Après le rejet, à une large majorité, de la proposition monégasque d’interdiction du commerce international du thon rouge, les pêcheurs tunisiens de cette espèce emblématique de la surexploitation des ressources marines ont respiré très profondément. Ils savent qu’ils ont gagné une bataille. Ce qu’ils savent moins, en revanche, c’est que c’est à la Libye qu’ils doivent cette victoire. Explication…

Jeudi 18 mars, à Doha, au Qatar, la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (Cites) rejette à une large majorité de pays (72 votes contre, 43 favorables et 14 abstentions) la proposition de Monaco, soutenue par les Etats-Unis et l’Union européenne (UE), d’interdire le commerce international du thon rouge. Peu à peu, leurs langues se délient. Les délégués européens et militants écologiques avouent, incrédules, que c’est le délégué de la Libye qui a provoqué le torpillage de la proposition monégasque en demandant un vote sans attendre. Qui plus est à bulletins secrets. Les Européens, qui voulaient ajourner le vote, ont été pris de court, d’autant que la demande libyenne a été soutenue par d’autres pays.

«Des raisons de forme et de fond expliquent ce camouflet», a avoué un délégué européen. Sur la forme, l’UE et Monaco n’ont pas assez préparé leur offensive. «Ils se sont fait avoir comme des débutants, en méconnaissant les astuces de procédure, a affirmé Charlotte Nithart, de l’association écologiste Robin des Bois. S’ils avaient fait leur demande d’ajournement avant celle de la Libye, ils l’auraient obtenue.»

Mauvais perdant, Alain Fonteneau, spécialiste du thon à l’Institut de recherche pour le développement (IRD, France), a affirmé pour sa part que la position de la Lybie était «franchement suspecte. Ce sont [les Libyens] les plus magouilleurs, ils ont beaucoup de bateaux illégaux».

Voilà, par ailleurs, comment les choses se sont passées, selon les récits des correspondants du quotidien ‘‘Le Monde’’ et du journal en ligne ‘‘Rue 89’’: l’UE, désireuse d’afficher une position commune à 27, suggère des amendements. Le Canada et la Tunisie s’y opposent fermement. Le Kenya et les Etats-Unis se disent intrigués par les amendements suggérés. C’est alors que Tripoli, petit pays mais gros pêcheur de ce poisson dans ses eaux méditerranéennes, entre en scène. Charlotte Nithart raconte la scène : «Le délégué, doigt accusateur, lance : “L’ignorance disparaît une fois que tout est clair. Si les informations qui nous sont données sont inexactes, cela accroît notre ignorance. En ce qui concerne la proposition de Monaco, chacun doit lire tous les documents pour constater qu’ils sont truffés d’erreurs. Il y est affirmé qu’il y a une flottille [celle des Libyens, ndlr] dont les capacités dépassent largement les quotas de pêche. Oui. Mais on peut avoir 10 voitures et n’en conduire qu’une seule”.»

Une fois ce discours terminé, la Libye demande l’arrêt immédiat des discussions et la mise au vote de la proposition monégasque. La militante écologiste poursuit: «L’Europe reste muette. Le secrétariat se penche sur son règlement intérieur et confirme que la proposition monégasque peut être votée immédiatement si une partie appuie la demande de la Libye. Le Soudan se porte volontaire. L’Espagne, qui préside l'UE, émerge péniblement et demande une réunion de coordination immédiate. Trop tard, il aurait fallu y penser avant.» Lorsqu’on passe au vote, le résultat est sans appel. Le commerce du thon rouge reste autorisé.

I.B