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Le groupe salafiste jihadiste semant la terreur depuis peu au Jebel Chaambi n'est pas tombé de la planète Mars. Des conditions objectives ont facilité son implantation en Tunisie. Des chercheurs européens apportent, à ce sujet, des éclairages intéressants.

Par Seif Eddine Yahia

Dans un entretien au ''Nouvel Observateur'', le chercheur français d'origine tunisienne Mathieu Guidère donne des informations sur la provenance, les objectifs et les moyens du groupe terroriste ayant perpétré des massacres au Mont Chaambi.

Mathieu Guidère, spécialiste des mouvances islamistes radicales, lui-même né en Tunisie, s'est récemment intéressé aux mouvements jihadistes, et plus généralement aux groupes radicaux qui ont émergé dans le pays depuis la Révolution. Son enquête de terrain lui a permis de mieux cerner les motivations et l'organisation du groupe qui a perpétré le massacre dans la région de Kasserine.

Concernant l'organisation en elle-même, le chercheur rappelle que c'est un groupe disparate composé, pour partie de membres du groupe d'Abu Zied qui ont réussi à fuir le Mali il y a six mois mais aussi de jihadistes tunisiens et algériens. Certains d'entre eux seraient originaires de Batna, ville servant de base arrière à Al Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) en Algérie. Selon lui, une dizaine de membres de ces brigades ont auparavant cherché à rejoindre le front syrien mais qu'ils se sont réfugiés dans la montagne suite à leur échec.

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Obsèques à Kasserine des 8 soldats assassinés par des terroristes au Mont Chaambi.

Des hésitations politiques fatales

Mathieu Guidère a également rappelé que ces brigades installées à Chaambi depuis le mois d'avril, étaient déterminées, extrêmement bien entrainées, expertes dans la création d'engins explosifs improvisés et armées par les membres d'AQMI présents en Algérie.

Le chercheur a, par ailleurs, indiqué que les groupes jihadistes, dont celui de Chaambi, avaient bénéficié de plusieurs éléments favorables à leur développement. Le premier d'entre eux concerne la porosité de la frontière tuniso-algérienne qui a permis aux combattants et à leurs armes de passer entre les deux pays. Les mouvements ont également profité des troubles survenus dans les régions du nord-Mali et de la Libye pour s'armer et s'organiser.

L'autre élément propice à ces mouvances est d'ordre politique. En effet, l'arrivée au pouvoir d'un gouvernement islamiste en Tunisie ainsi que les hésitations d'Ali Larayedh, ministre de l'Intérieur puis chef du gouvernement provisoire, concernant la marche à suivre face aux salafistes (sanction ou intégration des factions les plus extrêmes dans le gouvernement) ont fortement handicapé le processus de collaboration entre les gouvernements tunisien et algérien, et plus particulièrement entre leurs services de renseignements. Cela a facilité la contrebande et les déplacements des terroristes entre les deux pays. Le laxisme dont a semblé faire preuve Ennahdha vis-à-vis de ces extrémistes trouvait encore des échos dans les discours de Rached Ghannouchi, président d'Ennahdha, au mois de mai dernier, quand il appelait encore les membres du groupuscule de Chaambi et les partisans du jihad en Tunisie à revenir dans le giron nahdaoui et à faire le jihad dans des lieux plus propices à la cause.

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Soldats tunisiens déployés au Jebel Chaambi. 

Les forces de sécurité en retard face aux jihadistes

Les groupuscules extrémistes ont plus généralement bénéficié de l'affaiblissement de l'Etat suite à la Révolution et aux nombreuses contestations politiques dont les différents pouvoirs en place on été victimes depuis plus de deux ans.

Le problème majeur de la sécurité tunisienne concerne le fait qu'ils sont actuellement face à une situation inédite. Le renseignement et les forces de police avaient été formés, sous la présidence de Ben Ali, à mailler le territoire et à réduire à néant tous les débuts de contestation ou d'insurrection.

Or, les forces de défense du pays (armée, police, renseignements...) sont ici face à un adversaire qui est déjà armé, préparé et prêt à en découdre. La menace, qui s'est concrétisée, entre autres, par l'assassinat de 8 soldats à Chaambi, le 29 juillet dernier, est inédite et les forces tunisiennes ne sont pas encore préparées à ce genre de troubles. Elles ne sont d'ailleurs pas assez bien équipées pour répondre sur le terrain aux insurrections armées.

Depuis la révolution, les forces de maintien de l'ordre ont été affaiblies, leur autorité diminuée et leur champ d'action a été énormément réduit. De plus, certaines sources semblent confirmer le noyautage des organes de sécurité du pays par des personnes proches de ces mouvances.

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Renforcement des contrôles policiers à la frontière tuniso-algérienne. 

Des financements étrangers

AQMI, qui semble avoir ouvert un nouveau front en Tunisie, possède plusieurs coups d'avance sur l'appareil de sécurité tunisien, d'autant que, si on se fie au rapport écrit par Anna Lavizzari pour International Security Observer en mai dernier, l'émergence de ces mouvances jihadistes est soutenue depuis le lancement du Printemps Arabe par les puissantes monarchies du Golfe (Qatar, Koweït et Arabie Saoudite notamment). Celles-ci par l'entremise de prédicateurs ou d'associations caritatives ont financé l'armement ou le développement des partis salafistes, des plus légaux et politisés aux plus radicaux. 

Ansar Al-Charia a, par exemple, bénéficié de financements étrangers qui leur ont permis de développer des actions humanitaires, mais aussi d'aider ceux qui, d'après eux, combattent dans la voie de Dieu.

La flexibilité des organismes de financement venus des pays du Golfe, l'utilisation abondante du cash par ces ONG et l'absence de traces écrites ont permis à des organisations radicales, à l'image de celle de Chaambi, de se constituer un capital important apte à leur fournir armes, soutiens et matériel.

Le rapport d'International Security Observer rappelle d'ailleurs que certaines de ces associations caritatives du Golfe, comme le Croissant Rouge Saoudien ou la Kuwaiti Charity Revival of Islamic Heritage Society ont été classées parmi les sponsors du terrorisme international par le Trésor Américain.

Face à ces organisations, préparées depuis le lancement du «Printemps Arabe», l'armée n'est donc pas préparée, et elle doit, selon Mathieu Guidère, passer un cap dans leur lutte contre ces mouvances très bien organisées.

La Tunisie n'est pas, selon le chercheur, au bord de la guerre civile, car, contrairement à ce qui s'est passé en Algérie dans les années 1990, trop peu de gens adhèrent aux idées des mouvements proches d'Ansar Al-Charia. Cependant, ces mouvements représentent, par leurs moyens d'action, par leur détermination et leur armement, une menace capable de déstabiliser le pays et de le transformer en un nouveau foyer de troubles.