Otages-Gouvernement

On demande au gouvernement Jomaa de ne pas traiter avec les terroristes, mais comment faire libérer les deux diplomates tunisiens enlevés en Libye?

Par Imed Bahri

L'affaire de la prise d'otage dont furent victimes un diplomate et un agent administratif en poste à notre ambassade à Tripoli prend une autre tournure avec la diffusion, dimanche soir, d'une vidéo montrant l'un des kidnappés depuis plus d'un mois, Mohamed Ben Cheikh, implorant le président provisoire de la république Moncef Marzouki de se soumettre aux exigences des terroristes et de libérer deux des leurs, condamnés par la justice tunisienne dans l'affaire connue de l'attaque terroriste de Rouhia.

Où sont passées les «amitiés» de Ghannouchi?

Tout d'un coup, l'omerta observée par les médias et les politiques est passé à la trappe et l'on a assisté à des réactions en cascade dont la réunion en urgence du Conseil national supérieur de la sécurité sous la présidence de Mehdi Jomaa. Crispé et mal à l'aise, le chef du gouvernement provisoire a résumé les résultats de cette rencontre en annonçant la création d'une cellule de crise sous l'égide du ministre des Affaires étrangères composée de représentants de plusieurs département dont j'imagine la Défense et l'Intérieur.

C'est trop tard et trop peu. Trop tard, car l'on a appris que cette affaire était suivie par Rached Ghannouchi, président du parti islamiste Ennahdha, sans qu'on sache en qualité de quoi? Et qu'il aurait fait un déplacement maintenu secret en Libye, sachant que l'actuel ambassadeur de Tunisie à Tripoli, Ridha Boukadi, est un membre affiché d'Ennahdha et qu'il avait suivi l'affaire lui-même du premier enlèvement pour aboutir à un échec cuisant, puisque le numéro 2 de l'ambassade, qui a dû sûrement le seconder dans cette affaire, a été enlevé à son tour. C'est d'autant plus grave que, normalement, depuis le début, ce dernier aurait dû être spécialement protégé par nos services de sécurité de l'ambassade, parce qu'on en a toujours eu et des plus efficaces à moins qu'on les ait retirés.

Donc M. Ghannouchi s'est donné le droit d'interférer dans une affaire qui touche à la sécurité de l'Etat sans que personne ne le lui ait demandé ni n'ait trouvé rien à dire! Comment le ministère de l'Intérieur a-t-il laissé faire? Parce que cette affaire, qui relève du contre-terrorisme, ne peut relever du seul ministère des Affaires étrangères qui gère uniquement le volet diplomatique.

On a perdu un mois parce que, vraisemblablement, on comptait sur les réseaux de Ghannouchi ou sur ses supposées «amitiés» dont le fameux ex-membre d'Al-Qaïda et actuel agent américain Abdelhakim Belhaj. Quand Ghannouchi a échoué, on refile le bébé, à travers une vidéo signée par une obscure organisation (comme pour dédouaner Ansar Charia), au gouvernement Jomaa. Cette affaire risque de lui exploser sur la figure si jamais elle tournait mal et c'est son gouvernement qui sera accusé de tous les maux. Il n'aurait jamais dû laisser interférer d'autres personnes étrangères à ses services.

Le bon Dieu et ses saints

Ce qui est encore plus incroyable, c'est ce silence incompréhensible du ministre de l'Intérieur, pourtant souvent si bavard, comme s'il est concerné uniquement par les affaires du terrorisme intra-muros. Quand nos citoyens et de surcroit des diplomates sont pris en otage à l'étranger, il ne se croit pas obligé de s'exprimer. Il trouve le moyen d'aller au Qatar, à moins que c'est là-bas qu'il doit agir sur les terroristes en Libye. Auquel cas, il aurait bien fait. Il vaut mieux s'adresser au bon Dieu qu'à ses saints!

Trop peu aussi, car l'annonce de la création d'une cellule de crise sous l'égide du ministre des Affaires étrangères est une façon de noyer le poisson. Une cellule qui gère un problème aussi épineux devait être sous l'égide du chef du gouvernement et composée de ministres dont les départements sont directement impliqués. Faute d'avoir un vrai président, le nôtre étant occupé à inaugurer les chrysanthèmes!

Mais ces mesures à caractère politique ne peuvent pas occulter un autre vrai problème, la carence manifeste de nos services de renseignements suite à leur désorganisation et la mise à l'écart des anciens patrons. Tout le monde sait qu'il fût un temps ou rien en Libye n'échappait à leurs regards vigilants. Ce choc pourra servir à les remettre en selle, car il y va de l'avenir de notre pays et de sa sécurité nationale. Quitte à essuyer les foudres des pseudo-démocrates.

Quant aux médias, qui se sont réveillés soudainement par le choc produit par la vidéo de Mohammed Ben Cheikh et la réaction de sa famille, ils continuent de patauger car les journalistes occupant les devants de la scène médiatique manquent totalement de background en la matière, quoique sauvés parfois par leurs invités.

D'une seule voix, tous les intervenants demandent au gouvernement de ne pas traiter avec les terroristes et ils ont raison car on connait la suite d'une telle erreur! Le problème c'est qu'en Libye il n'y a plus de gouvernement, que faire alors? Envoyer un commando? Pourquoi pas? Les autres pays le font. Mais là c'est un autre débat.

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