Le rejet de l'article 167 de la loi électorale prouve que la nouvelle donne destourienne est incontournable, quel que soit le poids électoral des partis destouriens ou apparentés comme Nida Tounes.

Par Imed Bahri

Jamais dans l'histoire moderne de la Tunisie un article de loi n'a été autant controversé et n'a provoqué autant de polémiques, de joutes verbales et d'affrontements politico-idéologiques, que celui devenu célèbre sous l'appellation «loi de l'exclusion», visant les anciens cadres de l'Etat et du Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD, ancien parti au pouvoir dissous en 2011). Pour finir dans la poubelle, après un suspense hitchcockien qui a tenu en haleine l'ensemble de la nouvelle mais aussi ancienne classe politique.

Passé au vote à deux reprises, samedi et dimanche, cet article controversé n'a pu recueillir les 109 voix nécessaires à son adoption. Pourtant, à part 4 députés apparentés dès leurs élections destouriens, tous les autres députés s'étaient fait élire, en octobre 2011, sur la base de campagnes anti-RCD, preuve que quelque chose a changé depuis.

Le revirement spectaculaire d'Ennahdha

L'écrasante majorité des constituants a refusé de voter un article qui serait resté un point noir dans l'histoire d'une Tunisie qui aspire à devenir un modèle de démocratie et de liberté. C'est vrai que, sans le revirement spectaculaire d'Ennahdha après l'assassinat du député Mohammed Brahmi et qui possède la majorité relative dans l'assemblée, toute une loi et non seulement un article du code électoral aurait été votée.

Rached Ghannouchi avait compris les lourdes conséquences d'une telle démarche et s'est attaché depuis à raisonner ses militants usant tantôt de pressions tantôt d'arguments de persuasion. Il savait qu'un tribunal constitutionnel honnête aurait déclaré cette loi anticonstitutionnelle. La Tunisie aurait aussi été épinglée comme un Etat de non-droit avec les lourdes conséquences que cela suppose sur les plans politique et surtout économique. Sans parler du risque d'un scénario à l'Egyptienne.

Mais ce qui est incroyablement vrai aussi, c'est le silence des Rcdistes et anciens membres du système, qui avaient opté pour la discrétion la plus totale, préférant les tractations en coulisse avec les nouveaux maîtres du pays, les islamistes, et avec d'autres formations. Même les sorties intempestives de certains dirigeants et cadres des partis destouriens ont été stoppées net. On ne bouge plus jusqu'à ce que cette loi soit définitivement écartée.

Seul Béji Caid Essebsi qui, dès le départ, avait opposé un niet clair et ferme à cette loi, en menaçant de déclarer les «élections» non démocratiques parce qu'elles reposent sur une loi anticonstitutionnelle, était monté au créneau ces derniers temps. Les autres dirigeants destouriens ont compris qu'il vaut mieux faire profil bas et laisser passer l'orage. Tout se passe comme s'ils ont fait confiance à Rached Ghannouchi pour faire barrage à cette loi. Ils en étaient sûrs, cette fois-ci, et Ghannouchi a tenu parole au grand dam de ses ouailles, de ses alliés du CpR et ses dérivés et même de Mustapha Ben Jaâfar, qui s'est découvert des élans «éradicationnistes».

Mustapha-Ben-Jaafar-Moncef-Marzouki

Mustapha Ben Jaâfar (Ettakatol) et Moncef Marzouki (CpR) bientôt hors jeu ?

Ces démocrates qui votent pour l'exclusion

Néjib Chebbi et compagnie se trouvent à leur tour hors-jeux. Car malgré les positions de principe contre la loi 167, maintes fois réitérées par le leader d'Al-Jomhouri, les députés du parti, à l'exception de Iyed Dahmani, ont préféré s'absenter pour ne pas avoir à voter contre cette loi. Ceux de l'Alliance démocratique (Mehdi Ben Gharbia et consort), qui étaient contre l'exclusion, ont finalement, et contre toute attente, fait un volte-face pour le moins surprenant en votant pour.

Mais la question la plus importante est la suivante: comment expliquer que des députés réputés démocrates votent pour l'exclusion et d'autres réputés antidémocrates votent contre, tandis que certains ont choisi de fuir et se sont absentés ou abstenus? La réponse est on ne peut plus simple. Ceux qui ont voté pour tentent d'empêcher à tout prix une entente tacite voire plus tard une possible alliance entre islamistes et destouriens.

Il faut comprendre par destouriens non seulement les partis qui se réclament du Destour, l'ancien parti nationaliste, mais aussi Nida Tounes et une masse silencieuse qui constitue un immense réservoir de voix.

La stratégie de Ghannouchi est de composer avec eux à long terme tout en continuant de les harceler à court terme pour les affaiblir au maximum. De toute façon, il a réussi à laisser jouer le rôle de l'éradicateur à d'autres et il saura, le moment venu, faire valoir cet atout.

La nouvelle donne destourienne

Avec le rejet de cet article, la nouvelle donne destourienne est incontournable, quel que soit le poids électoral des partis destouriens ou apparentés comme Nida Tounes. Les destouriens de Nida n'avaient pas l'air du tout désemparés par le vacarme médiatique et les gesticulations de leurs ennemis. C'est même ce moment-là qu'ils ont choisi pour pousser leurs pions au sein de ce parti. Ils contrôlent désormais toutes ses structures régionales et les plus importantes sur le plan national. C'était plus important, car contrôler Nida avec Béji Caïd Essebsi à sa tête c'est contrôler le premier parti crédité par les sondages et donc se mettre en position de gagner les prochaines élections.

Les autres destouriens, surtout dans les régions et les zones rurales, pourront maintenant mettre en marche leur machine qui, comme tout le monde le sait, ne se met en marche que la veille d'élections importantes et surtout quand il y a des enjeux locaux. Ce qui est certain c'est qu'il y a avant et après ce vote qui, sans être historique, a révélé où va la Tunisie.

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