La glissade de l’euro s’est accélérée ces dernières semaines sur fond d’inquiétudes croissantes quant à la solvabilité de certains des Etats membres de l’Union européenne (UE). Les experts prévoient même une parité euro/dollar de 1,15 en fin d’année. Comment l’économie tunisienne, fortement amarrée à la zone euro, va-t-elle réagir face à cette situation ? Par Ridha Kéfi



Dès le 10 mai, en pleine crise grecque, le Président Zine El Abidine Ben Ali a conféré avec M. Mohamed Ghannouchi, au Palais de Carthage. Passant en revue avec le Premier ministre la situation économique du pays à la lumière de l’évolution de la crise dans la zone euro et de ses éventuelles répercussions sur les échanges extérieurs de la Tunisie, le Chef de l’Etat a notamment décidé de créer une commission de suivi à ce sujet et donné des instructions pour approfondir l’étude des mesures susceptibles de garantir la sécurité de l’économie nationale.
Ces mesures concernent la rationalisation des dépenses publiques, la maîtrise des dépenses liées aux produits de consommation importés, l’amélioration de la productivité et l’accroissement de la compétitivité de l’économie. Il s’agit avant tout de préserver les équilibres macroéconomiques du pays, les emplois et le pouvoir d’achat des catégories à faible revenu.

Retombées sur la balance des payements
Au cours des deux dernières semaines, la situation en Europe a continué à évoluer de façon erratique, sinon à se dégrader. L’euro a atteint son plus bas niveau depuis 2006. Il a perdu près de 18% de sa valeur depuis décembre 2009, date à laquelle il s’échangeait autour des 1,50 contre le dollar.
Les gains de compétitivité associés à cette baisse sont certes une bonne nouvelle pour les économies de la zone euro qui tournent au ralenti avec une consommation intérieure durablement grippé. Peut-on en dire autant en ce qui concerne la Tunisie, dont l’essentiel des échanges économiques (70 à 80%) se fait encore avec le Vieux continent et, donc, en euro ?
A cette question, la réponse de la plupart des économistes est très mitigée. Selon eux, cette baisse ne peut qu’avoir des retombées négatives sur la Tunisie, notamment au niveau de sa balance des payements. Car, comme l’explique l’économiste Abderrahmane Mebtoul, dans ‘‘Algérie-Focus’’ http://www.algerie-focus.com/2010/05/23/cours-dollareuro-et-raisons-de-la-speculation-financiere-en-algerie/, «la dévaluation d’une monnaie permet en principe de dynamiser les exportations d’un pays et la réévaluation de les freiner. Cependant avec la trans-nationalisation du capital (mondialisation), ce serait une erreur de raisonner uniquement au niveau de la balance commerciale car il faut raisonner au niveau de la balance des paiements.»
Et c’est à ce niveau justement que notre pays a le plus à craindre. En effet, les recettes de la Tunisie en euro dépassent ses payements en cette même monnaie. Sa balance nette étant positive en euro, ses recettes en cette monnaie se déprécient nécessairement.
Cette situation a son corollaire, qui est tout aussi inquiétant. Car tout en étant créancière dans une monnaie qui se déprécie, la Tunisie est débitrice dans une monnaie que si valorise, le dollar. Nous avons malheureusement plus de payement que de recettes en cette monnaie. Pour caractériser cette situation, les économistes parlent d’«effet de ciseau»: moins de recettes, plus de payements. Notre pays serait alors perdant des deux côtés.
Comment gérer la parité de la monnaie nationale dans ce cas ?
Le cours de l’euro exprimé en dinar ne baisse pas, alors que le cours du dollar exprimé en dinar augmente sensiblement, contrairement à ce que cela devrait être pour refléter un tant soit peu la situation du marché international. Cela voudrait dire que le dinar va continuer à glisser sensiblement. Serait-ce une bonne chose?
Les économistes sont unanimes: cette situation provoquerait une hausse du taux d’inflation, qui est déjà passé, depuis le début de la crise, de 2,5 à 5,1%. Cela n’aidera pas à relancer la demande extérieure du produit tunisien, puisque l’Europe, notre principal marché, est en crise. L’élasticité de la demande européenne risque donc de ne plus jouer en faveur des exportateurs tunisiens.

Un véritable casse-tête

Faut-il réduire le taux d’intérêt pour relancer la machine ? La solution est souvent préconisée comme une panacée. Or, elle n’aurait, dans ce cas, qu’un seul effet: réduire l’endettement des opérateurs économiques les plus endettés. Cela ne se traduirait pas nécessairement par une relance de l’investissement intérieur. Si c’était le cas, la solution serait toute trouvée.
En revanche, la baisse du taux d’intérêt aurait un impact négatif sur l’économie, eu égard, surtout, à la situation de l’épargne nationale, estimé à 23,1% du PIB en 2009, alors que l’on espérait la voir atteindre des taux asiatiques (30% et plus). Par ailleurs, en encourageant la consommation, on risque de bouleverser les fondements de notre système bancaire, qui vit grâce à l’épargne mais dont les bases sont loin d’être solides.
Que faire pour résorber l’impact négatif de la dépréciation de l’euro sur notre économie nationale, alors que l’investissement extérieur a baissé en 2009 (-34%), ainsi que les recettes touristiques en devises (-1,9 %), les transferts en devises des Tunisiens résidant à l’étranger (-7%), les exportations  (-18,3), les importations (-18,2%) et la production industrielle orientée vers l’exportation, essentiellement les industries mécaniques et électriques et le secteur du textile et habillement (-10,5) ?
Véritable casse-tête pour les architectes de l’économie tunisienne qui vont devoir prendre des mesures supplémentaires pour atténuer les effets de la crise et maintenir les équilibres macroéconomiques qui ont toujours constitué la force de la Tunisie et la base de sa stabilité et de sa (relative) prospérité. Ils doivent surtout faire faire preuve de beaucoup d’imagination, de doigté et d’équité dans la répartition des répercussions négatives (comme des appuis et des soutiens)  entre toutes les catégories de la société.