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Un nouveau rapport de Human Rights First (HRF) indique aux gouvernements tunisien et américain la voie à suivre afin de garantir la liberté d'expression en Tunisie et le succès à sa transition démocratique.

Par Marwan Chahla

L'organisation non-gouvernementale (Ong) insiste que le cas de la Tunisie, berceau du printemps arabe, mérite d'être suivi de très près car il peut servir de modèle pour les voisins de la région: les avancées des libertés et des droits humains à travers le processus démocratique en Tunisie devraient jeter les bases solides de la démocratisation à travers tout le monde arabe et musulman. Le document met également sur la table un certain nombre d'exigences...

Le triste chapitre n'est pas clos

«La manière dont est traitée cette question du blasphème et de toute autre forme d'expression portant atteinte à la religion ou aux symboles religieux demeure une affaire épineuse», remarque Neil Hicks, haut responsable de HRF, qui ajoute que «les droits et libertés seraient sérieusement menacés par toute action visant à étendre le champs d'application des lois criminalisant les propos blasphématoires ou offensants à la religion. Et, malheureusement, plusieurs propositions ont été faites dans ce sens, en Tunisie, depuis la chute de Ben Ali».

HRF note, dans son nouveau rapport sur l'état des lieux de la liberté d'expression en Tunisie du 14 janvier, rendu public hier, que la violence engendrée par les accusations de blasphème représente, de manière générale, un phénomène global de déstabilisation et de désordre.

L'Ong explique que les lois sur le blasphème incitent certains éléments de la société à s'arroger le droit d'imposer des restrictions au débat, en général, permettent aux gouvernements de priver les oppositions de leur droit à la liberté d'expression et aux extrémismes religieux de trouver un terrain favorable pour mettre à exécution leur force d'intimidation.

HRF cite, à titre d'exemple, les incidents du 14 septembre 2012 (l'attaque de l'ambassade et l'école américaines) et leur sinistre bilan (deux morts et 29 personnes blessées), outre la décision du gouvernement des Etats-Unis d'ordonner le rapatriement de tout le personnel non-essentiel de son ambassade à Tunis. Tout cela, HRF ne manque pas de noter, a été causé par une simple vidéo, ''L'innocence des Musulmans'', télépostée par un illustre inconnu malveillant sur YouTube.

Pour l'Ong, ce triste chapitre de la révolution tunisienne n'est pas clos. Elle a pu constater, lors de son enquête sur le terrain et les contacts qu'elle a établis avec les membres de la société civile et la classe politique en Tunisie, que la violence politique représente, de très loin, la menace la plus sérieuse au succès de la transition démocratique, la stabilité du pays et son développement.

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L'exposition du Palais Abdellia attaquée par des extrémistes religieux au prétexte d'oeuvres blasphématoires.

Oui, mais...

Human Rights First se félicite que l'Assemblée nationale constituante (Anc) ait pu, ces derniers mois, se raviser d'inclure dans la nouvelle constitution tunisienne des propositions qui auraient criminalisé «les discours offensants du point de vue religieux». Ce geste de bonne volonté de l'Anc, note le rapport de HRF, mérite d'être souligné.

Cependant, les risques demeurent entiers de voir les lois actuelles, ou d'autres à venir, puissent être utilisées par certaines parties pour accentuer leurs pressions anti-blasphématoires, pour inventer le prétexte qui musellera la liberté d'expression et de création, et divisera de manière irréparable la communauté nationale en Tunisie entre laïcs et croyants.

Le rapport de Human Rights First exigent que les autorités tunisiennes prennent des dispositions concrètes qui offriront des garanties légales à la liberté d'expression et puniront ceux qui, au nom de leurs croyances religieuses, commettront des actes de violence ou pénaliseront ce qu'ils considèrent comme étant blasphématoire.

Appartenance à l'universel et influence proche-orientale

Le document critique aussi la frilosité de Washington face à l'urgence de la situation en Tunisie et son soutien timide aux transformations politiques importantes et prometteuses qui ont lieu dans le pays.

HRF appelle l'administration Obama à renouveler et à donner plus de vigueur à ses efforts d'aide à la promotion d'une transition démocratique pacifique en Tunisie et à faire montre de plus de conviction en traitant de la question des droits de l'Homme et des libertés avec le gouvernement tunisien.

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Des salafistes attaquent l'ambassade américaine à Tunis, le 14 septembre 2012.

Bref, le succès de la transition démocratique en Tunisie dépendrait de cette rencontre des chemins des acteurs (politiques, sociaux, culturelles et même économiques) tunisiens et leurs partenaires de l'extérieur. L'expérience tunisienne ne se fera pas en vase clos. Elle aura, certes, à préserver son authenticité et ses spécificités arabo-musulmanes, mais elle devra également revendiquer son appartenance universelle.

Et elle devra également savoir frapper aux bonnes portes de l'inspiration.

Indéniablement, pour être moderniste et progressiste, la Tunisie du 14 janvier ne devra jamais chercher sa chance auprès de certains illuminés proche-orientaux. 

Illustration: slogans appelant le ministère de la Culture a pratiquer la censure religieuse.