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Plus de 2 ans après les évènements du 14 janvier, qui ont conduit à la chute du régime Ben Ali, des actes criminels impliquant l'Etat, dont la torture, restent impunis. Une impunité qui n'a que trop duré.

Par Seif Eddine Akkari

Pour tirer la sonnette d'alarme à ce sujet, une conférence de presse s'est tenue, le mardi 25 juin, à l'hôtel Africa de Tunis. Organisée par deux associations, Action chrétienne pour l'abolition de la torture (Acta) et la Track Impunity Always (Trial), en collaboration avec des avocats, cette conférence vient lever le voile sur certains cas de torture et présenter les démarches à suivre pour faire valoir les droits des victimes.

Le dossier qui gêne la justice

De toutes les atteintes aux droits humains commises sous l'ancien régime, la torture est celle qui passe le plus inaperçue. Et pour cause, malgré des témoignages multiples et les preuves indéniables des horreurs commises par les forces de l'ordre, la justice traîne. «Les dossiers de torture finissent le plus souvent oubliés dans les tiroirs du bureau du procureur», a déclaré Hélène Legeay, responsable des programmes de l'Acta dans la région Mena. Ce qui prouve un manque de volonté flagrant de la part du pouvoir judiciaire d'en finir avec ce phénomène. Nombreuses sont d'ailleurs les anomalies constatées lors des jugements: des témoins qui ne témoignent pas, des accusés absents ou en liberté, la présence du même juge d'instruction complice de la torture... Résultat, aucun juge ou médecin – ayant contribué au crime par de faux certificats médicaux – n'a été condamné, preuve d'un dysfonctionnement judiciaire énorme.

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Les dossiers de torture finissent le plus souvent oubliés dans les tiroirs du bureau du procureur.

Témoignages : Le visage atroce du régime qui sévit encore

Les témoignages présentés par les avocats de 7 victimes de la torture ont été d'une grande intensité. Preuves vivantes d'une pratique que les autorités n'ont jamais voulu dévoiler, ces victimes représentent toutes les composantes de la société. Du militant salafiste, au professeur universitaire, en passant par le jeune fonctionnaire, tous y passaient.

Le cas de Ramzi Romdhani est commun à des centaines de ses semblables salafistes. Arrêté en 2007, conformément à la loi de lutte contre le terrorisme, il a passé 17 jours dans les caves du ministère de l'Intérieur. Son seul crime a été d'afficher son appartenance au courant salafiste à une époque où c'était considéré comme un acte sacrilège.

Concernant Taoufik El Ayba, c'est un conflit avec un homme d'affaire proche du Palais de Carthage qui lui a ouvert les portes de l'enfer. 10 jours de torture au poste de la garde nationale de l'Aouina, interrogé sur un trafic de véhicules, Taoufik El Ayba a subi la foudre des policiers après avoir mis en cause le neveu du président.

La tristement célèbre affaire de «la nuit du congrès de 93» a également été traitée, avec Rached Jaidane, professeur de mathématiques à l'Université en France, et, Koussai Jaibi, pharmacien de profession. Tous les deux ont du subir les pires sévices après avoir été accusés de fomenter des attentats contre le congrès du RCD, l'ancien parti au pouvoir aujourd'hui dissous.

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Militants associatifs contre la torture et victimes poursuivent le combat contre l'impunité des tortionnaires.

Accroché par des chaînes, électrocuté, brûlé par des mégots de cigarette, aspergé d'eau simultanément brûlante et glaciale, rossé de coups, violé même... Que de traitements inhumains infligés à ces victimes, dont le seul crime est de s'être attiré la colère d'un système tortionnaire par excellence. Un système qui ne cesse de sévir même après la révolution, avec le cas de Sedki Hlimi, l'un des blessés de la révolution, qui a été détenu dans une des casernes militaires de Kasserine et torturé par des forces d'ordre, tour-à-tour policières et militaires.

Vers la fin du cauchemar?

La conférence de l'Africa est venue annoncer une certaine avancée dans le combat contre l'impunité. En effet, 7 actions en justice viennent d'être intentées, en Tunisie, en France et devant le Comité international contre la torture. Cependant, le chemin reste long, car, plus qu'une législation à modifier, plus qu'une directive claire de la constitution à appliquer, plus qu'une mentalité du corps judiciaire à changer, il s'agit de toute une page que l'Etat tunisien doit savoir tourner. Et elle ne le sera que quand l'Etat reconnaitra ses erreurs, traduira les tortionnaires devant la justice et rompra définitivement avec ces pratiques. C'est ce qu'espèrent, du moins, les victimes, qui gardent encore de lourdes séquelles indélébiles de leur martyre.