altDeux événements, en France et en Tunisie,  posent le problème du statut de l’art de la caricature et de son acceptation, même dans ses excès, parles population des deux côtés de la Méditerranée.

Par Marie-Jeanne Kimberley


Où que l’on se trouve, des États-Unis qui ne lui reconnaissent absolument aucune limite, à la Tunisie où les autorités interrogent les artistes sur leurs «intentions», en passant par la France qui n’y met de barrière que pour interdire tout appel à la haine et à la violence, la liberté d’expression reste une question sensible, sans cesse reposée, et débattue sans fin.

alt

Le siège de ''Charlie-Hebdo'' à Paris gardé par la police.


France: Mohamed de nouveau malmené

En publiant des caricatures de Mahomet dans son numéro du mercredi 19 septembre, l’hebdomadaire satirique ‘‘Charlie Hebdo’’ a enflammé le web. Chacun y est allé de son petit ou grand commentaire: il été accusé, entre autres choses, d’attiser la haine contre les musulmans, et de jeter de l’huile sur le feu en surfant sur l’actualité internationale brûlante des violences extrêmes commises par des radicaux islamistes qui ont suivi la diffusion sur la toile d’extraits du (très mauvais) film du dénommé Sam Bacile ‘‘L’innocence des musulmans’’, hostile à l’islam et aux musulmans.

alt

Philippe Val, patron de ''Charlie Hebdo'': la provocation et les coups de pub...

Pascal Boniface estime, dans un article publié sur le site du ‘‘Nouvel Obs Le Plus’’ , que l’hebdo satirique a définitivement «abandonné sa tradition libertaire au profit d’une ligne beauf-raciste».

Rappelons à cet effet que ‘‘Charlie Hebdo’’ est moins le chantre de l’«islamophobie» (terme par ailleurs créé pour faire passer toute critique d’une religion comme du racisme donc dangereux car censeur) que celui d’une posture anticléricale et antireligieuse. Pour preuve: les Unes caricaturant Jésus ou  le Pape (entre autres) sont bien plus nombreuses que celles visant le prophète de l’islam.

alt

Manifestation pour la liberté d'expression en Tunisie.

Le journal a, à plusieurs reprises, été taxé d’«opportuniste». Pourtant, partant du principe que ‘‘Charlie Hebdo’’ parait chaque mercredi, et que les évènements ont démarrés vendredi dernier, il parait clair que l’hebdomadaire ne fait qu’assumer son rôle de média en réagissant lui aussi à l’actualité, comme à son habitude à travers le prisme de la satire. Publier ces nouveaux dessins dans une période «plus calme» n’aurait eu aucun sens, et ‘‘Charlie Hebdo’’ se serait attiré les mêmes foudres de ses détracteurs, et aurait été accusé de rouvrir des plaies difficiles à cicatriser.

Il semblerait que la liberté d’expression en France vacille, tandis que Jean-Marc Ayrault, Premier ministre, et Laurent Fabius, ministre des Affaires étrangères, condamnent tous les deux le choix de publier de nouveaux dessins satiriques, le premier désapprouvant «tout excès», tandis que le second se dit «contre toute provocation».

N’est-ce pas là pourtant l’essence même de la caricature? La demande de modération implicite du gouvernement à l’endroit de ‘‘Charlie Hebdo’’ n’est-elle pas, en soi, une introduction à la censure, ou à tout le moins un appel à l’autocensure?

Les défenseurs de la liberté d’expression sont autorisés à le penser…

alt

Affiche du Festival arabe de la caricature... reporté.

Tunisie : un festival de la caricature reporté en catimini

Sans transition aucune, cela nous rappelle les différentes atteintes à la liberté d’expression ces derniers mois en Tunisie.

Pourtant, une dépêche Afp du 25 juin dernier nous annonçait la tenue du 6 au 8 septembre 2012, à Tunis, du premier volet d’un évènement qui aurait pu avoir un impact et une valeur symbolique forte: le 1er Festival arabe de la caricature.

Lors de la seule conférence de presse, Wiem Mohamed Kord, directeur de ce festival, avait annoncé qu’il souhaite «promouvoir les jeunes talents dans le domaine de la caricature» à l’occasion de cet évènement placé sous le signe des révolutions arabes.

Conçu pour revaloriser l’art de la caricature qui ne cesse de montrer l’évolution de la pensée et de la perception des évènements par les caricaturistes, cet évènement avait aussi pour but de «montrer au monde entier le degré de civisme et de conscience de nos peuples qui ont fait la révolution et réussi à changer l’Histoire, refusant le despotisme, la dictature et le pouvoir totalitaire», a déclaré la déléguée au ministère libyen de la Culture, Awatif Tochani, associée à cet événement.

alt

Vue de la conférence de presse de juillet dernier à Tunis.

Au moins trois volets avaient été prévus, dans les capitales respectives des pays fédérés autour de cette initiative: la Tunisie, la Libye et l’Égypte.

Le choix de la ville de Tunis pour cette première édition n’était pas par hasard, puisque c’est de Tunisie qu’est partie l’étincelle permettant le soulèvement des peuples arabes qu’a connu l’année 2011.

Reprise par beaucoup de médias dans les quelques jours qui ont suivi, cette information est rapidement tombée dans l’oubli, face à un comité directeur complètement muet.

Dans cette période où l’obscurantisme religieux semble mener la danse, nous avons tenu à joindre les responsables du festival : selon Leila Ayari, du bureau de Tunis, seule personne ayant répondu à nos questions, il semblerait que, face à des demandes de participations très nombreuses en provenance de caricaturistes du monde entier, «et même syriens!», le festival ait été reporté à «janvier, ou bien à septembre 2013».

On appréciera cette imprécision qui traduit, s’il en est besoin, la perplexité des organisateurs qui semblent douter de plus en plus de la possibilité d’organiser, aujourd’hui, un événement consacré à la caricature en Tunisie et dans les autres pays arabes.

Deux affaires à suivre…