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Les relations entre la police et les citoyens en Tunisie sont historiquement heurtées et marquées par la suspicion. Des acteurs de la société civile tentent de réduire le fossé et de rétablir la confiance. Vidéo

Par Yüsra N. M'hiri

Bassem Bouguerra, président de l'Association Reform, et Mongi Touati, officier général, chargé de l'éducation syndicale au syndicat des fonctionnaires de la direction générale d'unité d'intervention, ont tenu une conférence de presse conjointe, lundi dernier, à l'hôtel El Mechtel, à Tunis. Objet de la cette conférence: la présentation des résultats de la première session de formation des agents de la Direction générale des Brigades de l'ordre public (BOP).

Pour la première fois, en Tunisie, une association (Reform) intervient auprès du corps sécuritaire. L'objectif est d'impulser le dialogue entre la société civile et le corps sécuritaire, d'abord par la sensibilisation, puis par les études, analyses et recherches, mais aussi par des formations en droits de l'Homme et application de la loi.

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Bassem Bouguerra (à droite) et Mongi Touati pendant la conférence de presse.

Cette initiative, lancée en collaboration avec le ministère de l'Intérieur, vise contribuer de manière concrète au développement d'un système sécuritaire républicain et d'une police neutre, travaillant sur la base du respect commun de la loi, de l'Etat et du citoyen.

Les 20 agents de police ayant participé à la première session ont bien accueilli cette formation. «Elle est même nécessaire, car le policier a aussi besoin d'avoir le moral, de voir que nous pensons à lui, que nous lui donnons les moyens de bien faire les choses», explique M. Touati. Et d'ajouter : «Avec les évènements qui s'accélèrent à Jebel Châmbi, et la recrudescence du phénomène du terrorisme, nous devons nous unir».

Le projet prévoit la formation de 200 policiers des unités d'intervention, d'ici juillet 2013, mais l'objectif principal est d'élargir le panel à un plus grand nombre d'agents.

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Diplôme de formation.

Le crédit confiance ne demande qu'à être rechargé

Le manque de confiance est un fossé qui s'est creusé depuis des années entre la police et le citoyen. Il trouve son origine dans la répression qu'utilisaient systématiquement les forces de l'ordre sous l'ancien régime ou encore le mauvais et amer souvenir du 9 avril 2012, lorsque les agents de l'ordre, aidés par les miliciens d'un parti Ennahdha (au pouvoir), ont agressé des manifestants pacifistes... Tant d'évènements et de mauvais souvenirs ont éloigné le peuple de «sa» police. N'est-il pas temps, aujourd'hui, de réduire le fossé et de donner la chance à chacun de prouver sa bonne volonté, pour remédier à ce qui pourrait encore «infecter» la démocratie en Tunisie?

La communication est un bon remède à cette fracture entre la société et la police. Parmi les actions correctrices adoptées : un match de football organisé par Reform, qui a opposé des agents de la BOP et des jeunes du quartier d'El Omrane Supérieur (voir vidéo). 

Ce genre d'échange convivial et bon enfant peut réussir, car il permet aux policiers et aux citoyens d'apprendre à se connaitre. Cela ne s'était jamais produit en Tunisie, mais les réactions face à cette première sont très positives. D'autant que le football est un sport populaire, très apprécié et pratiqué en amateur, en Tunisie.

Les médias, «entremetteurs de bonne volonté»

Rappelons que Reform avait, il y a quelques semaines, fait circuler sur les réseaux sociaux des photos de célébrités avec la mention «Ma tadhrabnich» (Ne me frappes pas), une campagne visant à sensibiliser contre la violence policière.

«Les médias ont aussi ce rôle à jouer, il ne faut pas simplement rapporter les faits où les policiers sont en faute, par allusion à l'affaire du viol de la jeune fille par 3 agents de police, il faut aussi couvrir, et de la même manière, les évènements où des policiers sont des victimes, tel le meurtre de l'officier Mohamed Sboui, assassiné atrocement la semaine dernière par des éléments salafistes extrémistes. En partageant les évènements positifs, on fait renaitre la confiance des deux côtés», explique M. Touati.

Il est vrai que les médias se doivent d'être justes et équitables en médiatisant les faits avec le même niveau d'intérêt et d'impartialité. C'est ainsi qu'ils pourront endosser le rôle de médiateurs voire de conciliateurs.

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Le football peut aider à améliorer la communication entre les agents de l'ordre et la population.

Am Salah, racontes-moi une histoire

Bassem Bouguerra évoque, par ailleurs, d'autres initiatives mises en route par le même programme. Des contes pour enfants ont ainsi été réalisés, afin d'expliquer la relation entre policiers et citoyens. Ils expliquent avec simplicité l'harmonie qui doit régner pour que paix et démocratie puissent exister en Tunisie, où droits et devoirs doivent être mieux connus et appliqués. Le personnage principal de ces contes est un attachant Am Salah (Oncle Salah).

Ces contes seront probablement racontés par des policiers dans les écoles, notamment dans les régions reculées où, justement, la relation est plus tendue qu'ailleurs.

Ces derniers temps, les corps sécuritaires appellent le peuple à l'union sacrée pour faire face au fléau du terrorisme qui, deux ans après la révolution, commence à s'implanter en Tunisie. Le rapprochement est d'ailleurs en cours. En témoignent les nombreux citoyens, à Kasserine et dans d'autres régions, qui se sont portés volontaire pour prêter main forte à l'armée et aux forces de police pour pourchasser les éléments terroristes réfugiés à Jebel Châmbi et dans les zones montagneuses boisées à la frontière tuniso-algérienne.

Les contes racontés par Am Salah n'ont finalement rien d'imaginaire, puisqu'ils sont souvent dépassés par la réalité : la réconciliation entre la police et les citoyens est bien en marche.

Vidéo.