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L'avenue Habib Bourguiba a été investie, jeudi, par les partisans d'Ennahdha et des Ligues de la protection de la révolution (LPR)... La célébration du 58e anniversaire de l'indépendance s'est transformée en campagne électorale du parti islamiste.

Reportage de Yüsra N. M'hiri

L'anniversaire de l'indépendance, fêté le 20 mars de chaque année depuis l'accession de la Tunisie à l'indépendance en 1956, s'est faite bien discrète depuis que la troïka, la coalition dominée par le parti islamiste Ennahdha, a accédé au gouvernement à l'issue des élections du 23 octobre 2011.

Mission: chasser les «enfants de Bourguiba»

Pis encore, les dirigeants du parti islamiste, à commencer par leur gourou de président, Rached Ghannouchi, ont toujours refusé de fêter cet anniversaire et vilipendé Habib Bourguiba, le libérateur de la Tunisie et son premier président, qu'ils considèrent, encore aujourd'hui, 13 ans après sa mort, comme leur ennemi juré. Une attitude qui laisse entendre qu'Ennahdha voudrait effacer l'histoire de la Tunisie, et la faire débuter à partir des élections du 23 octobre 2011, qui leur ont permis d'accéder au pouvoir.

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Vous n'êtes pas au Caire, mais à l'Avenue Habib Bourguiba à Tunis, jour de la célébration de la fête de l'indépendance!

Autant dire qu'Ennahdha, en occupant l'Avenue Habib Bourguiba, jeudi matin, ne voulait pas célébrer le 58e anniversaire de l'indépendance, dont ils se soucient comme d'une guigne, mais plutôt pour occuper cet espace symbolique, en chasser ses occupants «naturels», les «enfants de Bourguiba», et transformer l'événement en une campagne en faveur d'Ennahdha et de ses «grandes réalisations».

Le parti islamiste, qui est en campagne électorale avant l'heure, n'a d'ailleurs pas lésiné sur les moyens. Des bus venus par dizaine ont conduit ses partisans de plusieurs régions du pays vers le centre-ville de Tunis et tout a été soigneusement organisé, notamment la distribution des repas: sandwichs, yogourts et bouteilles d'eau minérale. Un per-diem a dû sans doute été servi à ceux qui ont accepté de sacrifier leur journée.

Dès l'entrée de l'Avenue, la couleur et l'idéologie sont annoncées: aucun portrait de Bourguiba, «l'homme du 20 mars», mais une immense pancarte avec un portrait du président islamiste égyptien déchu Mohamed Morsi qui annonce la couleur. Cet hommage appuyé à un dirigeant des Frères musulmans d'Egypte, qui plus est, un jour de fête nationale tunisienne, a quelque chose d'incongru voire de ridicule! Comme dirait l'autre : chassez le panislamisme, il revient au galop! Faute politique? Faute de goût? Les deux à la fois... Et puis, la duplicité et l'hypocrisie d'Ennahdha a des limites...

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Ennahdha est bien membre de l'organisation internationale des Frères musulmans. La preuve...

La colombe effaçant le croissant et l'étoile

Autre faute de goût : les drapeaux du parti islamiste étaient plus nombreux et plus visibles que ceux de la nation tunisienne, le bleu et blanc dominant de loin le rouge et blanc, et la colombe effaçant le croissant et l'étoile.

Encore une autre faute de goût, qui traduit le manque d'imagination et de créativité des Nahdhaouis: ils reprenaient des slogans de l'opposition. «Révolutionnaires nous sommes et nous continuerons notre chemin»; «Fidèles nous sommes au sang des martyrs»..., s'époumonaient ces messieurs aux barbes hirsutes et ces dames en foulard.

A force de parler de la révolution et de s'y identifier, les Nahdhaouis vont-ils finir par faire croire aux Tunisiens que ce sont eux qui l'ont faite, alors qu'ils étaient complètement absents des émeutes ayant secoué le pays, entre le 17 décembre 2010 et 14 janvier 2011, et fini par chasser son tyran?

