Les moyens d’impulser le développement régional, talon d’Achille du modèle tunisien, à travers une étude d’un cas: la délégation de Amdoun, région rurale dans le nord-ouest.

Par Rym Ben Zid


Mithak, une association de développement dont le siège est à Béja, a organisé, récemment, une rencontre à la Maison de la Culture de Amdoun à laquelle ont assisté des personnes appartenant à différentes catégories sociales et socioprofessionnelles : agriculteurs, fonctionnaires, commerçants, lycéens et étudiants.

Le but de cette rencontre était de présenter les problématiques du développement économique dans le gouvernorat de Béja et de proposer quelques solutions pour lever les contraintes l’entravant.

Trois présentations étaient au programme : une première sur la gestion des ressources naturelles dans ledit gouvernorat, qui a mis l’accent sur le développement de secteurs alternatifs tels que l’éco-tourisme. Une deuxième présentation a porté sur le développement agricole et régional et a démontré la nécessité de lier les politiques de l’emploi à des secteurs économiques prioritaires et spécifiques. La troisième, qui a recensé les terres domaniales présentes dans le gouvernorat de Béja, a proposé d’allouer ces terres aux techniciens et jeunes diplômés de l’enseignement supérieur agricole dans l’objectif de créer des emplois et, ceci, après avoir défini une superficie moyenne à attribuer.


Arc de Triomphe d'El Goussa à Amdoun

La délégation de Amdoun est caractérisée par un relief accidenté, une pression démographique élevée sur le foncier, des exploitations de petite taille très morcelées avec un parcellaire très dispersé et une croissance démographique négative.

Le deuxième bassin laitier de Tunisie

Dans cette délégation, l’activité principale est l’agriculture ; il existe, une pluviométrie élevée et des sols de bonne qualité. Un élevage bovin laitier de race importée et de race croisée, dont l’alimentation est basée sur les fourrages verts et secs produits localement, et rentable, s’est développé dans la cadre de la petite exploitation familiale, notamment grâce à l’installation de centres de saillie naturelle et de centres de collecte de lait, après la mise en œuvre de projets financés par la Banque Mondiale, et aux incitations de l’Etat et politiques subséquentes de protection de la filière lait ; ces dernières ont établi  une taxe à l’importation de la poudre de lait, une subvention sur la collecte du lait et des mesures d’encouragement pour la création de centres de collecte de lait privés. Ainsi, Amdoun est devenu le deuxième bassin laitier de Tunisie, approvisionnant des industries laitières délocalisées par rapport à la zone de production.

Malgré des perturbations causées par des joutes partisanes inopportunes, les questions soulevées dans le débat qui a suivi les trois interventions ont fait ressortir trois éléments essentiels qui, combinés, déterminent le développement économique et agricole de Amdoun, dépassent largement le cadre de cette délégation et peuvent alimenter le débat national à mener sur le développement régional.

Le morcellement des terres

Le premier élément est relatif à la contrainte principale entravant le développement agricole à Amdoun qui est le morcellement des terres. La  superficie des exploitations agricoles ne dépasse pas dix hectares, et dans la plupart des cas, les exploitations sont constituées de plus de dix parcelles de très petite superficie. Cet état de fait grève leur rentabilité notamment à cause des dépenses élevées à engager pour la préparation du sol et provoque la dégradation et l’érosion des sols du fait du mode d’héritage prédominant qui consiste à attribuer à chaque héritier des parcelles de largeur réduite, orientées dans le sens de la pente et couvrant les étages agro-écologiques différenciés (plaine et montagne). Un remembrement des terres agricoles est impératif pour sauvegarder le patrimoine foncier et pour créer des exploitations viables, rentables et génératrices d’emploi. Ce remembrement sera, relativement, aisé dans la délégation de Amdoun car les exploitations présentent les mêmes caractéristiques, ont des niveaux de revenu comparables et les groupes sociaux présents sont homogènes. Le remembrement peut être réalisé par zone agro-écologique en mettant en œuvre des mécanismes de compensation pour les exploitations qui bénéficieraient de parcelles dans la zone la plus haute et la plus érodée.

Le vieillissement de la population rurale active

Le deuxième élément concerne le vieillissement de la population rurale active. Le solde migratoire et la croissance démographique de la délégation de Amdoun sont négatifs. Les jeunes sont en train de quitter massivement cette délégation et se désintéressent de plus en plus de l’activité agricole parce que les ressources générées par les exploitations ne suffisent pas à assurer la survie des exploitants et de leurs enfants notamment à cause du morcellement du foncier. Ils  vont chercher des opportunités d’emploi dans les grandes villes ou dans d’autres régions. Si les problèmes structurels de l’agriculture que sont le morcellement du foncier et le manque de financement ne sont pas résolus, des délégations entières à l’instar de celle de Amdoun, constituées d’exploitations familiales de petite taille, vont se vider, à moyen terme, de leur force de travail et l’activité agricole va disparaître, malgré l’existence de ressources en eau et en sol à exploiter.

L’inexistence de services de proximité

Les agriculteurs, commerçants, fonctionnaires présents dans la salle lors de cette rencontre ont fortement insisté sur l’inexistence de services de proximité dans la délégation de Amdoun, et notamment sur l’absence de recette fiscale. Cela semble anodin mais cet élément déterminant appelle à une réflexion plus large sur le développement et ouvre la voie à un véritable débat sur le développement local et la décentralisation.

L’absence de recette fiscale à Amdoun signifie que la population originaire de cette délégation va payer ses impôts à Béja. Il n’y a pas de rentrées fiscales, gérées par une instance locale, qui permettraient de financer des projets d’intérêt collectif ou de développement dans les secteurs de l’agriculture, des travaux publics, de l’éducation…

Le nombre limité de banques dans le chef-lieu de la délégation freine l’épargne et les investissements au niveau local dans l’ensemble des secteurs. Il est impératif que tous les acteurs privés et publics, à l’instar de la Banque nationale agricole (Bna) qui possède une agence à Amdoun, contribuent au développement local dans des zones marginales. Pour cela, autant les banques commerciales que les banques étatiques doivent développer des produits financiers adaptés aux réalités et à l’activité économique de ces zones.

Relancer une activité agricole rentable et productive dans les zones où il existe un potentiel et qui sera la base du développement de petites industries alimentaires génératrices d’emploi au niveau local, instaurer des instances locales chargées de gérer la fiscalité locale, mettre en œuvre des projets d’intérêt public prioritaires, et offrir des services de proximité étatiques et/ou privés indispensables au financement et à la dynamisation de l’activité économique sont les points d’achoppement d’un développement local et régional équilibré et équitable.