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Après les mines du Jebel Chaambi, le chef du gouvernement provisoire Mehdi Jomaa devrait affronter celles de ses propres amis, qui vont faire le plus de mal.

Par Imed Bahri

Le Jebel Chaambi est devenu le mont des mines. Non pas des mines d'or, du phosphate, du zinc ou même du fer, mais de mines tuant et blessant soldats, civils ou même des animaux conduits au pâturage. C'est devenu le mont de la mort! Sans compter les bombes qui sont lancées régulièrement par l'armée contre les terroristes infestant cette zone frontalière avec l'Algérie.

La main des Rcdistes!?

Cela dure depuis des mois, sans que l'on sache quand est-ce que cela va cesser. Les commentaires du porte-parole de l'armée ajoutent à la perplexité générale. C'est devenu un fait divers!

Un de ces nouveaux politiciens, bon chic bon genre, a commenté l'évènement sur un plateau consacré au terrorisme en précisant: «Oui nous sommes en guerre contre le terrorisme!» Façon de dire qu'il est normal que des soldats sautent sur des mines, quand on est en guerre! Un autre élu a vu dans cet attentat odieux la main des Rcdistes qui, selon lui, à chaque fois que l'on essaye de faire passer la loi d'exclusion, font sauter des bombes à Jebel Chaambi! Le pire c'est qu'il semble y croire.

En tout cas, aucun leader politique n'a cru bon de commenter à chaud l'évènement ou de s'en émouvoir comme lorsqu'Ennahdha était au pouvoir. On dirait que ce qui les intéressait, à l'époque, c'était surtout l'exploitation politique qu'on pouvait en faire.

Maintenant qu'Ennahdha est hors circuit, qui va-t-on attaquer? Le parti islamiste lui-même se tait, comme si, sorti du gouvernement, le terrorisme n'est plus son affaire. Sans parler de Moncef Marzouki et Mustapha Ben Jaâfar, tous deux occupant des postes à la tête de l'Etat, qui sont plutôt occupés à faire campagne.

Mehdi Jomaa et son gouvernement restent seuls, désespérément seuls face au terrorisme. Quant à la société civile, elle semble essoufflée, désemparée et résignée face au terrorisme. Le fléau est banalisé. Seuls les soldats et les policiers continuent à y faire face!

Mehdi-Jomaa-Houcine-Abassi

Mehdi Jomaa reçoit Houcine Abassi le vendredi 11 avril: le gel des salaires fait débat.

La «mine» du gouffre financier

Mais d'autres mines sont prêtes à sauter... sous les pieds du gouvernement Jomaa. La plus meurtrière et celle qui fera le plus de dégâts est le trou ou plutôt le gouffre financier, que lui ont laissé les divers gouvernements, Mohamed Ghannouchi 1 et 2, Béji Caïd Essebsi, et ceux de la troïka 1 et 2 conduit successivement par Hamadi Jebali et Ali Larayedh. A tel point qu'il vient d'avouer avoir contracté un prêt de 350 millions de dinars (MD) sur le marché intérieur pour payer les salaires et les retraites du mois d'avril. C'est dire à quel point les caisses sont vides. Et ce ne seront pas les recettes que l'Etat pourrait collecter en avril qui payeront les salaires de mai, puis de Juin, puis de Juillet, etc.

On roule déjà sur les jantes car les anciens locataires du Palais de la Kasbah ont déjà utilisé toutes les roues de secours disponibles. Quand Kapitalis a écrit, il y a quelques jours, que la maison Tunisie brûle, la métaphore était censée tirer la sonnette d'alarme. Malheureusement, c'est la pure et dure réalité. Mais le plus grave reste à venir. Ce sont les mines politiques de ses propres amis, ceux qui l'ont coopté, qui vont faire le plus de mal à notre chef du gouvernement! Les tirs amis, qui commencent à siffler dans l'air déjà irrespirable, comme ceux lancés par le parti Al-Jomhouri. Le parti de Néjib Chebbi, toujours à côté de la plaque, annonce déjà son refus du programme du FMI (qui est, officiellement, celui du gouvernement). Pas de suppression des subventions, a-t-il lancé. Mais il ne dit pas où trouver l'argent pour boucler le budget de l'Etat pour l'exercice en cours. Ce n'est pas son affaire.

Ce parti est d'ailleurs devenu incroyable car on ne sait plus quand il redevient de gauche et quand il vire à droite.

Aujourd'hui, plus à gauche que Hamma Hammami et son Front populaire, il veut le beurre, l'argent du beurre et le sourire de la crémière... Mais il n'est pas le seul.

Le plus grand parrain du dialogue national, l'UGTT, refuse, pour sa part, le gel des salaires. Mais comment augmenter des salaires qu'on ne peut pas payer, déjà, à l'état où ils sont?

De l'autre côté, l'Utica, pour qui un possible gel des salaires serait un cadeau du ciel, garde un silence complet et refuse d'aller au secours de son propre gouvernement, aux sens propre et au figuré. D'ailleurs, quelques semaines plus tôt, Mehdi Jomaa lui-même parlait d'augmentations possibles. Qu'est ce qui s'est passé depuis? Sûrement que la situation s'est révélée plus catastrophique qu'on le soupçonnait et dans les coulisses l'on chuchote que Hakim Ben Hammouda est à deux doigts de rendre son tablier.

Une débâcle annoncée

Si le ministre de l'Economie et des Finances démissionne, et l'on espère que non pour le bien du pays, on pourrait dire que la plus grosse mine posée par ses prédécesseurs aura réussi à faire sauter Jomaa. Le pays partira alors dans une dérive totale. Imaginez la débâcle! Plus personne ne prêtera un sou («rouge», disait mon oncle) à la Tunisie.

Gouvernement-atelier-de-travail

Atelier de travail du gouvernement, dimanche, à Dar Al-Farabi: au-delà de la com', les Tunisiens attendent des actes.

Le chef du gouvernement a envoyé son porte-parole, Nidhal Ouerfelli, tâter le terrain. Cependant, et tout en tirant la sonnette d'alarme, ce dernier s'est gardé de désigner les responsables. Cela se comprend parfaitement étant, lui-même et son patron, aussi responsables que les autres puisqu'ils faisaient partis des précédents gouvernements.

M. Ouerfelli n'a pas proposé des solutions de crainte de provoquer des réactions politiques défavorables. Il a laissé ça pour son patron, quitte à ce que celui-ci prenne tout sur la figure.

Mauvaise politique de communication de M. Jomaa. Il doit lui-même monter au créneau. Plus il tarde, plus il aura du monde contre lui. Il faut qu'il prenne le taureau par les cornes et qu'il s'adresse directement au peuple avec toute la franchise nécessaire. Et c'est ce qu'il a promis de faire.

L'heure de vérité a donc sonné. Et pour tout le monde, y compris pour les fines bouches qui y pensent tous les matins en se rasant. Reste à savoir s'ils vont hériter d'un Etat ou... d'une mine qui leur explosera à la figure.

Illustration: Mehdi Jomaa, Moncef Marzouki et Mustapha Ben Jaafar récitent la "fatiha" au mausolée des Martyrs à Sijoumi, le mercredi 9 avril 2014.