Ahmed Néjib Chebbi

La dernière prestation télévisée de Ahmed Néjib Chebbi est fade et banale et l'on peut parier fort que si Al-Jomhouri ne change pas de style et de manière de faire, il serait assurément happé par les oubliettes de l'Histoire.

Par Moncef Dhambri

Samedi, Ahmed Néjib Chebbi s'est prêté au jeu question-réponse de notre confrère Naoufel Ouertani d'Attounissia TV, dans son émission ''Labes'' (Tout va bien!). Pendant plus de quarante-cinq minutes, le président du Parti républicain (PR) (Al-Jomhouri) a été égal à lui-même, c'est-à-dire un homme politique qui souhaite se placer au dessus de la mêlée, cherchant constamment à «se positionner entre tous», voulant être amis de tout le monde et évitant les confrontations. Avec, bien évidemment, tous les risques que cette gymnastique implique: platitudes, langue de bois, mollesse et contradictions.

 

Volonté obsessionnelle d'éviter le clash

Il faut croire que le 23 octobre 2011 n'aurait donc rien enseigné au chef des Républicains. Les échecs du premier gouvernement nahdhaoui durant les très longs quinze derniers mois, les prolongations que les Nahdhaouis et leurs associés (du Congrès pour la République et d'Ettakatol) jouent aujourd'hui et qu'ils joueront encore pendant les six, sept ou huit mois à venir, l'assassinat de Chokri Belaïd et les autres soubresauts que le pays a connus... tout cela ne semble pas avoir entamé la «mollesse» de M. Chebbi.

Grève de la faim de novembre-décembre 2005; islamistes et laïques unis contre la dictature. Ils sont aujourd'hui des adversaires irréductibles.

Grève de la faim de novembre-décembre 2005: Mohamed Ennouri, Néjib Chebbi, Hamma Hammami, Lotfi Hajji, Abderraouf Ayadi, Samir Dilou et Mokhtar Yahyaoui..

Chez Naoufel Ouertani, d'entrée de jeu, le président d'Al-Jomhouri a donné le ton de ce qui allait être sa position tout au long de l'émission: répondant à la question rituel du public assistant au talk show d'Attounissia, il n'hésita pas à nous dire qu'il allait bien et qu'il souhaitait que la Tunisie aille bien. Nous avons tout de suite compris que M. Chebbi est venu rassurer les Tunisiens, arrondir les angles comme il a toujours eu l'habitude de le faire, de parler de ses impressions et de ses sentiments, donner la preuve de sa grandeur d'âme, remonter à ce qu'il appelle «les années de braise» pour justifier sa magnanimité et, par ses petites histoires et anecdotes, faire étalage des respect et amitié qu'il voue à tout le monde, ses adversaires et ses alliés. «Je n'ai pas d'ennemi politique», nous rappelle-t-il, à un point de l'interview.

Néjib Chebbi à l'Assemblée constituante.

Néjib Chebbi à l'Assemblée constituante.

Cette volonté, quasi-obsessionnelle, du président du PR d'éviter le clash avec qui que se soit en arrivera même à dénaturer, dans une certaine mesure, le sceau humoristique de ''Labes'', puisqu'il refusera à plusieurs reprises de cautionner les plaisanteries de notre confrère, prenant à chaque fois ses distances avec Naoufel Ouertani en lui jetant des «c'est vous qui le dites», «je ne dirais pas cela» ou «parlons de ces choses avec sérieux»...

Néjib Chebbi reçu par Moncef Marzouki reçoit, le 19 février 2013.

Néjib Chebbi reçu par Moncef Marzouki reçoit, le 19 février 2013.

M. Chebbi préfère prendre de la hauteur, tente de s'élever dans son analyse pour nous expliquer ce que «les autres n'ont pas compris». Là, il en profite pour décocher une flèche (douce) à «ceux qui s'illusionnaient de voir Ennahdha tomber aussi facilement» au lendemain du meurtre de Chokri Belaïd. Le numéro un d'Al-Jomhouri ne verra pas la contradiction de ses propos: «Il était illusoire, dit-il, de penser que l'initiative de Hamadi Jébali allait mettre fin à la mainmise et au pouvoir d'Ennahdha (...) Cette initiative avait besoin de la caution de la Constituante qui est dominée par Ennahdha et ses alliés du CpR et d'Ettakatol (...) L'initiative de M. Jebali ne pouvait donc réussir (...) et l'Histoire nous a donné raison», insistera-t-il, sans beaucoup s'attarder sur le fait qu'il se soit investi corps et âme dans cette initiative, que Rached Ghannouchi, Hamadi Jebali et Ali Lârayedh lui aient proposé des portefeuilles – d'ailleurs, il a même oublié la véritable nature de cette offre.

