Mohamed Talbi

Le gouvernement dominé par le parti islamiste Ennahdha refuse d'autoriser le professeur Mohamed Talbi à créer une Association internationale des Musulmans coraniques. L'obscurantisme est au pouvoir en Tunisie.

Par Rachid Barnat

Le pouvoir islamiste vient de donner, une nouvelle fois, sa conception des libertés et de la démocratie. Dès que vous entendez un membre de la troïka au pouvoir sur un plateau de télévision ou à la radio, il n'a dans la bouche que la protection des libertés et de la démocratie. Ce ne sont que des paroles pour ne pas dire des mensonges car, dans la réalité, ce pouvoir ne cesse de bafouer les libertés ! En voilà une preuve supplémentaire.

Dépoussiérer l'islam des scories apportées par l'homme

Le professeur Mohamed Talbi, éminent islamologue et homme croyant, veut mettre sur pied une Association internationale des Musulmans coraniques, dont le but, selon les statuts, est de revenir à la source de l'islam, qui est le Coran, dont certains se sont éloignés pour ne débattre que de la chariâ qu'ils ont élevée au même rang que le Livre d'Allah et comme telle serait intouchable! Chariâ dont les salafistes interdisent toute remise en question parce qu'elle est due aux «salafiyouns» (les prédécesseurs) que forment «Essahaba» (les compagnons du prophète) et les premiers califes; et de ce fait ils la sacralisent, d'autant qu'elle constitue pour eux le prolongement du Coran. Donc immuable comme lui! Ce faisant, ils ont sacralisé la parole des hommes en la mettant au niveau de la parole d'Allah, sinon au-dessus! Ce qui est un sacrilège absolu!

Ainsi, en 14 siècles, les interprétations d'imams en imans ont fini par faire dire tout et son contraire à Allah, allant jusqu'à lui prêter des intentions et des paroles qui n'ont nulle trace dans son Livre!

Le but du Pr Mohamed Talbi est louable : il veut dépoussiérer l'islam de toutes les scories apportées par l'homme durant des siècles et qui ont fini par dénaturer le message premier du Coran!

Or, depuis l'avènement du wahhabisme, le risque pour cette religion est de perdre son âme et ses valeurs puisque, selon cette obédience, l'«ijtihad» est clos et tout a été dit et prescrit: il ne reste aux croyants qu'à appliquer la chariâ, somme des exégèses (ijtihad) des «salaf» (prédécesseurs); point barre!

Et devant la violence avec laquelle le wahhabisme cherche à s'imposer et devant ses dérives dangereuses, puisqu'il rejette toutes les autres obédiences issues d'un réel travail intellectuel ayant fait appel à toutes les sciences et même à la philosophie pour adapter l'islam à leur époque; il est impératif que les musulmans reprennent leur religion en main et respectent la première injonction d'Allah qui les exhorte à lire: «Iqra» (Lis !), et surtout qui les invite à l'«ijtihad» (exégèse) et à la réflexion !

Combattre intellectuellement et pacifiquement le salafisme

L'article 3* des statuts fixe l'objectif de l'association projetée par le professeur Mohamed Talbi:

1/ L'association œuvre au renouveau de l'esprit islamique par la modernité, la rationalité et le progressisme; convaincue que tout cela est conforme au livre d'Allah.

L'association veut combattre intellectuellement et pacifiquement le salafisme qui prône la violence et la régression.

2/ L'association s'appuie uniquement sur le Livre d'Allah.

3/ L'association est rationaliste, car le Livre d'Allah ne s'oppose pas à l'esprit critique. Bien au contraire, il l'encourage et invite le croyant à la réflexion et à la méditation! L'association prône une lecture rationnelle et moderniste du Livre d'Allah, pour accompagner notre époque.

4/ L'association est tenue de respecter la «sunna» du messager d'Allah dés lors qu'elle corrobore le Coran.

Le professeur Mohamed Talbi est très connu pour sa carrière universitaire et pour les nombreux ouvrages qu'il a publiés. Il souhaite rénover la pratique de l'islam. Ce qui, à notre époque, est devenu une nécessité. Pour cela, il défend le «coranisme», qui est la volonté de revenir à l'essentiel, c'est-à-dire au texte du Coran lui-même, et de se dégager des multiples ajouts humains qui se sont accumulés d'interprétations en interprétations à propos du texte sacré. Au point que certains se sont spécialisés dans le commentaire des commentaires pour en donner leur version! Il n'y a là rien de blasphématoire, bien au contraire !

