Rached et Soumaya Ghannouchi

Les dirigeants d'Ennahdha se trompent lourdement, cependant, s'ils persistent longtemps à croire que le peuple qui s'est si bien débarrassé d'un vil tyran se laissera de nouveau mettre et de si tôt la bride au cou !

Par Mohamed Ridha Bouguerra*

A voir la gestion par les dirigeants d'Ennahdha de la crise ouverte par l'assassinat du militant Chokri Belaïd, on ne peut que tristement constater qu'ils sont tous frappés de cécité politique.

Cela ressort clairement des manifestations qu'ils ont organisées deux samedis successifs sur l'avenue Habib Bourguiba ou du camouflet qu'ils ont administré au secrétaire-général de leur propre parti et chef du gouvernement dont ils ont saboté la louable tentative de réconciliation nationale et qu'ils ont ignominieusement poussé vers la sortie. Leur manière de s'emparer de la crise ministérielle pour davantage serrer leur étreinte sur l'État sans concéder, dans un esprit d'apaisement, la moindre concession à leurs adversaires est une autre preuve de cet aveuglement catastrophique pour tout le pays.

La politique de division et d'exclusion

Ce sont là, en effet, quelques-uns des principaux faits qui montrent que les premiers responsables du parti conservateur religieux n'ont pas tiré la leçon qui s'impose du gigantesque rassemblement humain du vendredi 8 février en hommage au leader du parti des Patriotes démocrates.

Au lieu de tenter, à l'occasion de ce deuil national, de rassembler les Tunisiens et de renoncer à leur politique de division et d'exclusion, ils n'ont, au contraire, manifesté que suffisance mal venue, satisfaction de mauvais aloi et hâte inquiétante à investir les rouages de l'Administration.

Un simple exemple ici pour mieux me faire comprendre : la déclaration de Moncef Ben Salem, selon laquelle le Conseil de la Choura d'Ennahdha serait «la plus haute instance du pays»! On me rétorquerait, probablement, que ce n'est là qu'un malheureux lapsus. Ce serait alors un lapsus bien révélateur des vœux secrets et intentions profondes de nos gouvernants actuels!

Ne nous donnent-ils pas, d'ailleurs, la nette impression que, pour eux, la Tunisie n'est qu'un butin qu'il faut rapidement se partager? Il faut finir, en effet, par se rendre à l'amère évidence, à savoir que le moteur de l'action d'Ennahdha est, malheureusement, la haine que son leader porte à un certain mode de vie et à un modèle social tunisien.

Aveuglés par la rancœur et le ressentiment, avides de vengeance, les Nahdhaouis ne souhaitent-ils pas à leurs adversaires, comme le disent leurs pancartes et slogans: «Mourez de votre propre dépit»? Tous les leurs pourraient reprendre à leur compte ces mots terribles prononcés par la fille cadette de Rached Ghannouchi, tels que rapportés par l'hebdomadaire ''Jeune-Afrique'', le 6 novembre 2012.

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Un message injurieux de la fille du leader islamiste destiné à l'oppostion a provoqué une vive colère chez beaucoup de Tunisiens.

Les mots ravageurs de Soumaya Ghannouchi

Mme Soumaya Ghannouchi, épouse Bouchlaka, a donné libre cours à un inconscient ravageur et qui ne se soucie pas des nuances, quand, après avoir ironisé sur le compte des candidats malheureux aux élections du 23 octobre 2011 et qu'elle a qualifiés de «pleurnichards» et de mauvais perdants, elle déclare: «Mon père a souffert, au tour des autres de souffrir».

Que faudrait-il penser de propos aussi scandaleux, révoltants et révélateurs à la fois, sinon qu'ils sont «comme une auto-intoxication, la sécrétion néfaste, en vase clos, d'une impuissance prolongée», produit du ressentiment tel que défini par Camus dans ''L'Homme révolté''?

On aimerait demander à Mme Ghannouchi Bouchlaka si elle trouve aujourd'hui méritées les souffrances de Basma Khalfaoui Belaïd et celles de la jeune Nourouz, veuve et fille de Me Belaïd, qui, sous la dictature, n'hésitait pas, pourtant, à prendre la défense des amis de M. Ghannouchi précisément et à ferrailler durement contre des juges corrompus et tout un appareil judiciaire vindicatif et malfaisant?

