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Dans son offensive de charme aux Etats Unis, Rached Ghannouchi a dit qu'Ennahdha a fait les concessions nécessaires, et qu'il en fera d'autres s'il le faut, pour sauver la transition démocratique tunisienne. Paroles, paroles...

Par Moncef Dhambri

En déplacement aux Etats Unis la semaine dernière, Rached Ghannouchi a surpris son auditoire du Saban Center for Middle East Policy de la Brookings Institution. Le président d'Ennahdha a mis de l'eau dans son vin pour faire avaler aux membres de ce think tank la pilule de la métamorphose idéologique et la modération des Islamo-démocrates de Montplaisir.

Durant ce même séjour américain, l'ensorceleur nahdhaoui a également prêché sa «bonne» parole auprès du Center for the Study of Islam and Democracy où il a été jusqu'à dire qu'en Tunisie «le blasphème n'est pas un crime», qu'islam et gouvernance démocratique font bon ménage et que l'Etat tunisien sous une direction nahdhaouie sera toujours un ardent défenseur des libertés et des droits fondamentaux du citoyen.

Des craintes qui n'ont plus lieu d'être?

Cette opération de séduction auprès de l'opinion publique américaine n'est que poudre aux yeux. L'offensive de charme d'Ennahdha cache mal l'intention de son gourou de gagner du temps...

Tout va bien, selon Rached Ghannouchi, et tout ira encore mieux dans le pays de l'islamo-démocratie qu'Ennahdha souhaite établir en Tunisie. Que l'administration et l'opinion américaines ne se fassent pas de soucis. Les Nahdhaouis ont fait les concessions nécessaires, et en feront d'autres s'il le faut, pour sauver la transition démocratique tunisienne.

Les temps auraient changé, pourrions-nous croire. En l'espace de deux courtes années et demie, l'âge de notre 14 janvier, même si Washington et Montplaisir ne se regardent pas nécessairement droit dans les yeux, les deux parties jouent à faire semblant de s'ignorer mais se rencontrent indirectement. Et tout porterait à croire qu'ils ont tourné la page – ou seraient sur le point de le faire.

Rached Ghannouchi aurait donc appris la leçon et les Etats Unis auraient également appris à l'entendre, à l'écouter.

Désormais, le président d'Ennahdha choisit soigneusement ses mots pour mettre l'accent sur «l'importance de l'unité nationale et du consensus politique en Tunisie», notamment entre les laïcs et les islamistes.

Le gourou de Montplaisir balaie toutes les inquiétudes américaines d'un revers de main. Les craintes des Etats Unis au sujet des droits fondamentaux en Tunisie et leurs garanties dans les textes et aussi bien que dans la pratique, l'Article 124 du projet de constitution et les menaces qu'il fait planer sur la liberté des médias, la liberté d'opinion sur la chose sacrée et les symboles religieux, etc., toutes ces questions épineuses sur lesquelles achoppaient les débats de l'Assemblée nationale constituante (Anc) ont été résolues, selon Rached Ghannouchi, ou seraient sur le point de l'être.

Et, si toutes ces assurances ne pouvaient suffire pour convaincre les Américains, le président d'Ennahdha était prêt à engager encore plus sa parole sur la protection de la liberté d'expression, la liberté de conscience et la décriminalisation du blasphème. La semaine dernière, devant les hôtes américains, il est même allé jusqu'à citer le Livre saint pour dissiper tous les doutes et soutenir ses affirmations: «Le blasphème n'est pas un crime. Le libre choix est très clairement énoncé dans le Coran. Il y est dit très clairement: ''Il n'y a pas de contrainte en religion''». Et cette réponse du magicien de Montplaisir a été solennelle: «Il se racla la gorge, fixa la caméra et fit sa déclaration en anglais», rapporte Human Rights First.

Effets d'annonce et poudre aux yeux

Ce revirement de Ghannouchi l'enchanteur, qui semble remettre en cause un principe cardinal de l'idéologie islamiste, soulève de nombreuses interrogations. Assistons-nous vraiment à une mutation fondamentale d'Ennahdha? Montplaisir céderait-il sur l'essentiel de sa théologie? Les Nahdhaouis battraient-ils en retraite? Ou tenteraient-ils, tout simplement, de gagner du temps, de reculer pour mieux sauter?

