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A qui profiterait un éventuel limogeage du général Rachid Ammar, l'un des derniers obstacles devant le parti Ennahdha dans sa course effrénée à la conquête de la totalité du pouvoir en Tunisie.

Par Ridha Kéfi

Depuis l’explosion de la mine, jeudi, près de Kasserine (nord-ouest), qui a fait deux morts et deux blessés graves parmi les unités d’élite de l’armée nationale, des voix s’élèvent, dans l’entourage d’Ennahdha, pour exiger la peau du chef d’état major interarmes, le général Rachid Ammar.

Un bouc-émissaire idéal

C'est l'ex-ministre de la Réforme administrative et ex-secrétaire général du Congrès pour la république (CpR), deux fois démissionnaire, Mohamed Abbou, qui a sifflé, jeudi, le début de la curée dans un post sur sa page Facebook.

Les pages facebook du parti islamiste Ennahdha ont suivi, qui se déchaînent contre Rachid Ammar, bouc-émissaire idéal pour masquer les manquements et le laxisme du gouvernement islamiste vis-à-vis des groupes extrémistes religieux.

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Le véhicule militaire ayant explosé sur une mine, jeudi 6 juin, près de Kasserine, faisant 2 morts et 2 blessés graves.

L'armée tunisienne, dont les moyens sont très limités sinon dérisoires eu égard aux missions qui lui sont confiées depuis la révolution du 14 janvier 2011, est, état d'urgence oblige, déployée sur tout le territoire de la république pour garder les établissements publics et même privés, sans parler des milliers de kilomètres de frontières terrestres.

La Grande Muette, très populaire auprès des populations, est souvent appelée en renfort pour réparer les dégâts causés par les autres corps sécuritaires et pour s'interposer entre une police brutale et une population souvent en colère.

Depuis quelques semaines, elle est chargée de pourchasser des groupes terroristes réfugiés au Jebel Châmbi et dans les montagnes du nord-ouest, que le chef du gouvernement provisoire et ex-ministre de l'Intérieur, Ali Lârayedh, a laissé prospérer – à l'insu de son plein gré – dans le pays au cours des deux dernières années, malgré les avertissements lancés par les dirigeants de l'opposition et certains médias, dont Kapitalis à plusieurs reprises.

Les liens entre certains dirigeants d'Ennahdha et les groupes extrémistes religieux, tel Ansar Al-Chariâ, sont avérés et documentés, tout comme les liens entre Ansar Al-Chariâ et le réseau terroriste Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi).

Des éléments d'enquête mettent même en lumière des liens entre les assassins du leader de gauche Chokri Belaïd, le 6 février dernier, le groupe Ansar Al-Chariâ et certains cadres d'Ennahdha: dossier que la justice, dont on connaît le degré d'indépendance, semble avoir du mal à attaquer de front. Les bégaiements de cette justice encore aux ordres et ses inexplicables ambiguïtés expliquent le retard enregistré dans l'enquête sur cet assassinat.

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Le ministre de la Défenses Rachid Sabbegh et le chef d'état major interarmes Rachid Ammar reçus vendredi par le président provisoire de la république.

Les responsables de la recrudescence de la violence

Entre-temps, on veut faire porter le chapeau de la recrudescence de la violence au général Rachid Ammar. Ce dernier a, il est vrai, bon dos : dernier rescapé du système Ben Ali, il peut toujours être accusé de liens avec l'ancienne nomenclature et de manoeuvrer contre le pouvoir islamiste en place. Ce qui est, on le sait, une contrevérité absolue. Rachid Ammar, pur produit de l'armée républicaine tunisienne, reste un soldat au service de la nation, ne se mêlant jamais de politique, soumis à la hiérarchie et en retrait de tous les jeux politiciens. Il est en retrait, presque effacé, mais pas soumis. D'où son défaut majeur aux yeux de la nouvelle nomenclature islamiste qui dirige le pays: «Tout comme l'armée qu'il dirige, il n'est pas un homme sûr» (et les mots sont de Rached Ghannouchi, dans la fameuse vidéo fuitée de ses négociations secrètes avec les groupes salafistes). Traduire : il n'est pas assez soumis aux désidératas d'Ennahdha et de ses chefs.

Le colonel-major Mokhtar Ben Nasr, porte-parole du ministère de la Défense, a fait des déclarations pour le moins inquiétantes, jeudi soir, dans l'émission ''2I heures du soir'' sur la chaîne Attounissia TV, et qui traduisent la perplexité de l'armée nationale. Celle-ci, qui a donné jusque là le plus de sacrifices sur l'autel de la lutte antiterroriste, se sent comme flouée voire même trahie. Reste à savoir par qui?

Le colonel-major ne peut en dire plus qu'il n'est autorisé de le faire, mais certaines vérités ne sauraient être passées sous silence.

Et d'abord celle-ci : les groupes terroristes, poseurs des mines ayant fait trois morts et une vingtaine de blessés graves parmi les soldats, sont introuvables à Jebel Châmbi. L'armée a retrouvé leurs traces dans des grottes et des abris de fortunes, mais les terroristes, eux, se sont évaporés, comme par miracle.

Les terroristes sont parmi nous

Pour le colonel-major, l'évidence saute aux yeux : ces gens disposent de soutiens parmi la population. Et pour preuve: ils ont eu le temps de s'installer au Jebel Châmbi, malgré l'existence d'un réseau d'une cinquantaine de gardes forestiers déployés dans toute la région. Ils étaient armés, approvisionnés et, surtout, bien informés.

Autre objet d'inquiétude: les deux mines ayant explosé samedi et jeudi ont été posées quelques heures après le ratissage de la zone par l'armée nationale. Les poseurs ne sont donc pas descendus de la montagne; ils ne viennent pas de l'intérieur de la zone encerclée par l'armée, mais de l'extérieur de celle-ci, c'est-à-dire des régions environnantes de Kasserine.

D'où le sentiment exprimé par le colonel-major Ben Nasr, et désormais partagé par beaucoup de Tunisiens : les terroristes ne sont pas seulement à Jebel Châmbi, ils sont parmi nous, dans nos villages et nos villes. Il se pourrait même qu'ils aient déjà infiltré certains appareils administratifs ou même sécuritaires. Et là, la responsabilité n'est plus celle de l'armée nationale et de son chef, mais celle du gouvernement Ali Lârayedh et du parti Ennahdha qui le conduit.

Aussi, et avant de se mettre à crier avec la meute, il convient de s'interroger à qui profiterait un éventuel limogeage du général Rachid Ammar, l'un des derniers obstacles devant le parti Ennahdha dans sa course effrénée à la conquête de la totalité du pouvoir en Tunisie.