Le traumatisme du 23 octobre 2011

Néjib Chebbi et Maya Jeribi reçus par Hamadi Jebali.

Néjib Chebbi et Maya Jeribi reçus par Hamadi Jebali: le gouvernement de technocrates, soutenu par le Parti républicain ne passera pas. 

M. Chebbi, cela s'appelle avoir plusieurs fers au feu que de mener plus d'un projet en même temps. Il faut choisir, bien précisément, son camp. Opter réellement pour l'opposition consiste normalement à garder des positions nettes et les distances les plus grandes de celles de l'adversaire. Une opposition molle comme celle du chef d'Al-Jomhouri brouille encore plus les cartes, jette la confusion dans les rangs mêmes du PR et n'arrange pas les choses pour ce dernier auprès des électeurs.

Nous comprenons le traumatisme causé par le choc du 23 octobre 2011, la défaite cuisante et le désenchantement profond de ce qui s'appelait à l'époque le Parti démocratique progressiste (PDP). D'ailleurs, le scrutin de la Constituante avait déçu tous «les démocrates» (les libéraux, le centre et toutes les gauches). Il fallait donc tirer les bons enseignements: qu'Ennahdha avait la partie la plus facile, qu'elle possède toujours les mêmes atouts (moyens financiers, organisation et discipline) et les mêmes efficacités idéologiques (un message, un discours et des slogans qui passent aisément auprès d'une opinion publique «innocente»).

Il fallait apprendre cette leçon que ce ne sera jamais une opposition molle qui déboulonnera les Nahdhaouis.

Néjib Chebbi reçoit Caïd Essebsi au siège du Parti républicain, le 19 janvier 2012.

Néjib Chebbi reçoit Caïd Essebsi au siège du Parti républicain, le 19 janvier 2013: les nouvelles alliances se mettent en place.

Pourtant, par souci de présidentialité, M. Chebbi s'éreinte encore à nous dire qu'avant d'appartenir au Parti républicain il appartient au «parti de la Tunisie», une formule qui traduit assez la timidité de cet homme et la frilosité de son parti qui, ni l'un ni l'autre, n'a compris que la raison de leur déphasage, leur déclin et leur très probable disparition prochaine tient en cette peur panique d'affronter franchement Ennahdha, ce manque de volonté à utiliser des mots entiers et des phrases complètes pour dénoncer les jeux que les disciples de Rached Ghannouchi ont joués pendant les quinze derniers mois et les tromperies qu'ils se préparent à exécuter pour atteindre le rendez-vous des prochaines élections.

Pourtant, aussi, le chef du PR entretient toujours le même discours paternaliste et ne se prive pas d'envolées lyriques pour retracer son parcours politique «irréprochable» d'homme courageux «qui ne bégaie pas pour appeler les choses par leurs noms», qui a tout vu, tout compris et «auquel personne ne pourra jamais donner de leçon sur comment traiter avec Ennahdha».

Néjib Chebbi revigoré par l'enthousiasme des siens.

Néjib Chebbi revigoré par l'enthousiasme des siens, mais saura-t-il résister aux sirènes du pouvoir?

Bref, l'on peut facilement s'accorder sur cette dernière prestation télévisée de Ahmed Néjib Chebbi pour la qualifier de fade et de banale et parier fort, très fort, que si Al-Jomhouri ne change pas de style et de manière de faire, il serait assurément happé par les oubliettes de l'Histoire: il n'en restera ainsi que le très vague souvenir d'un «Flamby» (pour emprunter une expression à nos amis français) et derrière lui, très loin derrière, la coléreuse guerrière Maya Jeribi et les éléphanteaux républicains qui n'ont jamais eu leur chance....