Beaucoup de voix se sont élevées pour criminaliser l’endettement extérieur de la Tunisie. Or, l’endettement, qui est un levier de développement, n’est pas aussi alarmant que beaucoup peuvent le penser.

Par Aya Chedi


Il a fallu une table ronde organisée par l’Association des Tunisiens des grandes écoles (Atuge), pour apporter des éclairages sur la situation de l’endettement de la Tunisie. Selon Jamel Belhadj, directeur général au sein du ministère des Finances et membre du conseil d’administration de la Banque centrale de la Tunisie (Bct), le taux d’endettement en Tunisie n’a été en 2010 que de 40,1% du Pib national, un taux qui s’est élevé en 2011 à 44.1%. Pour ce qui est de l’endettement externe de la Tunisie, il a évolué de 39.3% en 2010 à 40.4% en 2011.

17 milliards de dinars de dettes

Il faut dire que ces chiffres n’ont rien à voir avec ce qui existe dans beaucoup d’autres pays, qu’ils soient similaires à la Tunisie, en l’occurrence le Maroc, ou autres : les taux d’endettement dans la zone euro est de 55%. Un taux qui varie entre ce qui existe en Allemagne, à titre d’exemple, ou en Grèce qui vit une très grande crise. Ce même taux est de plus de 100% aux Etats Unis.

Mais d’une façon générale, il faudrait savoir que le total des dettes tunisiennes est actuellement de 17 milliards de dinars, avec une vie moyenne de remboursement qui oscille autour de 6 ans.

Autre chiffre significatif : celui qui concerne la pression sociale de ces dettes, qui est de 2,5 milliards de dinars. Pour M. Belhadj, «on peut dire qu’on consomme autant qu’on investit». Pire encore : «On n’a pas consommé l’ensemble de nos dettes, faute de bons plans d’investissements», souligne-t-il encore. Et d’ajouter : «La maitrise du taux d’endettement a commencé depuis le milieu des années 2000, date à laquelle ce taux dépassait les 63%. Après le retour à des taux acceptables, en dessous de 45%, réalisés depuis 2010, on s’attend à ce que ce déficit, suite aux ballotages enregistrés en 2011, s’aggrave en 2012, avant de revenir à la normale en 2013».

La question qui mérite d’être posée actuellement est de savoir s’il vaut mieux s’endetter à l’externe ou à l’interne. Car «en Tunisie, on a toujours eu tendance à s’orienter à l’extérieur pour s’endetter. Mais à la fin des années 2000, on a commencé à introduire les réformes et à émettre des bonds de trésor visant à suppléer la dette externe par la dette interne, ce qui a permis de maintenir ce taux d’endettement autour de 40%. On devrait continuer sur ce chemin, en tenant en compte des besoins du pays en devise», note encore Jamel Belhadj.

Prendre en considération le coût de la dette

La dette de l’Etat s’oriente à compenser le déficit du budget de l’Etat et à résoudre le problème de la balance des paiements, notamment en ce qui concerne le déficit courant. Il s’agit aussi de prendre en considération le coût de la dette qui est en lui-même un choix stratégique à ne pas négliger, car «si on élimine le risque du change, la dette interne couterait beaucoup moins cher que la dette externe. Au niveau de la proximité, il faut aussi avoir un marché où les bailleurs de fonds sont des nationaux qui font confiance aux ratios du pays. Ce qui fait que ces bailleurs de fonds locaux peuvent être mobilisés à moindre coût». Ceci n’est pas le cas sur les marchés internationaux, où la quête de prêts nécessite beaucoup plus de temps et coûte encore plus cher.

Ce qui est frappant dans la position de beaucoup de Tunisiens, qui ont appelé, après le 14 janvier 2011, «à demander à un nombre de pays et d’organismes prêteurs et autres bailleurs de fonds, d’annuler la dette de la Tunisie», c’est qu’ils ont totalement négligé l’influence et le rôle des agences de notation. Bien qu’elles ont accumulé les bourdes en n’ayant pas prévu le déluge des crises financières, celles-ci demeurent les premières références des prêteurs et des bailleurs de fonds. Et on les imagine mal réagir positivement vis-à-vis de la Tunisie si Mustapha Kamel Nabli, gouverneur de la Bct n’a pas eu le bon réflexe d’assurer le paiement des dettes du pays au cours de 2011, comme étant  l’une des premières priorités. S’il ne l’avait pas fait, cela aurait rendu difficile, voire même impossible, la sortie de la Tunisie sur les marchés internationaux. Cela n’a certes pas empêché la note souveraine de la Tunisie d’être revue à la baisse à deux reprises, depuis le 14 janvier (de BBB avec perspective stable, à BBB- puis à BBB- avec perspectives négatives), mais la dégradation aurait pu être plus sévère si les dettes n’avaient pas été payées rubis sur ongles. Les notations ne sont pas des détails, car elles valent de l’argent, à très grande échelle même, à chaque fois qu’un pays se décide à chercher l’endettement extérieur.

Mais enfin pourquoi s’endetter ? Ce ne serait pas la meilleure façon de poser la question. Il faut plutôt se demander : on s’endette pour faire quoi ? On s’endette pour quels projets et quels investissements ? Nul ne pourrait réaliser des investissements dans l’infrastructure ou autre secteur sans recourir à de l’argent frais. Il faut cependant cibler des projets viables, capables de créer de la richesse, surtout dans le cas d’un pays comme la Tunisie qui manque de ressources. S’endetter pour investir serait une chose, s’endetter pour consommer en serait une autre ! Dans le premier cas, on aide à stimuler l’économie, alors que dans le second, on dilapide une richesse qu’on n’a pas produite, mais qu’on doit rembourser, un jour, au prix fort.