Méritées aussi les souffrances de la veuve de feu Lotfi Nagdh et des six tout petits orphelins dont le père a été lynché par les membres de la prétendue Ligue de protection de la révolution (LPR) et protégés de M. Ghannouchi à Tataouine?

Méritées également les souffrances de tous les jeunes manifestants contre la précarité de la vie et qui ont perdu qui un œil, qui la vue, à Siliana?

Méritées encore les souffrances de tous ces manifestants qui sont régulièrement tabassés par la police de Ali Larayedh car opposés à l'instauration d'un État théocratique d'inspiration wahhabite étrangère à nos mœurs?

Méritées, enfin, les souffrances de tout une population devenue incapable de joindre les deux bouts, plongée dans un profond marasme socio-économique et gagnée par la désespérance en raison de la politique politicienne étriquée pratiquée par M. Ghannouchi et ses amis?

L'"œuvre complète" de Ali Lârayedh

Obnubilés par le pouvoir qu'ils entendent jalousement garder malgré leurs échecs patents, les hommes de M. Ghannouchi et M. Ghannouchi lui-même se soucient davantage de leurs intérêts strictement partisans plutôt que des réels problèmes auxquels se trouve confronté tout le pays. Si tel n'était pas le cas comment aurait-on désigné comme futur chef du gouvernement l'homme qui, dans l'actuelle et provisoire équipe ministérielle, est le moins consensuel et dont le bilan est le plus sujet à caution?

M. Ghannouchi et ses amis pensent-ils sérieusement que nous avons déjà oublié le lynchage de Tataouine et la prétendue crise cardiaque qui aurait coûté la vie au militant régional de Nida Tounes, si l'on en croit le porte-parole de M. Lârayedh?

Que nous avons déjà oublié le meurtre de feu Chokri Belaïd et les bombes de gaz lacrymogène par lesquelles la police de M. Lârayedh a accueilli l'arrivée, à l'avenue Habib Bourguiba, de l'ambulance transportant la dépouille du martyr?

Que nous avons déjà oublié la commission qui doit enquêter sur le passage à tabac des citoyens désireux un an après la révolution dignement commémorer les événements historiques du 9 avril mais qui en ont été empêchés par les brigades d'intervention de M. Lârayedh secondées par les milices de son parti?

Que nous avons déjà oublié la commission qui doit enquêter sur les agressions subies par des syndicalistes la veille de la célébration de l'anniversaire de la mort du martyr Farhat Hached, mais dont les coupables sont encore inconnus pour les services de M. Lârayedh?

Que nous avons déjà oublié l'impunité dont ont joui les agresseurs de Zied Krichène ainsi que tous les membres, partout dans le pays, de la mensongère et fascisante Ligue de protection de la révolution, jamais arrêtés par les enquêteurs du ministère où officie M. Lârayedh?

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Un ministre en flagrant déli d'incompétence à la tête du gouvernement Tunisien.

Que nous avons déjà oublié la gestion calamiteuse de l'assaut lancé contre l'ambassade et l'école américaines où a lamentablement échoué le plan de sécurisation du site concocté par les services compétents de M. Lârayedh?

Que nous avons déjà oublié la cavale qui se poursuit encore du chef salafiste et grand stratège de cette attaque désastreuse tant pour l'image de notre pays à l'étranger que pour son économie, d'autant plus qu'est demeurée à ce jour sans succès la traque d'Abou Yadh par les limiers de M. Lârayedh?

Passivité, complaisance, complicité, incompétence, voilà le beau bilan du ministre de l'Intérieur paradoxalement promu Chef du gouvernement!

On pourrait se demander aujourd'hui à qui, finalement, profite le meurtre de Chokri Belaïd? On peut répondre, sans grand risque d'erreur, que le grand gagnant dans cette bien triste affaire est Ennahdha, si l'on en juge d'après la promptitude avec laquelle le parti conservateur a pu avancer, opportunément, ses pions sur l'échiquier politique.

Les dirigeants d'Ennahdha se trompent lourdement, cependant, s'ils persistent longtemps à croire que le peuple qui s'est si bien débarrassé d'un vil tyran se laissera de nouveau mettre et de si tôt la bride au cou !

* Universitaire.