Pourtant, le pouvoir vient de refuser d'accorder l'agrément à l'Association qui veut défendre le «coranisme». La raison essentielle du refus porte sur le nom de l'association au motif que l'on ne peut accepter «coranistes» puisque tous les musulmans sont coranistes!

Un refus du pouvoir n'a aucun fondement légal

Il n'échappera à personne que ce refus repose :

- soit sur une ignorance du pouvoir, car les «coranistes» sont bien une partie des musulmans et que, contrairement à ce que soutient le pouvoir en jouant sur les mots, tous les musulmans ne sont pas «coranistes»;

- soit, plutôt, sur la volonté d'empêcher, précisément le «coranisme», c'est-à-dire le retour au Coran et au seul Coran, de progresser; le pouvoir étant lui même contrôlé par Rached Ghannouchi, président d'Ennahdha, dont tout le monde connait l'attirance pour le wahhabisme.

On va, sans doute dire que tout cela est une petite querelle sans conséquence. Ce serait une erreur de le prendre comme cela car la liberté d'association est une des libertés première en démocratie: elle permet de se réunir et de défendre ses idées en étant plus fort.

Ce n'est pas un hasard que toutes les dictatures se méfient et empêchent les citoyens de se réunir dans des associations. La liberté en la matière est le principe; et on n'interdit une association que si son objet viole la loi.

Or ici le refus du pouvoir n'a aucun fondement légal! D'ailleurs, le refus va être contesté devant le Tribunal administratif car il s'agit ni plus ni moins que d'un abus de pouvoir.

On est d'autant plus choqué que dans le même temps le pouvoir autorise des associations qui, elles, sont tout à fait contraires à la loi:

- les Ligues dites de «protection de la révolution» qui ne sont pas des partis politiques mais bien au service d'Ennahdha et du Congrès pour la république (CpR), et dont le pouvoir se sert à des fins partisanes, on en faisant sa milice ! Milice qui empoisonne la vie démocratique puisque leurs membres sont lâchés tels des pitbulls contre tout opposant à Ghannouchi... et dont la violence va jusqu'à l'élimination physique des opposants!

- le pouvoir a autorisé de nombreuses associations dites «caritatives» dont certaines organisent le départ de jeunes embrigadés pour accomplir le «jihad» en Syrie servant de chaire à canon aux pétro-monarques qui se disputent l'hégémonie sur ce pays aussi;

- de même que le pouvoir a autorisé des partis politiques qui refusent la démocratie.

On voit par ces rapprochements combien la décision de refus de l'association du professeur Mohamed Talbi est choquante. Œuvrer pour une lecture moderne du Coran, ne nous y trompons pas, cela ne plaît pas du tout aux islamistes wahhabites et donc au Qatar qui veut coloniser la Tunisie!

Voilà pourquoi l'on crée des difficultés au professeur Talbi! C'est bien le signe que l'on préfère l'obscurité propice à manœuvrer les peuples plutôt que la lumière si dangereuse pour les dictatures.

Ce qui étonne, c'est que les déclarations d'associations doivent être déposées au secrétariat de la présidence du gouvernement alors que cela ne devrait pas être son rôle mais plutôt celui du ministère de l'Intérieur. C'est là, de toute évidence, une survivance de l'ère Ben Ali que Marzouki, grand défenseur des libertés et des droits de l'homme, et ses alliés islamistes se sont bien gardés de changer. Et ce monsieur, qui fait de vibrants discours à l'étranger sur la démocratie en Tunisie, joue son petit contrôleur dans la réalité et utilise des arguties sans valeur pour empêcher la liberté de s'exprimer!

Il faut donc inviter la société civile à défendre, ici, le droit d'association et de manifester fortement sa colère contre de telles pratiques. Certains ne sont pas intéressés par l'objet de l'association, mais ils doivent manifester quand même, pour le principe, car un jour cela pourra arriver à une association dont ils se sentiront proches.

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