Des activistes tunisiens appellent à la suspension du paiement de la dette extérieure pour permettre au gouvernement de satisfaire les besoins des populations. Une position qui est loin de faire l’unanimité.


Au cours de sa première conférence de presse en tant que gouverneur de la Banque centrale de Tunisie (Bct), le 21 janvier dernier, Mustapha Kamel Nabli, qui chapeautait auparavant la direction Moyen-Orient/Afrique du Nord à la Banque Mondiale, a déclaré que «la Tunisie remboursera ses dettes dans les délais, en recourant aux ressources du budget de l’État».

Abattre la dictature de la dette
Fathi Chamkhi, économiste et porte-parole de Raid Attac-Cadtm-Tunisie, n’est pas de cet avis. Son organisation s’apprête d’ailleurs à organiser un meeting populaire le 22 mai à la Bourse du travail à Tunis, sous le thème, qui sonne comme un programme d’action: «Unissons-nous pour abattre la dictature de la dette !»
Les organisateurs annoncent la participation, aux côtés de militantes et de militants tunisiens, de quatre euro-parlementaires européens du groupe Gauche unitaire européenne (Gue): la Française Marie-Christine Vergiat, l’Irlandais Paul Murphy, le Grec Georgios Toussas et le Portugais Joao Ferreira.

Fathi Chamkhi, porte-parole de Raid Attac-Cadtm-Tunisie.

Une pétition signée par 75 parlementaires européens appuyant cette revendication sera présentée à cette occasion. La pétition demande la suspension immédiate du remboursement des créances européennes sur la Tunisie (avec gel des intérêts) et la mise en place d’un audit de ces créances.
«Cet audit, qui devra associer des représentants de la société civile comme l’a fait le gouvernement équatorien en 2007-2008, permettra de faire la lumière sur la destination des fonds empruntés, les circonstances qui entourent la conclusion des contrats de prêts, la contrepartie de ces prêts (les conditionnalités) ainsi que leurs impacts environnementaux, sociaux et économiques», ajoute les parlementaires européens dans leur pétition. Et d’expliquer: «L’audit permettra ainsi d’identifier la part illégitime de la dette tunisienne, celle qui n’a pas profité à la population mais aussi d’éviter la formation d’un nouveau cycle d’endettement illégitime et insoutenable en responsabilisant les créanciers européens, les institutions financières internationales au sein desquelles l’Europe a un poids prépondérant, et le prochain gouvernement de Tunisie.»

Suivre l’exemple de l’Argentine
Pourquoi la Tunisie doit-elle suspendre le paiement de sa dette? Pour M. Chamkhi, les raisons sont évidentes.
D’abord, ce n’est pas vraiment une aberration: l’Argentine l’a déjà fait. Elle a décidé de suspendre unilatéralement le remboursement de sa dette publique entre 2001 et 2005 pour ne pas sacrifier les besoins de sa population. Grâce ce moratoire, elle a pu renouer avec la croissance économique.
Ensuite, la Tunisie est dans une situation économique et politique très difficile, qui pourrait justifier le recours à un tel choix. M. Chamkhi brosse d’ailleurs un tableau très noir de la situation générale dans le pays. «Quatre mois après la chute du dictateur, la situation en Tunisie reste très instable, voire explosive, notamment du fait de l’aggravation de la pauvreté et du chômage. Dans le même temps, le 1er ministre laisse planer le doute sur une probable cessation de paiement de l’Etat, en disant qu’il ne pourrait peut-être plus pouvoir assurer les salaires», note-t-il dans un document de présentation du meeting. Il ajoute: «Le gouvernement provisoire n’a de solution à offrir aux pauvres, aux chômeurs et aux travailleurs en général, que la poursuite de la même politique économique et sociale de l’ex-dictateur, qui a conduit le pays à la faillite et à la révolution, pense que seul la répression peut ramener la stabilité ».
Raid Attac Tunisie croit avoir trouvé des solutions «immédiates, concrètes et applicables» à cette phase transitoire en Tunisie, qui permettra de «renforcer le processus démocratique et rétablir la stabilité économique et sociale». En fait, il s’agit d’une solution miracle: suspendre le paiement de la dette extérieure, qui grève les dépenses extérieures et déséquilibre la balance des paiements.
Pour la seule année 2011, plus d’un milliard d’euros doivent être payés en tant que service de la dette contractée par l’ancien régime. La moitié vient d’être payée le 6 avril, l’autre moitié est prévue en septembre.

Faire face à l’urgence sociale
Pour M. Chamkhi, cette somme importante pourrait être utilisée pour «faire face à l’urgence sociale seule condition pour rétablir la stabilité dans le pays», car, explique-t-il, «le peuple tunisien qui s’est débarrassé du dictateur a le droit de se débarrasser aussi de sa dette laissée derrière lui.» En d’autres termes, les Tunisiens sont priés de «choisir entre le payement de la dette du dictateur et la satisfaction de [leurs] propres droits économiques, sociaux et culturels», souligne M. Chamkhi. «C’est une question démocratique fondamentale et de justice sociale», ajoute-t-il.
Cette approche militante n’est pas, on l’imagine, du goût du gouverneur de la Bct. Interrogé sur la question de la dette, au cours d’un débat sur «la Tunisie post-révolution: quelles perspectives économiques?», organisé, jeudi le 12 mai à Tunis, par la Banque africaine de développement (Bad), M. Nabli a réitéré sa position de principe. «Le payement ou non de la dette n’est pas une question idéologique», a-t-il affirmé. «Si on veut décider de ne pas payer nos dettes, nous pouvons toujours le faire», a-t-il ajouté. Avant de lancer cet avertissement: «Si nous ne payons pas nos dettes, les portes de l’emprunt se fermeront». Ce n’est donc pas selon lui une très bonne idée, d’autant, a-t-il estimé, que «la situation actuelle milite en faveur du paiement de nos dettes.»
Le débat est donc loin d’être clos…

Imed Bahri