Des dirigeants d'Ennahdha, ont profité de l'occasion pour tenir des discours enflammés, non pour parler de l'indépendance de la Tunisie – ô que non, ç'aurait été trop leur demander –, mais pour faire l'éloge de leur parti et énumérer les immenses réalisations des deux premiers gouvernements dominés par les islamistes. Et comme c'est l'ex-Premier ministre Ali Larayedh qui s'y est collé, on était bien forcé de le croire sur parole.

Il criait d'ailleurs tellement au micro, avec sa voix zézayante, qu'il était difficile de ne pas le prendre au mot. «Ennahdha s'est sacrifié par patriotisme et pour le peuple en acceptant de quitter le gouvernement en janvier 2014, malgré la légitimité qu'elle avait obtenue par des élections», disait-il en substance. Ce qu'il ne dira pas, en revanche, à ses fidèles, c'est que cette légitimité électorale, dont lui et ses camarades ne cessent de rebattre les oreilles des Tunisiens, avait pris fin, le 23 octobre 2012, soit quatorze mois avant son départ du Palais de la Kasbah.

«Ennahdha, qui a tant fait pour le pays, a encore du chemin à faire pour rendre au peuple ce qui lui appartient. Quant à notre révolution, nous ne l'abandonnerons jamais à personne, par fidélité à nos martyrs, morts pour offrir la liberté à la Tunisie», a martelé M. Larayedh, sous les applaudissements nourris de ses partisans, en agitant le signe (égyptien) de «Rabâa» et en scandant: «Le peuple veut Larayedh de nouveau».

Reste à savoir de quel peuple il s'agit. Celui d'Ennahdha, sans doute. Car l'autre peuple, qui ne veut plus de Larayedh, parce qu'il a mené le pays au bord de la banqueroute, était absent, aujourd'hui, et n'a donc pas pu dire son mot.

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Les Nahdhaouis confondent fête de l'indépendance et campagne électorale d'Ennahdha.

Adel Almi, Amina, les niqabées

A quelques mètres de là, les protégés d'Ennahdha, leurs fameuses milices, les Ligues de protection de la révolution (LPR), occupaient l'espace autour du Théâtre municipal de Tunis. Ils étaient venus pour demander, entre autres, la libération de leur camarade Imed Dghij, incarcéré depuis le 26 février dernier et poursuivi en justice pour avoir menacé de s'attaquer aux forces de police. Quelle classe!

Comme à leur habitude, les LPR faisaient beaucoup de bruits et ne cessaient de répéter que la révolution a été volée par les laïcs, les progressistes et les «azlem» (sbires) de l'ancien régime.

Adel Almi, agitateur islamiste et président de l'Association centriste de la sensibilisation et de la réforme, ne pouvait, lui aussi, manquer l'occasion de se faire voir. «Les modernistes reprochent à nos femmes de porter le niqab, mais applaudissent Amina, qui s'est mise nue pour célébrer la fête de la femme, à Paris. Ils veulent vendre la femme et faire de la Tunisie un pays de débauche», lancera-t-il à l'adresse d'un petit public de barbus prêts à avaler encore davantage de couleuvres.

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Les anti-Ennahdha magnifient la spécificité tunisienne.

L'opposition, dont certains dirigeants, tels Hamma Hammami, Béji Caid Essebsi, et Mbarka, épouse de Mohamed Brahmi (assassiné par des islamiste le 25 juillet 2013), ont reçu de sérieuses menaces de mort, ont préféré se tenir à l'écart de la rue. Curieux hasard, et comme ce sont encore une fois les opposants qui sont menacés de mort, Ennahdha en a profité pour occuper l'espace public en une journée aussi symbolique au regard des Tunisiens.

Quelques Tunisiens opposés au parti islamiste ont tout de même fait le déplacement. En retrait sur l'Avenue, ils portaient un seul drapeau, celui de la nation, et fraternisaient avec les forces de l'ordre, les encourageant à poursuivre la lutte contre le terrorisme islamiste, et les assurant du soutien de tous les Tunisiens épris d'ordre et de progrès.