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Me Taoufik Ouanes, ancien fonctionnaire du Hauts Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés (HCR) est un familier de la gestion et des problèmes des camps de réfugiés. Il nous parle dans cet entretien du drame du camp de Choucha, dans le sud tunisien.

Propos recueillis par Imed Bahri

Kapitalis: Quel est le principal problème qui se pose actuellement au camp des réfugiés de Choucha?

Maître Taoufik Ouanes: Lors de la révolution libyenne et du conflit armé qu'elle a généré, un très grand nombre de personnes ont fui le territoire Libyen. Parmi ces personnes – un million ou presque – il y avait des Libyens, Egyptiens, Palestiniens, Bengalais, Soudanais, Somaliens, Tchadiens, Erythréens et autres.

Un vaste mouvement de solidarité humanitaire s'est organisé pour porter secours et protections à ces réfugiés. Très vite, plusieurs Etats (Egypte, Bengladesh, Turquie, etc.) ont organisé des retours massifs de leurs ressortissants à leur pays respectifs.

Ce mouvement de rapatriement volontaire aux pays d'origines s'est passé avec l'appui des organisations internationales, tel que l'Organisation Mondiale de la Migration et avec des appuis financiers et logistiques de certains pays donateurs, surtout les pays de l'Union Européenne.

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Me Taoufik Ouanes.

Tous ces rapatriés ont pu rentrer dans leurs pays en ayant perdu certes beaucoup de leurs biens en Libye, mais au moins sans aucune crainte, car il ne courait aucun risque de persécution politique. En fait, en Tunisie, ils n'étaient que des personnes en transit et qui avaient besoins d'une assistance matérielle ponctuelle.

Cependant, certains de ceux qui ont fui les dangers du conflit Libyen avaient déjà fui leur pays d'origine par crainte de persécution ou pour échapper à la guerre qui s'y passait et s'y passe encore. A titre d'exemples nous pouvons citer la Somalie, le Mali, le Tchad, les 2 Soudans, etc.

Ces personnes ne pouvaient donc pas retourner à leur pays d'origine et, en tant que réfugiés, sont devenus de la responsabilité du HCR et de la Tunisie. La Tunisie avait et a toujours l'obligation internationale de ne pas les refouler et le HCR de les protéger, les assister et leur offrir la possibilité de les réinstaller dans d'autres pays. Un grand nombre d'entre eux ont été réinstallés dans d'autre pays, mais il n'en reste que quelques petites centaines apparemment. Ceux-là, le HCR n'a pas réussi à les placer et n'ont plus qu'une seule alternative: rester en Tunisie.

Pourquoi le HCR n'a pas pu leur trouver un autre pays et pourquoi ne resteraient-il pas alors en Tunisie?

La Tunisie n'a pas refusé leur maintien sur notre territoire, mais ces refugiés ne veulent pas y rester. Je comprends très bien qu'on ne doive pas les forcer à rester dans un pays contre leur volonté, d'autant plus que c'est un deuxième pays d'asile qu'ils n'ont pas choisi et où ils n'ont pas été réinstallés par le HCR.

Ce dernier a trop vite baissé les bras quant à leur réinstallation et n'a pas fait «l'extra mile» nécessaire, d'autant plus que leur nombre n'est plus très important, et qu'ils ne constituent aucun danger pour les éventuels Etats de réinstallation.

A mon avisn et d'après mon expérience, les responsables du HCR n'ont pas été suffisamment persuasifs pour résoudre ce problème. Le HCR a réinstallé des dizaines de millions de réfugiés partout dans le monde et a gardé des camps de réfugiés ouverts pendant des dizaines d'années. Alors pour ce petit camp et ce petit nombre de refugiés, le HCR a tout simplement profité de la nonchalance du gouvernement tunisien, qui a beaucoup d'autres «chats à fouetter», pour s'empresser d'utiliser la manière «musclée» en décidant de fermer le camp de Choucha. La conséquence sera tout simplement de jeter ces réfugiés, y compris des femmes et des enfants, sans la moindre assistance en pâture à la soif et à la faim. Ils sont déjà tombés dans l'errance et la mendicité. Ils ne sont certainement pas très loin de la criminalité, et qui sait du terrorisme car, les frontières libyennes et maliennes ne sont pas très loin et les «recruteurs» des personnes en désespoir ne manquent pas.

Quelle est alors la solution d'après vous?

Le gouvernement tunisien doit faire pression sur le HCR et lui faire comprendre la nécessité de remplir son mandat d'une manière qui réponde à la situation.

La première mesure d'urgence que doit prendre immédiatement le HCR est de reprendre l'assistance matérielle, médicale et éducationnelle au camp de Choucha.

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Des réfugiés du camp de Choucha manifestent à Tunis.

La deuxième action non moins urgente est de reprendre les efforts de réinstallation et de s'adresser aux pays de réinstallation avec des arguments plus persuasifs que ceux déjà employés jusqu'à présent.

Cet empressement à fermer le camp de Choucha et de présenter cela comme un succès est une supercherie humanitaire et médiatique. La preuve c'est que la misérable exposition organisée le 20 juin a tourné en un chaos et une bagarre indigne à laquelle, même le ministre de la Culture n'a pas été épargné. Il faut arrêter ce gâchis humanitaire!