Oliveraies de Djorf Banniere

Grâce à la technique du diffuseur enterré, inventée par l'agronome tunisien Bellachheb Chahbani, les oliveraies de la presqu'île de Djorf reprennent vie.

Par Naceur Bouabid*

La presqu'île de Djorf est un vaste champ d'oliviers s'étendant à perte de vue. Ils sont par centaines de milliers, visibles le long des routes menant soit à Médenine ou à Mareth, résistant en dépit des conditions climatiques particulièrement sévères.

Ici, en effet, la sécheresse est omniprésente et les pluies se font de plus en plus rares. Le visiteur ne met pas longtemps pour en prendre conscience, tant sont souffreteux ces arbres bénis, aux feuilles séchées qui, ce nonobstant, font le bonheur des milliers de familles de la région.

Voulant faire œuvre utile et venir à la rescousse de ces arbres en perdition, dans ce contexte difficile de changement climatique aux effets désastreux, l'Association de sauvegarde du patrimoine archéologique et ethnographique de Boughrara (ASPAE Boughrara) a conçu, formulé et réalisé un projet avant-gardiste consistant en la mise en place de 9 parcelles pilotes dans les régions oléicoles de Tamessent, Elgrine, Ayati, Jorf et Boughrara, et visant la réhabilitation des oliveraies de la presqu'île de Djorf.

La technique du diffuseur enterré

Lorsqu'il a été pour elle question de définir les moyens et les solutions à mettre en œuvre, à même de convaincre les bailleurs de fonds d'adopter le projet pour financement, l'ASPAE a opté pour les acquis de la recherche en vigueur dans le domaine de la conservation des eaux et des sols.

Le cas du diffuseur enterré de son inventeur Bellachheb Chahbani, chercheur agronome à l'Institut des régions arides (IRA-Medenine), a été vite retenu. Il s'agit d'une technique innovante d'irrigation souterraine d'appoint, économe en eau, permettant d'irriguer de manière anticipée, une fois par an, en hiver, quand l'eau est plus disponible.

Trois ou quatre diffuseurs sont enterrés au pied de l'arbre, dans le sol à une cinquantaine de centimètres de profondeur, reliés entre eux par un réseau de tuyauterie enterré. En surface, un gros tuyau relie les arbres les uns aux autres depuis une source d'approvisionnement en eau (une citerne construite en hauteur pour que l'eau puisse irriguer par gravitation, un puits, de l'eau courante).

Grâce au système efficace d'injection de l'eau dans le sol, on peut stocker et sauvegarder, dans les couches profondes de l'espace vital d'un olivier estimé à 100 m2, d'importantes réserves d'eau de l'ordre de 10 m3, soit 2,5 m3 par diffuseur, susceptibles de satisfaire les besoins de l'arbre pendant trois ou quatre années et de lui assurer une croissance et une productivité optimale lors des saisons sèches.

Une telle technique a fait ses preuves, partout où elle a été testée. Aujourd'hui encore, dans le cadre du projet de réhabilitation des oliveraies de la presqu'île de Djorf, force est de reconnaitre que les performances de cette technique d'irrigation ne sont plus à démontrer, et la confirmation est venue des témoignages édifiants apportés par quelques propriétaires des parcelles bénéficiaires lors de l'atelier de clôture, tenu vendredi 13 février 2015, à Boughrara, en présence de Abdelkader Baouendi, coordonnateur national du Fonds pour l'environnement mondial (FEM), et Jihène Touil, chargée de programme au sein du Programme des Nations Unies pour le développement (Pnud).

Bellachheb Chahbani

Bellachheb Chahbani n'est pas prophète en son pays.

Le ministère de l'Agriculture aux abonnés absents

La visite d'une des neuf parcelles a donné à vérifier la conformité des témoignages enthousiasmés apportés lors de la cérémonie de clôture avec l'état des lieux prévalant, comparaison aidant avec l'état des oliviers dans une parcelle limitrophe non concernée par le projet: ici, des oliviers vigoureux renaissent à la vie et resplendissent déjà de fraîcheur, promettant des jours meilleurs; alors qu'ailleurs, à quelques mètres, d'autres sont dans un piteux état, desséchés et au seuil de la mort.

A quand, enfin, une reconnaissance de l'innovation par la tutelle?

Mais, en dépit des performances techniques vérifiées preuve à l'appui, des résultats probants constatés de visu et qui ne donnent plus à douter, et des avantages d'une telle technique économe en eau à hauteur de 60% par rapport à d'autres en vigueur, le système du goutte-à-goutte en l'occurrence, dans ce contexte critique de raréfaction d'eau, nos responsables à la tête du ministère de l'Agriculture du gouvernement de la Troïka, ministre compris, n'ont pas pris conscience du parti à tirer d'un tel potentiel en possession et sont restés de marbre face à la requête légitime de M. Chahbani d'inscrire sa technique Chahtech dans la liste des techniques d'économies d'eau subventionnées.

Pourtant, son innovation lui a valu de nombreuses distinctions et des prix nationaux et internationaux: le Prix international Unesco «Grand fleuve artificiel» pour les ressources en eau dans les zones arides et semi-arides, pour ses recherches ayant permis de développer de nouvelles approches en matière de gestion de l'eau.

En mai 2011, il obtient le top 50 et le top 20 du programme InfoDev de la Banque mondiale; le deuxième prix de l'innovation technologique, remis au Salon international de l'agriculture et de l'innovation technologique de Tunis en 1998 et 2000; le premier prix du Prix méditerranéen de l'eau en 2001; le premier prix de l'Association tunisienne des inventeurs pour les chercheurs inventeurs en 2001; le prix de l'innovation scientifique dans le domaine de l'eau, remis par l'Organisation arabe pour l'éducation, la culture et les sciences (Alecso) en 2002; deux médailles d'argent, remises au Salon international des inventions de Genève en 2002; le prix dans le domaine de la gestion optimale des ressources en eau pour la lutte contre la désertification, remis par l'Union du Maghreb arabe (Uma) en 2007; le prix de la créativité, remis par le président de la république tunisienne en 2009; le commandeur de l'Ordre national du mérite au titre du secteur de l'éducation et de la science.

Si tous ces prix et toutes ces distinctions, synonymes de conviction unanime quant à la pertinence de l'innovation, décernés méritoirement par des organismes d'envergure, n'ont pas suffi pour que notre ministère de l'Agriculture daigne ouvrir ses bras pour accueillir dignement un des siens qui a consacré une grande partie de sa vie à la recherche qu'il a couronnée par cette innovation inouïe, que faut-il aux hauts responsables de la tutelle pour l'adopter et l'inscrire dans la liste des systèmes d'irrigation subventionnés?

En attendant un revirement de position en faveur de son produit, Bellachheb Chahbani, dépité, ne peut que regretter que les premiers tests à grande échelle soient effectués ailleurs que sous nos cieux, aux Etats-Unis d'Amérique et dans les pays du Golfe.

* Président de l'Association pour la sauvegarde de l'île de Djerba.

 

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