La recrudescence des inégalités en Tunisie

Les inégalités conduisent à une affectation inefficace des ressources, un gâchis du potentiel de production, un taux élevé de dépendance et un développement institutionnel déficient.

Par Maya L.

La Tunisie, puis d’autres pays de la région Mena ont connu ce qui est désormais qualifié de «Printemps arabe» ou de «Révolution arabe», à savoir une vague de révolte caractérisée par des manifestations, des protestations, des grèves, des défilés et des rassemblements qui s’est déclenchée le 18 décembre 2010 à Sidi Bouzid, en Tunisie, au lendemain de l’auto-immolation d’un jeune vendeur ambulant, qui protestait contre les mauvais traitements infligés par la police.

Vers une plus grande inclusion économique et politique

L’expérience tunisienne a rapidement déclenché une vague de troubles majeurs dans la région, touchant l’Algérie, Bahreïn, l’Égypte, l’Irak, la Jordanie, le Koweït, le Maroc, la Syrie, le Yémen ainsi que d’autres pays.

Si le conflit fait toujours rage en Syrie, dans quatre autres pays, les régimes dictatoriaux établis de longue date, ont tous été renversés, à savoir en Tunisie, en Égypte, en Libye et au Yémen.

La révolution a ainsi servi de catalyseur pour lancer de vastes et ambitieuses réformes dans plusieurs pays de la région. Outre les revendications en faveur d’une plus grande inclusion économique et politique, le printemps arabe est né du refus de tolérer les inégalités socio-économiques flagrantes perpétuées par des «élites» depuis trop longtemps installées au pouvoir.

Une Tunisie peut en cacher une autre.

Une Tunisie peut en cacher une autre.

Dans de nombreux pays, et en particulier la Tunisie, la question de l’inégalité se retrouve donc, aujourd’hui, au premier plan du discours national et international, le but étant de trouver des solutions.

S’attaquer au problème de l’inégalité de revenu est important car l’inégalité entrave la réalisation des Objectifs du millénaire pour le développement (Omd)1 et les efforts de réduction de la pauvreté en général; elle conduit à une affectation inefficace des ressources, un gâchis du potentiel de production, un taux élevé de dépendance et un développement institutionnel déficient.

En particulier, l’inégalité retarde le développement en général, ralentissant la croissance économique, causant des problèmes dans le domaine social et de la santé, notamment de mauvais résultats scolaires, aggravant la pauvreté, le chômage et les inégalités sociales, en particulier chez les enfants, et provoquant une instabilité et des conflits sociaux et politiques.

Inégalités de revenu et pauvreté monétaire

Ce qu’on a pu observer en Tunisie, depuis la révolution du 14 janvier mais surtout depuis l’arrivé au pouvoir du parti islamiste Ennahdha, c’est un fort taux d’accroissement des inégalités de revenu et l’apparition d’une pauvreté monétaire, même si elle reste peu élevée par rapport à d’autres régions du monde en développement.

Sit-in dechômeurs à Gafsa- Sans diplôme, sans travail, sans épouse, sans rien...

Sit-in dechômeurs à Gafsa- Sans diplôme, sans travail, sans épouse, sans rien... 

Outre l’inégalité de revenu, les décideurs politiques tunisiens, en particulier la coalition dominée par le parti islamiste au pouvoir, se soucient peu, voire pas du tout, d’autres formes d’inégalité, comme celles observées dans le domaine de l’éducation et de la santé. L’inégalité de genre que révèlent ces indices sociaux, en particulier en ce qui concerne le marché du travail, représente aussi une source de grande frustration sociale.

En effet, le marché du travail actuel en Tunisie se caractérise par une inadéquation persistante du capital humain par rapport aux besoins réels du monde du travail, comme le confirment les enquêtes récentes de la Banque mondiale auprès des entreprises. Cette inadéquation s’observe dans divers domaines et concerne notamment les compétences entrepreneuriales et managériales, les compétences analytiques, la maîtrise des langues et d’autres compétences techniques. Elle explique en grande partie le fort taux de chômage dont sont victimes les diplômés du supérieur.

Les disparités criardes entre femmes et hommes

De plus, l’inégalité de genre est assez criante sur le marché du travail en Tunisie et les disparités entre les femmes et les hommes sont, dans l’ensemble, considérables. Les trois taux de chômage – des jeunes, des jeunes femmes et des femmes – sont parmi les plus élevés du monde.

Pour conclure sur une note d’espoir, il est illusoire de penser que les inégalités sociales sont persistantes sur le long terme, à ceci près qu’il incombe au gouvernement d'élaborer des stratégies globales pour favoriser un développement inclusif, et pas uniquement la croissance économique sticto sensu, et une meilleure répartition des richesses.

Manifestation de diplômé chômeurs en Tunisie.

Manifestation de diplômé chômeurs en Tunisie.

Si la Tunisie doit certes instaurer une croissance économique durable, ce n’est pas suffisant pour combattre l’inégalité. Elle doit aussi trouver le juste équilibre entre équité et croissance, et inscrire l’équité parmi les priorités de sa stratégie développement.

 

Note :

1- Les Omd sont huit objectifs adoptés en 2000 à New York par 193 États membres de l'ONU, et au moins 23 organisations internationales, qui ont convenu de les atteindre pour 2015. Ces objectifs recouvrent de grands enjeux humanitaires: la réduction de l’extrême pauvreté et de la mortalité infantile, la lutte contre plusieurs épidémies dont le SIDA, l'accès à l’éducation, l’égalité des sexes, et l'application du développement durable.