» de deux de ses membres. Il ne s'agissait pas de menace de motion de censure. Il s'agissait d'accusation. Il ne s'agissait pas de constituants qui souhaitaient obtenir des explications sur de possibles faux pas, mais plutôt d'une mise à mort d'une femme et d'un homme qui dérangent. Surtout Amel Karboul qui, pour de multiples raisons, est une femme à abattre.

La femme qui dérange

Amel Kaboul a tout pour déplaire. Elle fait tout pour déplaire, également.

Amel Karboul, la petite quarantaine, un petit bout de femme tunisienne qui a tout réussi et qui pourra tout réussir, est tombée comme un cheveu dans «la soupe révolutionnaire». Elle débarque de je-ne-sais-où avec des succès plein les poches et des idées plein la tête. Elle bouscule la nonchalance, la paresse, la frilosité, la timidité et la «coïncitude» (permettez-moi cette invention) de notre classe politique et de nos élites guindées. Elle est là où on ne l'attend pas. Elle est partout. Elle est inarrêtable. Elle est dynamique. Elle vous donne le vertige. Elle est agaçante à être l'égale de l'homme et supérieure à bien des hommes et à certaines Tunisiennes.

C'est la femme que l'on ne maîtrise pas, celle qui ne nous attendra jamais à la maison, celle qui laissera l'éducation de nos enfants au soin des crèches, jardins d'enfants et autres internats; celle qui ne nous attendra jamais avec une bassine d'eau chaude pour masser nos pieds; celle qui, au lit lorsqu'elle est fatiguée, ne nous demandera pas la permission de nous tourner le dos. Bref, celle qui n'aura jamais fait bon ménage avec les milliers et milliers de nos concitoyens «brahim-gassassiens».

C'est la femme qui a roulé sa bosse, a gravi les échelons, atteint les sommets et décidé de mettre entre parenthèses sa carrière professionnelle, pour donner un coup de main volontaire et gratuit à son pays agonisant. Pour le geste généreux, pour le geste beau qui ne demanderait aucune rétribution, aucune récompense – sauf celle de se prouver à soi-même que l'on peut réussir là où tant d'autres se sont essayés et ont essuyé les échecs les plus cuisants.

C'est la femme qui dérange nos politiciens sexagénaires, septuagénaires et octogénaires, tous aigris et rabougris, eux qui ne savent que vendre des discours «blablateux» et des opiums d'un autre âge. Nous ne nommerons pas ces politiciens animateurs de plateaux de télévision et invités sans répit des stations de radio, eux qui prétendent avoir tout compris, alors que l'Histoire, le développement, le progrès et les meilleurs avenirs se jouent ailleurs. Ailleurs, c'est-à-dire sur le terrain favori d'une Amel Karboul.

Amel-Karboul-Ridha-Sfar-Assemblee

Amel Karboul et Ridha Sfar... au banc des accusés. Honte à leurs accusateurs!

L'antithèse des hijabées

C'est la femme qui a le culot d'électroniser les dunes de notre sud saharien, d'apprécier le bonheur d'être tunisienne au rythme de ''Happy'' de Pharrell Williams, l'auteur-compositeur américain d'une vingtaine de jours son aîné, d'aimer les ''Star Wars'' de George Lucas et de se comporter en lycéenne gamine friande de smart phones, de tablettes et de selfies.

Amel Karboul est la femme tunisienne qui a plusieurs longueurs d'avance sur nous parce qu'elle est plus tunisienne que nous, hommes et femmes. Sa tunisianité est celle de cette volonté typiquement tunisienne qui ose et réussit. Elle est celle de l'intelligence et du courage du Tunisien qui n'a jamais froid aux yeux, qui est fier d'être comme il est et de vouloir ressembler à l'autre dans ce qu'il a de meilleur.

Ceci n'est pas suivisme de colonisé. Ceci est le modernisme tunisien qui doit tracer les plus radieux des lendemains pour notre petit pays. Ceci est l'antithèse des hijabées qui, de plus en plus, peuplent majoritairement nos rues, nos écoles, nos magasins et nos administrations. Ceci est l'opposé extrême des niqabées, ces soumises par lavage de cerveau auxquelles mon hospitalité tunisienne n'ouvrira jamais ses portes...

Amel Karboul est tout cela, et bien d'autres qualités encore... Elle finira son mandat au ministère du Tourisme (ou ne le finira pas), elle reprendra sa carrière là où elle l'a laissée et poursuivra son ascension – si elle veut et quand elle le souhaitera.

Elle portera des jeans et des T-shirts, des beaux tailleurs, bels ensembles, de beaux bijoux et accessoires – et on devine, à distance, que son parfum, certainement d'une très grande maison parisienne, a dû faire tourner plus d'une tête constituante.
Elle, la fière Djerbienne, portera toujours très bien la jebba tunisienne et sera aussi belle que ma mère ou mon épouse en pareil costume traditionnel.

Un défi à l'esprit calciné

Pour tout cela et bien d'autres qualités encore, Amel Karboul est un défi provocateur à l'esprit calciné de certains de nos concitoyens et nos concitoyennes qui ont du mal à imaginer que, dans notre tunisianité, il y a des dimensions autres qu'une certaine islamité.

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Une femme trop libre et trop émancipée au goût de ces «coïncés de la révolution».

Amel Karboul, qu'elle reste ou qu'elle parte au lendemain des prochaines élections, aura également servi, par sa courte expérience «politique», à ouvrir les yeux de ceux d'entre nous qui croyions que l'émancipation de la femme tunisienne était une chose acquise dans notre pays et qu'il n'y avait plus de raison de s'en occuper.

Les Brahim Gassas, il y en a en Tunisie. Ils sont nombreux, bien plus nombreux qu'on peut le croire. Très nombreux à vous faire craindre le pire, que vous soyez femme ou homme tunisien. Si nombreux qu'on aurait besoin de plusieurs centaines de milliers d'Amel Karboul, de mon épouse et de ma fille pour leur faire front.

On a donc compris que l'affaire de la ministre du Tourisme, qui fait la une des médias nationaux et internationaux, n'a en réalité qu'un rapport minime avec les petites dizaines d'Israéliens auxquels il a été permis d'entrer en Tunisie, avec des passeports israéliens, ni avec le danger d'une «normalisation» insidieuse avec l'entité israélienne.
Il faut chercher ailleurs...

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