Si elle n’est pas encore un dragon, à l’instar de certains pays émergents asiatiques, la Tunisie est néanmoins considérée comme un «lion d’Afrique». Mais est-ce que cela signifie qu’elle est au seuil de l’émergence économique? Le débat est ouvert…



En moins de 40 ans, la Tunisie est passée du statut de pays sous-développé (1960-1970),  à celui de pays en développement (1980-1990), et, depuis le début du 3ème millénaire, à celui de pays pré-émergent, voire même émergent, selon certains experts.

Qu’est-ce que l’émergence?
Pour la Société financière internationale (Sfi), filiale de la Banque mondiale, le concept d’économie à marché émergent désigne les pays qui ont des marchés financiers en transition, augmentant continuellement en taille, en activité et en degré de sophistication. «Ce concept est apparu au début des années 1990 dans le contexte de la dérégulation des marchés financiers conduite aux Etats-Unis et en Europe, concomitamment avec les innovations technologiques et institutionnelles», explique Moubarack Lô, ingénieur statisticien et économiste sénégalais. Le directeur du cabinet Emergence Consulting et auteur du ‘‘Sénégal émergent: agenda pour le futur’’ ajoute: «Ces mutations ont favorisé la création de nouveaux instruments financiers et, surtout, l’accélération de l’internationalisation des placements de capitaux. La découverte majeure était que les pays à marché émergent offraient à ces capitaux de nouvelles possibilités de placement à haut rendement et à risque raisonnable.»
L’économiste préconise cependant l’adoption d’une «approche plus pratique» qui considère comme pays émergents non pas tous ceux qui restent dans les limites des seuils définis par la Sfi, mais «les pays en développement qui constituent des pôles d’attraction des investissements, qui accélèrent leur croissance économique et qui s’intègrent avec succès dans l’économie mondiale grâce à leurs capacités d’exportation ».
Selon cette méthode d’approche, huit pays africains ont d’ores et déjà franchi le stade de l’émergence. Ce sont la Tunisie, l’Ile Maurice, le Maroc, le Botswana, le Cap-Vert, la Libye, l’Afrique du Sud et l’Egypte. «L’Algérie est presque au but et devrait devenir émergente dans les toutes prochaines années, surtout si la paix sociale se consolide dans le pays», explique encore M. Lô. Mais tous ces pays devraient, selon lui, «maintenir leurs efforts pour devenir post-émergents pour certains, et prédéveloppés pour d’autres à l’horizon 2020».

Planification, bonne gouvernance et intégration régionale
Pour Tim Turner, vice-président de la Banque africaine de développement (Bad), «malgré les différentes définitions, l’Afrique du Sud, l’Egypte et le Maroc, auxquels s’ajoute souvent Maurice, sont presque toujours considérés comme des pays émergents. D’autres pays tels que la Tunisie et la Libye, parfois aussi le Botswana, peuvent être également inclus dans cette catégorie.»
Selon cet économiste, «les critères d’émergence sont réunis, mais pas de façon équivalente d’un pays à l’autre.» Il explique : «On a un modèle important avec la Tunisie, qui tire son développement d’une succession de plans quinquennaux. Le cadre institutionnel est posé avec un produit intérieur brut (Pib) par habitant en croissance continue et de nombreux indicateurs encourageants. C’est certainement un marché émergent, même si de part sa taille il n’est pas comparable à l’Egypte, à l’Afrique du Sud ou au Maroc.»
«Il y a de façon visible une corrélation entre, d’une part, la formalisation de véritables stratégies d’émergence et une gouvernance de qualité, et d’autre part les résultats atteints», fait remarquer, pour sa part, Victor G. Ndiaye, président du cabinet Performance Management Consulting, qui appuie plusieurs pays et institutions. «Ainsi, des pays comme l’Ile Maurice, la Tunisie, le Maroc, le Botswana, le Ghana, le Rwanda, le Cap-Vert sont souvent cités comme étant dans la bonne voie. De plus en plus de pays vont suivre», ajoute l’expert. Et de mettre un bémol: «Cette émergence nationale ne sera cependant inscrite dans la durée que si elle est adossée à l’émergence de grands marchés régionaux. En plus de mener les bonnes politiques au niveau national, le renforcement de l’intégration demeure une condition de l’émergence de l’Afrique.»

R. K.

* Les citations contenues dans cet article sont extraites d’une série d’interviews des auteurs (‘Les Afriques’’ N° 131, du 29 juillet au 29 septembre 2010).