Présente en Tunisie depuis les années 1960, Nestlé SA a fait l’objet, en 2006, du racket du clan de l’ex-président Ben Ali. La Télévision Suisse Romande (Tsr) et ‘‘Le Monde’’ ont enquêté.


En 2005, Mohamed Sakhr El-Materi commence à lorgner sur Nestlé Tunisie, qui emploie alors 300 personnes dans son usine de Tunis et réalise un chiffre d’affaires de 75 millions de dinars tunisiens. Un an plus tard, l’époux de Nesrine Ben Ali, la fille ainée du couple présidentiel, et son groupe Princesse Holdings prennent le contrôle sur 40% des actions Nestlé Tunisie, alors détenues par la Banque nationale agricole (Bna) et la Société tunisienne des industries laitières (Stil). Le géant de l’agro-alimentaire, pris au dépourvu, a du attendre deux ans avant de racheter, au prix fort, les parts de cet actionnaire par effraction.

Une opération pilotée à partir du Palais de Carthage
L’opération a été cousue de fil blanc et piloté à partir du Palais de Carthage. Le gendre du président a commencé par faire pression sur les actionnaires de Nestlé Tunisie, la Bna et Stil, qui lui ont cédé, en un tour de main, leur participation (respectivement 26,6 % et 14 %). C’est ainsi qu’El-Materi a pu les racheter au prix nominal, soit quelque 4,5 millions de dinars (alors 3 millions d’euros). «Cette transaction s'était faite sans consultation préalable avec Nestlé, en violation du droit de préemption de Nestlé et en dehors des transactions officielles de la Bourse de Tunis», dira Mélanie Kholi, porte-parole de Nestlé à Yves Steiner, journaliste de la Tsr. «Nous avons été mis devant le fait accompli. L’ordre venait du Palais de Carthage», explique un cadre de Nestlé Maghreb à la retraite. «Nestlé était furieuse! Elle craignait pour la marche de ses affaires et pour son image. En restant poli, disons que Mohamed Sakhr El-Materi agissait comme un truand», se souvient un diplomate européen alors en poste. Ne faisant pas dans la dentelle. Mieux (ou pis): Moncef El-Materi, le père de Mohamed Sakhr, est nommé à la présidence du conseil d’administration de la filiale tunisienne.

Moncef El-Materi président
En mai 2008, Princesse Holdings décide alors de vendre «de son plein gré» sa participation à Nestlé SA. La transaction avec le groupe Nestlé se déroulera un an plus tard, en juin 2009 avec l’enregistrement, à la Bourse de Tunis, de 23 millions d’euros sur Nestlé Tunisie, dont 19 millions auraient été empochés par la holding de Mohamed Sakhr El-Materi. ‘‘Le Monde’’ relève un autre point trouble: «Alors que le clan El-Materi vendait ses parts à Nestlé SA, la présidence de la filiale tunisienne restait dans les mains du père Moncef El-Materi. Il démissionnera de ce poste de prestige le 20 janvier 2011, après que son nom et celui de son fils soient apparus sur la liste noire du Conseil fédéral (gouvernement) qui a provisoirement bloqué 621 millions de francs d'avoirs tunisiens en Suisse.»