Soyons lucides, jusqu'au bout, et parions que l'endormeur Ghannouchi n'est pas de bonne foi et qu'il ne cherche qu'à faire franchir à son parti l'obstacle des prochaines élections législatives et présidentielles, sans trop de pertes.

Le coup d'essai gouvernemental des Nahdhaouis – d'un an et demi, de deux années ou peut-être plus encore – est loin, très loin, d'avoir convaincu, ni les Tunisiens ni les amis de la Tunisie, proches ou lointains. Le bilan, tous les bilans d'Ennahdha n'ont été qu'une longue liste d'échecs plus cuisants les uns que les autres. Et, en cette fin de parcours où les faillites de la Troïka que le parti islamiste dirige deviennent chaque jour encore plus visibles, la marge de manœuvre des stratèges de Montplaisir s'est considérablement rétrécie: ils sont cernés de toutes parts et leurs incompétences les trahissent sur tous les fronts.

L'économie, lorsqu'elle ne régresse pas, fait du sur-place. Et chaque semaine nous livre son lot interminable de déconvenues et de coups de semonce. Les investisseurs nationaux et étrangers, découragés par l'incertitude politique, attendent désespérément une meilleure visibilité et préfèrent ne pas s'engager. Les agences de notation nous épinglent à chaque fois qu'elles lisent la copie nahdhaouie. Les institutions financières internationales et autres bailleurs de fonds laissent comprendre que c'est la dernière fois qu'ils nous tendent la main ou décident tout simplement de nous tourner le dos.
Cette instabilité politique fait également fuir les visiteurs étrangers et reporte indéfiniment la reprise de l'activité touristique, génératrice de 7% du Pib et pourvoyeuse de 400.000 emplois.

Les «zéro-virgule» en embuscade

Chaque jour, l'insécurité dans le pays pousse encore plus loin ses frontières: la violence verbale s'est transformée en attaques physiques, en morts d'hommes et assassinats pour culminer au Jebel Châmbi, où des jihadistes se mesurent à l'armée nationale et aux forces de l'ordre. Demain, il est à craindre que les «enfants» wahabbites du Cheikh Ghannouchi ne se répandent dans nos villes et qu'ils sèment la terreur parmi les populations urbaines.

Pour tous ces insuccès d'Ennahdha, pour tous les déboires et les désenchantements qu'a engendrés sa mauvaise gestion des affaires du pays, la montée en flèche de la popularité de Nida Tounes et de Béji Caïd Essebsi, si l'on en croit les sondages, est devenue un phénomène irrésistible. Une opposition mieux structurée et plus organisée, autour de l'Union pour la Tunisie, rend la tâche de ceux que l'on appelait jadis «les hommes honnêtes qui craignent Dieu» de plus en plus difficile.

Les prochains scrutins législatifs et présidentiels ne seront pas une promenade de santé comme ils les auraient souhaités. Le 23 octobre 2011 est désormais de l'histoire ancienne et l'opposition du «zéro-virgule-quelque-chose» a des chances électorales sérieuses et entières.

Perdant sur tous les plans et désavoué sur tous les registres, Ennahdha, qui n'arrive pas à convaincre à l'intérieur, cherche un dernier recours à l'extérieur. Ses dirigeants, leurs bâtons de pèlerins à la main, sillonnent les quatre coins de la planète pour plaider leur bonne foi, faire leur mea culpa et demander un rachat.

La bienséance diplomatique des amis de la Tunisie leur dictera toujours de recevoir nos représentants et de les écouter. Ils le font par respect pour le choix des électeurs tunisiens, tout en sachant qu'un bulletin de vote, en Tunisie du 14 janvier, n'est pas un chèque en blanc et qu'un mandat peut être retiré de la même manière qu'il a été accordé.

Messieurs les Nahdhaouis, la partie est finie, vous avez échoué et nous vous prions à présent de remettre les manettes à plus compétents que vous.